Pascal Dasseux (Havas Media) "La crise force les entreprises à repenser leur modèle"

Perte de repères, digitalisation des médias... Le président d'Havas Digital et directeur général adjoint d'Havas Media fait le bilan de l'année 2009 et donne sa vision de l'avenir de la publicité en ligne.

Comment évolue l'activité d'Havas Media ? Quel bilan faites-vous de l'année 2009 ?

Pascal Dasseux. On peut qualifier le marché d'hors-norme en 2009. Il est véritablement devenu fou. On a constaté surtout une perte de repères en termes de valeur, la différence s'accentuant entre le montant net et le montant brut des dépenses des annonceurs, engendrant une baisse du coût contact pour toucher le consommateur, et ce quelque soit le média finalement. L'écart entre le brut et net est nettement différent entre 2008 et 2009, les chiffres pour cette dernière année sont donc à prendre avec des pincettes.

En outre, chez Havas Media, en couplant les contrats qui arrivaient à leur terme et la crise, 40 % de nos budgets ont été remis en compétition. Et cela a été pareil pour nos concurrents. Au final, nous avons effectué 1,5 milliard d'euros net d'achats pour nos clients en 2009, un montant stable par rapport à 2008, dont 25 % sur Internet.

Quel est l'impact de cette crise sur le marché ?

Finalement la crise force les entreprises à repenser leur modèle et leurs sources de revenus. Ce qui explique pourquoi des acteurs comme Murdoch aux Etats-Unis cherchent des modèles payants sur le Web. La gratuité, c'est embêtant pour les médias. C'est à la fois une habitude et une obsession pour les consommateurs. Mais pour être payant, le contenu Internet doit être extrêmement intéressant. Et je trouve que c'est là que l'iPad offre un nouveau modèle, de nouveaux contrats de lecture, mixant des animations interactives et la fonctionnalité tactile du terminal, car cela crée du sens et de la valeur ajoutée pour le média.

Mais ce genre de terminal mobile, d'animations interactives et d'applications coûtent cher. Pensez-vous réellement que le marché adopte ces nouveaux contrats de lecture si rapidement ?

Effectivement, c'est cher aujourd'hui, notamment parce que les opérateurs n'y contribuent pas. Mais beaucoup de tablettes numériques vont bientôt arriver en France, poussant les prix vers le bas. Certes, l'iPad coûte 700 euros en France, mais finalement ce n'est pas le prix de la tablette qui est important, mais le business modèle qui est derrière, avec iTunes.

Quel avenir pour la publicité en ligne ?

Le digital est devenu la colonne vertébrale de l'organisation des agences médias à mesure que tous les médias deviennent digitaux. Pour preuve, chez Havas Media, nous avons il y a deux ans et demi cassé la structure qui séparait Havas Digital du reste de l'agence, afin d'intégrer toutes les compétences ensemble. A terme, toute la publicité va aussi devenir totalement digitale.

Et si le CPM moyen diminue, il y a aura toujours de la place pour un CPM élevé et des endroits où se retrouvent les marques.

La crise a-t-elle provoqué une sorte de professionnalisation des annonceurs en matière de publicité en ligne ? 

J'observe en effet une différence colossale entre maintenant et il y a cinq ans. A l'époque seulement 5 % des investissements médias étaient consacrés au Web, contre 10 à 20 % aujourd'hui chez nos annonceurs. Il faudrait que ce chiffre atteigne 20 % même. Les montants devenant plus importants, les directions d'entreprise s'y intéressent de plus en plus. Mais il reste encore un challenge d'organisation chez nos annonceurs.

Tous les médias deviennent progressivement interactifs. Mais, sinon, comment suivre les consommateurs de l'un à l'autre ?

Chez Havas Media, nous effectuons de la modélisation statistique pour suivre les gens on et off line. Nous croisons pour cela des données qualitatives et quantitatives issues du marché, grâce à Médiamétrie, d'un outil propriétaire, et d'un partenariat exclusif signé avec Kantar. A partir de là nous avons monté notre machine de guerre, Cross Metrics. Connaissant leurs achats en magasin, nous transmettons aux 18 000 panélistes de World Panel (Kantar) un questionnaire tous les trois mois afin de connaître leur consommation des médias, informations croisées ensuite avec les profils socio-démographiques. Ce qui permet de faire du cross média planning sur des cibles acheteuses. Maintenant, les médias devenant tous digitaux, cela permet de mesurer leurs effets de manière encore plus fine et d'optimiser les messages en conséquence.

Finalement, quelles sont vos prévisions pour le marché en 2010 ?

Difficile de prédire la suite. Nous constatons effectivement une légère reprise économique depuis quelques mois, mais elle reste fragile. Chez Havas Media, le chiffre d'affaires est en progression pour 2010. Mais je ne crois pas aux projections à un an, ce n'est pas possible aujourd'hui. Les sociétés qui en font les révisent d'ailleurs constamment.

Pascal Dasseux a débuté sa carrière en 1986, occupant successivement des fonctions de direction au sein des agences de communication Leo Burnett, Publicis et Sport Events. En 2001, il est nommé directeur marque et communication de Zebank, devenu Egg, filiale du groupe Arnault. Depuis janvier 2006, Pascal Dasseux est président d'Havas Digital, réseau international de marketing interactif du groupe Havas Media. Il a également pris les fonctions de directeur général adjoint d'Havas Media depuis avril 2008. Pascal Dasseux est par ailleurs membre du conseil d'administration à l'IAB, de Renaissance Numérique ou encore de l'Udecam interactive. Il est diplômé de l'European Business School et de l'Executive MBA du groupe HEC depuis 2004.