Renzo Vitale (BMW) "La voiture intelligente pourra comprendre votre personnalité et jouer des sons relaxants si vous êtes stressé"

Fini les moteurs à combustion, la voiture de demain sera muette, et offrira de multiples services pour occuper ses occupants. Renzo Vitale, concepteur sonore chez BMW, dévoile son travail pour (ré)inventer ces sons.

JDN. En quoi consiste votre rôle de concepteur sonore au sein de BMW ?

Renzo Vitale. Je suis chargé de définir le langage sonore de toutes les gammes de véhicules électriques des marques BMW, Mini et Rolls-Royce. Je compose les sons extérieurs et intérieurs de ces véhicules, ce qui inclut également les symboles sonores, c'est-à-dire les sons qui sont là pour informer le conducteur de certaines fonctionnalités du véhicule comme le fait d'attacher sa ceinture, le clignotant, les sons d'avertissement, etc. BMW est une marque qui souhaite transmettre des sensations de joie et d'excitation, et ces sons, tout comme la musique, permettent de faire passer des émotions.

Pourquoi est-il nécessaire créer des sons pour la voiture électrique alors même que le véhicule est par nature silencieux ?

Parce que le législateur l'impose. Les sons externes d'un véhicule sont avant tout là pour signaler sa présence aux piétons. Ils sont par exemple indispensables pour alerter des personnes malentendantes ou non-voyantes qu'un véhicule est en approche. BMW avait d'ailleurs pris les devants en devenant, dès 2013, l'un des premiers constructeurs automobiles à introduire des sons extérieurs pour sa gamme de véhicules électriques. Depuis l'an passé, il n'est plus possible pour un conducteur de couper les sons extérieurs de son véhicule. 

La législation impose aux véhicules électriques d'émettre un son extérieur similaire à celui d'un moteur à combustion. N'est-ce pas un peu surprenant alors que le véhicule électrique est une opportunité pour rendre les villes plus silencieuses ?

Il est vrai que je ne peux m'empêcher de sourire en pensant au point de vue des législateurs. Ils considèrent la voiture comme ils l'ont toujours connue, sans réaliser que les choses évoluent. Pourtant, le son émis par le véhicule électrique, de par la manière dont l'énergie est générée, n'a rien à voir avec celui d'un moteur à combustion. Il n'y a plus d'entité mécanique en mouvement, plus de cylindre et plus de… combustion. Dès lors, pourquoi vouloir appliquer un son identique à une entité complètement différente ? C'est un problème conceptuel, et je crois qu'en utilisant les mêmes textures sonores que par le passé, nous manquerons une opportunité d'inventer quelque chose de nouveau.

Du coup, quelle est votre marge pour innover et créer de nouvelles textures sonores ?

La bonne nouvelle est qu'il existe des marges d'interprétation puisque le législateur ne définit pas clairement le bruit d'un moteur à combustion. Si vous écoutez le son des moteurs des véhicules fabriqués ces 70 dernières années, vous réalisez qu'ils sont tous différents. Il s'agit en fait davantage d'une direction donnée aux constructeurs. Il y a néanmoins un élément qui demeure identique dans son principe : celui de l'accélération. Nous sommes tous habitués à entendre un son avec des fréquences plus élevées à mesure qu'un véhicule accélère (entendre ci-dessous).

Quelles sont vos sources d'inspiration ?

D'abord, je passe beaucoup de temps à discuter avec mes collègues des départements marketing, design, ingénierie, etc. Ils sont en charge de définir l'identité des voitures BMW et il est donc primordial de collaborer et de recueillir certaines informations. Notre marque a su évoluer avec ses clients et la voiture BMW d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celle des années 50-60. Je m'appuie ensuite sur différentes sources d'inspirations que je puise dans mon quotidien ou dans des œuvres d'art et que je note dans un cahier. Je m'enferme alors dans mon studio pour développer des idées assez conceptuelles à partir de ces inspirations. Après quoi, je collecte des informations d'ordre acoustiques sur le modèle du véhicule, car le son de chaque voiture est différent selon son design. C'est seulement à ce moment-là que je commence à explorer différentes textures sonores.

Que doivent comporter ces sons pour être retenus et intégrés dans les véhicules BMW ?

