Une monnaie commune pour développer les échanges intra-maghrébins

La réunion des ministres des affaires étrangères des 5 États du Maghreb les 14 & 15 février 2012 fait passer mon projet d'une communauté économique maghrébine de l'utopie à un projet réaliste et crédible.

Ma proposition d’une monnaie commune, se veut plus pragmatique et plus adaptée aux conditions socio- économiques et géostratégiques du Maghreb. Elle vise à faire passer les échanges intra-maghrébins de 2 à 40%.
L'Europe du sud en crise peut tirer profit de l'intégration maghrébine pour se développer avec l'aide des capitaux des pays arabes producteurs de pétrole.

Le processus d’intégration monétaire maghrébine

Les perturbations financières qui ont agité l’été 2011 les bourses européennes ont mis à nu le hiatus entre une monnaie unique et des politiques économiques, fiscales et budgétaires divergentes voire concurrentielles.
L’euro a été créé avant l’aboutissement des convergences économiques et d’une plus grande intégration économique. La politique monétaire est unifiée mais les politiques budgétaires sont nationales.
Le passage à une monnaie commune peut se faire très rapidement. Par contre, l’instauration de la monnaie unique n’interviendra qu’au bout de 10 à 20 ans. Cela implique un transfert de compétences en matière de politique monétaire et une accélération des processus d’intégrations économiques.
La création d’une communauté économique maghrébine (CEM) sera de nature à impulser des réformes structurelles et à attirer des investissements étrangers productifs.
Il convient d’être sélectif quant à l’accueil des capitaux étrangers en privilégiant l’apport technologique et le Know How facteurs de création d’emplois dans les secteurs de substitutions aux importations et ceux permettant la réexportation.
Les pays disposant de réserves de change en abondance comme l’Algérie et la Libye devraient placer leurs ressources financières dans des investissements productifs de long terme dans la région. Les crises sur les marchés financiers à répétition créent une incertitude sur la valeur de leurs placements (les dernières en date 2008 et 2011).
En ne proposant pas d’instaurer d’emblée une monnaie unique mais plutôt une monnaie commune maghrébine, je tiens compte des spécificités historiques, culturelles et du niveau de développement des entités maghrébines. L’objectif est double ; favoriser les échanges de biens, de services et de capitaux afin d’aller plus loin dans l’intégration économique et monétaire et réaliser les convergences économiques.
Calquer le modèle maghrébin sur le modèle européen relève de la paresse et d’un sentiment d’infériorité intellectuelle. Tirant le bilan des dysfonctionnements de l’Union européenne, nous sommes à même de produire un schéma plus viable et progressif.
Le statut des monnaies est totalement différent. Les monnaies européennes étaient convertibles ; leurs valeurs respectives furent fixées par la loi de l’offre et de la demande sur les marchés des changes.
Le Franc français et le Deutschemark furent des monnaies convertibles contrairement aux monnaies maghrébines qui sont inconvertibles. La volatilité des capitaux et toutes les formes de spéculations sur les marchés financiers sont quasi inexistantes au Maghreb.
Les bourses de Casablanca et de Tunis ne sont pas insensibles aux mouvements des bourses états-uniennes.
La nécessité de moderniser les places financières et les systèmes bancaires des pays de la CEM pourra se faire sans verser dans le monétarisme et les tendances libérales qui favorisent la spéculation. Il n’est pas souhaitable de voir arriver sur les places de Casablanca, Alger, Tripoli, Nouakchott ou Tunis des hedges funds utilisant des techniques d’achat d’actions à crédit (vente à découvert), de carry Trade, de private equity funds ; de capital investissement, de trading book et de banquing book (respectivement portefeuille de négociation lié aux activités de marché, portefeuille d’investissement lié aux activités bancaire).
Les réformes profondes et l’utilisation des techniques les plus modernes, afin de mobiliser l’épargne et les financements en faveur de l’investissement productif devront se faire en mettant en place tous les mécanismes de régulation qui auraient pu faire éviter les crises de 2008 et 2011. La critique de la dérégulation des marchés internationaux à l’origine de celle-ci ne doit pas être le prétexte à l’inertie et au conservatisme dans le domaine bancaire et financier dans les pays émergents. Compte tenu de leur modeste taille, ces derniers n’ont pas à craindre un mouvement spéculatif déstabilisant. Le parachèvement de la CEM imposera des convergences réelles de  productivité et de salaires ainsi qu’une mobilité et une flexibilité du travail.
Les contradicteurs des zones monétaires prétendent que l’unification des politiques monétaires empêche les États de dévaluer leur monnaie afin que les produits nationaux gagnent en compétitivité.
La dévaluation comme variable d’ajustement disparaît avec l’instauration de la monnaie unique, ce qui priverait les États d’un moyen de relancer les exportations et de réduire les importations. Dans le cas d’une monnaie inconvertible et compte tenu du fait que les exportations sont libellées en devise forte, la relance des exportations dans le cas algérien est illusoire d’autant plus que l’Algérie est mono exportateur. Derrière la décision de dévaluer il est escomptée une réduction drastique des importations (par le biais d’une hausse des prix). Mais cela pouvait s’obtenir par d’autres moyens comme la suppression des crédits à la consommation et/ou la révision des taxes et tarifs douaniers.

