Arthur Millet (Syndicat des régies Internet) "Une loi numérique trop restrictive favoriserait les Google et Facebook"

La concertation sur le projet de loi sur le numérique est en cours. A travers une série d'articles, le JDN expose les attentes et recommandations des acteurs de l'écosystème. Aujourd'hui, Arthur Millet, président du Syndicat des régies Internet.

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Arthur Millet, président du SRI. © SRI

JDN. Qu'attendez-vous du projet de loi numérique ?

Arthur Millet. Au niveau du SRI, ce qu'on essaie de mettre en œuvre, c'est de faire comprendre aux institutionnels que la publicité sur le Net n'est pas juste un mal nécessaire. La pub est souvent mal-aimée en France, surtout celle sur Internet. Ce qu'on veut expliquer à travers la concertation, c'est qu'au contraire la publicité sur le Net est très importante. Elle est l'indicateur de la transformation digitale des entreprises. On le remarque, l'ebitda est supérieur pour les entreprises qui ont fait leur transformation digitale. D'un autre côté, le secteur de la pub digitale est l'un des plus gros pourvoyeurs de start-up en France : le secteur fait l'objet d'énormément d'innovation et est un marché toujours en progression. Nous sommes en contact avec le CNNum depuis très longtemps, et nous avons été rapidement associés dans la concertation.

Il faut que le législateur comprenne que si l'on est trop restrictif, on favorise les univers fermés comme Facebook ou Google. On demande un cadre de travail qui permette à la fois de respecter l'internaute mais aussi à la France de se développer dans le domaine de la pub online. Il ne faut pas être dans une logique restrictive mais un cadre qui accompagne le développement. Personne ne peut définir aujourd'hui quels seront les métiers de demain : il ne faut donc pas s'imposer des cadres qui nous empêcheront d'avancer dans le futur. Nous voulons une loi chapeau qui encadre de manière très générale, sans trop de détails.

Surveillerez-vous la question de la gestion de la vie privée des internautes (via les cookies), qui est clé pour la santé du secteur de la pub online ?

Il ne faut pas qu'il y ait de confusion entre données personnelles et données de navigation, qui, elles, restent anonymes. Il faut travailler sur chaque sujet sans les confondre. Le sujet de la protection de la vie privée devrait plutôt concerner toutes les problématiques de stockage de données. Les cookies , c'est notre métier, notre essence. On ne peut pas avoir de loi française trop restrictive, sinon des acteurs installés à l'étranger auront l'avantage.

Allez-vous pousser pour une refonte de la loi Sapin, qui impose transparence entre l'acheteur et le vendeur et qui est mise à mal par l'arrivée de nouveaux acteurs hybrides tels que les trading desks et les transformateurs d'espaces digitaux ?

On demande un cadre clair, qui recrée de la confiance, qui soit adapté aux nouveaux modèles, aux plateformes automatisées. Il faut clarifier le cadre mais pas qu'il soit restrictif. Aujourd'hui, la loi Sapin n'est plus adaptée et pas applicable aux nouveaux outils et nouveaux modes de vente. Le circuit de facturation changé. Le DSP facture le client puis le DSP reverse l'argent au SSP qui reverse l'argent aux éditeurs. Ce n'est pas transparent. On recommande que ce soit le dernier maillon de la chaîne qui doive respecter la loi Sapin. Ensuite, il faut prendre en compte le fait qu'il y a aujourd'hui de nouveaux acteurs aux statuts différents. Aujourd'hui, les trading desks peuvent être considérés, soit comme des régies, soit comme des agences. Ils peuvent s'extraire de la législation et cela crée un déséquilibre. Il faut clarifier les statuts... Ou créer un cadre plus large pour tout le monde.

Pensez-vous qu'il faille légiférer sur le statut des grands acteurs américains (Facebook, Google et autres) qui captent une part majeure des investissements publicitaires et n'ont pas les mêmes obligations que les acteurs de l'hexagone ?

Google respecte déjà pas mal d'obligations. C'est un énorme sujet et je ne suis pas sûr que légiférer en ce sens soit la bonne direction : cela va demander beaucoup d'énergie, beaucoup de ressources et rien en garantit que cela aboutira. Je souhaiterais que le gouvernement aide au contraire les acteurs français à émerger avec un cadre de développement adéquat. Il faut essayer de faire croître nos acteurs plutôt qu'essayer de tuer Google. D'autant que Google est en position dominante mais pas en abus de position dominante sur le marché de la publicité. Plutôt qu'investir de nombreuses ressources pour le ralentir, ne peut-on pas plutôt les consacrer à faciliter l'émergence de méga-acteurs du marché français ? 90% des technos qui arrivent sur le marché français sont aujourd'hui américaines ! Nous devons favoriser la naissance de nouveaux Criteo dans d'autres domaines comme la data ou le programmatique.

Arthur Millet a débuté sa carrière chez Libération puis à Radio Nova. Dès 1999, il s'intéresse à l'internet et rejoint Grolier Interactive pour travailler sur un projet de portail musical. De retour dans la presse en 2001, il met à profit son expertise digitale d'abord pour Libération.fr puis pour  LeMonde.fr en tant que Directeur de la régie pendant 8 ans. Depuis 2010, il est directeur digital chez Amaury Médias. Il a été élu Président du SRI en mai 2014, pour lequel il a été administrateur pendant 5 ans puis vice-président.

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