"Le son des boutons Start est l'un des premiers que nous avons créé avec le célèbre compositeur Hans Zimmer"

Ma méthode est de me concentrer sur la personnalité de BMW. J'ai ainsi rédigé un langage pouvant représenter la marque à travers des mots clés tels que "visionnaire", "élégant", "minimaliste", etc. Ces mots ont été précieux pour définir le caractère des futurs sons. Cela me permet notamment de définir le 'code génétique' d'un son. L'objectif ici est d'établir un langage sonore fidèle aux valeurs de la marque qui sont, par exemple, l'innovation, la joie, l'indépendance ou encore l'esthétisme. Tous ces éléments peuvent être retranscrits de différentes manières à travers des sons. Une fois créés, nous faisons écouter les premiers tests en interne auprès de nos collaborateurs des départements produit, design, marketing, ingénierie, etc. Une fois validés, nous confrontons ces sons à des personnes externes à l'entreprise.

Prenons un exemple concret avec le son du bouton Start des modèles BMW (ci-dessus) : quel a été le processus de composition ?

C'est l'un des premiers sons que nous avons créé avec le célèbre compositeur Hans Zimmer pour BMW. Nous avons passé cinq jours dans un studio à Santa Monica pour le réaliser. S'agissant d'un son intérieur au véhicule, il n'y avait pas ici de contrainte juridique particulière. Pour le composer, nous avons préféré imaginer une scène très précise : le propriétaire du véhicule doit se rendre au travail un lundi matin en plein hiver. Cette personne, mal réveillée, descend dans son garage puis entre dans son véhicule, où la température est très basse, avant appuyer sur le bouton "Start". Quelle émotion pouvons-nous communiquer à cette personne à ce moment-là pour rendre son début de journée plus agréable ? Notre objectif était en quelque sorte de lui transmettre un message d'espoir et de réconfort. Nous avons gardé cette idée en tête pendant tout le processus de composition. Ce son, qui équipera tous les véhicules de la gamme électrique et hybride de BMW à partir de juillet 2020, a beau durer seulement deux secondes, il est très complexe. Si vous écoutez attentivement, vous remarquerez qu'il intègre d'ailleurs des voix de femmes à la fin. Nous voulions en effet intégrer un aspect humain dans ce son et tout particulièrement une touche féminine dans un secteur réputé très masculin.

A l'ère du véhicule autonome et intelligent, comment voyez-vous évoluer la relation homme-machine ?

"Nous avons l'opportunité de créer un environnement sonore plus respectueux"

Nous travaillons sur un certain nombre de projets dans ce domaine mais je ne peux pas communiquer sur ce sujet pour le moment. Ces véhicules sortiront en 2028/29 et nous envisageons plusieurs scénarios. Au CES de Las Vegas, nous avions notamment présenté le concept d'un intérieur de véhicule. Il s'agissait de montrer comment l'expérience avec la voiture allait devenir plus interactive avec, par exemple, la possibilité pour le conducteur de mettre son siège en position horizontale et de visualiser des paysages pendant son trajet. La texture sonore est ici composée en temps réel par le véhicule lui-même et va s'adapter à son conducteur. C'est aujourd'hui la direction que je prends : considérer le véhicule comme un compositeur intelligent capable de comprendre ce dont les passagers ont besoin sans qu'ils aient besoin de le demander. Dans l'idéal, le véhicule autonome et intelligent de demain pourra être capable de comprendre votre personnalité à un moment précis et de s'y adapter, en jouant, par exemple, des sons relaxants si vous êtes stressé.

Quels bruits feront les villes du futur d'après vous ?

Lorsque nos routes seront entièrement occupées par des véhicules électriques, nous pourrons véritablement diminuer la pollution sonore des villes, d'autant que des législations existent pour encadrer les pratiques des constructeurs. Je pense que le volume sonore sera globalement réduit mais aussi que le caractère et la texture de ces sons seront également bien différents. Ces machines font partie de notre environnement. Mais avec l'électrification des véhicules et des villes, nous avons l'opportunité de créer un environnement sonore plus respectueux pour les autres.

Renzo Vitale est un artiste, concepteur et ingénieur sonore. En 2015, il rejoint le centre Recherche et Innovation de BMW. Depuis 2017, il est notamment responsable d'élaborer l'ensemble des sons pour les gammes électriques de la marque, en collaboration avec le compositeur Hans Zimmer. Renzo Vitale est diplômé d'un PhD en acoustique de l'université RWTH Aachen et possède deux masters en ingénierie électronique et en piano. Son dernier album "Disorders" est sorti en 2019.