Le DINRHAM pourra se faire en deux étapes :

Une première étape dont la durée peut être de 10 à 15 ans, le dinrham est une monnaie commune (non unique). Il est une simple monnaie de facturation et instruments de compte et de réserves utilisée par les Banques, les Entreprises ainsi que les Administrations. Les voyageurs maghrébins pourront disposer d’une dotation en dinrhams, dont les montants est régie par les législations nationales en vigueur.  Pendant cette période ; le calcul de sa valeur se fera suivant un panier de monnaies maghrébines représentées selon le PIB de chaque Etat du Maghreb. Ce serait une sorte d’ECU dont j’avais préconisé la généralisation quasi-obligatoire comme monnaie de facturation (C. SARI, 1987) afin d’en faire un contrepoids au dollar étatsunien. Mais le dinrham aura des fonctionnalités plus élargies, allant jusqu’à une émission fiduciaire. Il sera convertible seulement au sein de la CEM en sa qualité de monnaie commune coexistant avec les monnaies nationales.
La monnaie commune étant liée pendant cette phase à  des monnaies nationales inconvertibles.
Le dinrham va amplifier considérablement les liaisons monétaires, financières et économiques. Grâce à la suppression des risques de change et la non-utilisation de devises tierces, les coûts d’information et de transactions seront fortement diminués. Le Dinrham permettrait la réalisation d’économies considérables accroissant ainsi les économies réalisées selon le carré du nombre d’opérateurs qui utiliserait la monnaie commune. Elle impliquerait une grande fluidité des échanges de biens et de services et une meilleure transparence des prix qui sont affichés dans la même unité de compte. Les flux d’investissements directs étrangers connaîtraient une rationalisation et une ampleur sans précédent.
L’ancrage formel des monnaies maghrébines à l’euro, comme étape vers une première voie d’union monétaire (unilatérale) à moyen terme, n’est pas non plus une voie à suivre. L’explication est simple ; les monnaies maghrébines sont des monnaies inconvertibles, donc il n’y a pas lieu de fixer des marges de fluctuations étroites.
Le Maroc est faiblement présent sur le marché tunisien des produits pour lesquels il dispose d’un avantage comparatif, notamment les produits de la mer qui sont quasi exclusivement importés d’Italie.
Malgré  la proximité géographique, les produits énergétiques importés d’Algérie n’ont représenté, en moyenne annuelle entre 2000 et 2006, que 5% des importations marocaines de ces produits et seulement 0,5% des exportations totales algériennes.
Ce n’est qu’en 2011 que des accords algéro-marocains se sont noués quant l’approvisionnement de gaz au Maroc.
Les déséquilibres des échanges de biens et de services peuvent être compensés au moins partiellement par  la montée en puissance du tourisme intra maghrébin, facilité par l’utilisation du dinrham.
L’intégration maghrébine et la coopération retrouvée fera chuter de façon significative les dépenses militaires.

 Les principaux critères de convergence  durant cette période:

* Les réformes institutionnelles et constitutionnelles.  L’indépendance de la justice, la lutte contre la corruption  sont les piliers d’un état de droit respectueux du citoyen. Les maghrébins ne sont pas des tubes digestifs à ‘’calmer’’ à coup de subventions et dépenses budgétaires. Ils veulent un traitement digne et le respect, loin de la hogra qui a dominé leur rapport avec les autorités en place.

* L’immigration touche pour l’essentiel la jeunesse. Elle est perçue par les Etats comme une chance ; un moyen de régler partiellement le problème du chômage et cerise sur le gâteau, cela génère des transferts de fonds qui alimentent leurs caisses. En outre l’aide apportée par la diaspora à leurs familles restées au pays exonère les pouvoirs publics de dépenses sociales. L’Europe  y voit au contraire une menace à sa stabilité et à ses équilibres socio-économiques. Quelles coopérations Nord Sud et Sud-Sud pour fixer les populations au pays d’origine ? Quid de la fuite des cerveaux et quelles politiques d’incitation au retour des cadres et des diplômés pour la reconstruction du Maghreb ?
* Les problèmes de logement, l’exode rural, la politique d’aménagement
des territoires et la nécessaire décentralisation avec un transfert des prérogatives de l’Etat vers les régions, les départements et la commune sont à traiter immédiatement. Beaucoup de retard a été pris dans le traitement des problèmes de la gouvernance des administrations et des services publics, des établissements publics et privés. D’où la corruption généralisée qui fait du citoyen une victime mais doit l’inciter à ne pas se rendre complice.
Les pays du Maghreb doivent opter pour des modèles qui leur sont propres respectant leurs spécificités historiques, sociologiques, culturelles et comportementales.
* Sortir de la pauvreté et des inégalités sociales, la priorité des priorités. Au-delà de la polémique sur les indicateurs du développement humain, l’amélioration doit être perceptible parmi les populations. Le saupoudrage ne sert à rien ni les solutions à la petite semaine.
* La formation initiale et professionnelle sera le grand défi à relever dans une région où la moitié des habitants ont moins de 35 ans. C’est une situation explosive et aucun système politique ne pourra y résister.
On forme des futures cadres dans le tertiaire et les services aussi bien privés que publics.
Il en faut des gestionnaires, des contrôleurs de gestion, des responsables des ressources humaines, des comptables et des financiers. Mais cela ne répondra pas à l’industrialisation et au développement des secteurs primaires et secondaires. L’apprentissage a été le moteur du développement industriel de l’Allemagne. Beaucoup de métiers disparaissent ou vont disparaitre. En Europe il est possible de faire venir des ouvriers qualifiés d’autres pays mais au Maghreb, il est indispensable que les Jeunes prennent la relève des anciens.