Gerhard Steiger (Bosch) "Bosch investira 4 milliards d'euros d'ici 2022 dans la voiture autonome"

Le responsable du programme de véhicules autonomes de l'équipementier automobile allemand fait le point sur son prochain test en Californie et sur l'avancement de la R&D dans l'industrie.

JDN. Bosch  et Daimler démarreront en novembre une expérimentation de service de véhicule autonome à la demande à San Jose (Californie) pendant six mois. En quoi consiste-t-elle et quel rôle y jouez-vous ?

Gerhard Steiger est responsable de la division Chassis Systems Control chez Bosch © Bosch

Gerhard Steiger. C'est notre première expérience de service en conditions réelles. Nous allons commencer par une petite flotte de deux véhicules qui s'étendra ensuite à plusieurs dizaines. Le service sera gratuit et permettra aux utilisateurs se trouvant dans la zone du test de réserver un véhicule à la manière d'un VTC, à l'avance ou pour dans dix minutes. Un opérateur de sécurité se trouvera à bord des véhicules. A travers ce test, nous voulons bien sûr jauger la robustesse de notre technologie de conduite autonome, mais aussi vérifier notre capacité à collecter des données de conduite et de trafic, ainsi qu'à orchestrer la logistique de gestion de flotte.

Bosch apporte le hardware - radar, caméras, lidar - et les systèmes de perception du véhicule, tandis que Daimler fournit les voitures et ses connaissances dans les services de mobilités partagés. Nous avons créé une alliance avec Daimler (maison-mère de Mercedes-Benz, ndlr) en 2017 pour développer conjointement des véhicules autonomes de niveau 4 (véhicule pleinement autonome dans des zones prédéfinies, ndlr). 600 personnes de chez Bosch et Daimler travaillent ensemble sur les technologies de perception, de gestion de trajectoire et de sécurité, ainsi que sur la conception de toute l'électronique afférente.

Bosch est le plus gros déposant de brevets de véhicule autonome au monde. Sur quelle partie de la chaîne de valeur travaillez-vous ?

Nous distinguons deux chemins de développement, et deux types de business autour de la voiture autonome. Le premier est évolutif : les voitures personnelles gagnent graduellement en automatisation, poussées par les régulations et évaluations de sécurité, qui requièrent de plus en plus de technologies. Les systèmes d'aide à la conduite avec des fonctionnalités comme le maintien dans la voie ou le freinage automatique d'urgence se transforment progressivement en véhicules semi-autonomes de niveau 3, qui vont permettre dans les années à venir une conduite automatisée sur autoroute, mais toujours avec un chauffeur derrière le volant. Ces systèmes requièrent des capteurs radar, ultrason et vidéo que nous commercialisons déjà. Les ventes de ces équipements connaissent une énorme croissance : elles devraient atteindre 2 milliards d'euros cette année, contre un million en 2016. Nous fournissons ces technologies à la plupart des constructeurs auto.

"Nos ventes de capteurs devraient atteindre 2 milliards d'euros en 2019"

L'autre chemin est révolutionnaire : il s'agit de développer des services de robo-taxis de niveau 4 en zones urbaines. C'est sur cet aspect que nous avons décidé de nous allier à Daimler, qui est notre seul partenaire pour l'instant. La technologie de base est la même que pour le véhicule semi-autonome, mais le robo-taxi doit être préparé à toutes les éventualités, car il n'y a plus aucun conducteur responsable en cas d'accident. Nous allons dépenser 4 milliards d'euros d'ici 2022 dans le développement de ces technologies, tous niveaux d'autonomie confondus.

La voiture autonome ne brouille-t-elle pas les lignes entre les équipementiers et leurs clients constructeurs ? Certains constructeurs préparent leurs propres technos et capteurs, tandis que des équipementiers, dont Bosch, développent des navettes autonomes…

Lorsqu'il s'agira de produits commerciaux, Il est clair que nous devrons joindre nos forces. Nous avons encore un difficile chemin à parcourir en termes d'ingénierie et personne n'a les moyens d'y arriver tout seul. Car nous devrons concevoir un système qui respectera tous les standards de sécurité de l'industrie automobile. Dans cette perspective, nous développons par exemple avec Daimler un kit de conduite autonome qui comprend tous les capteurs et fonctions de sécurité qui doivent être intégrées à l'architecture électronique du véhicule autonome. 

"Il est temps que l'industrie réalise les efforts que demande le véhicule autonome"

Vous pensez-donc que nombre d'acteurs de l'industrie auto, refroidis par les coûts, arrêteront leur R&D et se chercheront des partenaires ?

Exactement. Il est temps que l'industrie réalise les efforts que demande le véhicule autonome. Si l'on retourne quelques années en arrière, en 2015, et que l'on regarde les promesses de l'industrie, nous devrions tous déjà rouler dans des voitures autonomes aujourd'hui ! Ces échéances ont été repoussées d'année en année. Même les entreprises tech les plus agressives sont devenues plus réalistes et ont compris qu'il fallait plus que du software. Il faut du temps, beaucoup d'argent et de l'expérience dans l'automobile.

De plus en plus de constructeurs réalisent qu'ils ne pourront jamais commercialiser de voitures personnelles au-delà du niveau 3 (semi-autonome), car elles seraient trop chères. N'est-ce pas un risque pour votre business auprès d'eux ?

La voiture autonome personnelle pourrait en effet s'arrêter au niveau 3, avec des fonctions de délégations de conduite autonome qui fonctionneront sur autoroute dans certaines conditions. Ces fonctionnalités sont commercialisables. Mais au-delà du niveau 3, je suis sceptique. Je ne vois pas quelqu'un payer 100 000 euros pour une voiture autonome personnelle. Cette réalité s'imbrique parfaitement dans  notre stratégie, car nos business et technologies concernant les voitures personnelles jusqu'au niveau 3 et les services de véhicules autonomes de niveau 4 sont différents.