Collectivités locales : peuvent-elles se payer le luxe d'ignorer la communication financière ?

RGPP, LOLF, élargissement du pouvoir de contrôle des ISC, agences de notation, contraction des subventions publiques… L’époque où la communication financière se résumait à des lignes illustrées par une répartition des recettes/dépenses par des camemberts semble bien révolue.

La crise pèse sur les finances locales
Les communes sont aujourd’hui confrontées à une triple crise du point de vue de leurs finances. A court terme, la crise économique survenue en 2008 dure et, en touchant les entreprises et leurs administrés, finit par atteindre leurs ressources (impôts, taxes locales). En France comme ailleurs, l’accès à l’emprunt est bien plus difficile. Une très large majorité des responsables des finances des collectivités prévoit d’ailleurs une baisse ou une stagnation de leur budget. L’exemple le plus extrême est celui des communes touchées par les emprunts toxiques qui les obligent à faire et expliquer des choix difficiles : pour exemple, la flambée du coût des ses emprunts depuis 2007 a engendré pour la ville d’Asnières-sur-Seine un surcoût de 3,4 millions d’euros par an.

Un désengagement structurel de l’Etat
Parallèlement, un mouvement de repli progressif mais régulier du soutien de l’Etat est engagé. Il se traduit par la stagnation sinon le déclin des dotations. Ainsi, la DGF (dotation globale de fonctionnement) décline pour la très grande majorité des villes en 2010 et surtout en 2011 (par exemple, -2% dans la majorité des communes de Seine-Saint-Denis en 2011). La fin de la crise et le retour de la croissance n’y changera probablement rien ; c’est un changement de long terme qui s’amorce. L’Etat l’affirme, il répartira ses dotations en fonction d’une « bonne gestion » si l’on en croit la Conférence du 20 mai dernier ayant eu lieu à l’Elysée.  

Une surveillance nouvelle
Enfin, et c’est bien là une nouveauté depuis une décennie, à ces deux mouvements s’ajoute une nouvelle pression sur les collectivités, celle des observateurs et de l’opinion publique qui cherchent à évaluer les politiques publiques dans leur efficacité et non plus seulement dans leur résultat final. Concrètement ont été développés des classements de bonne gestion des collectivités territoriales. Public Evaluation System évalue ainsi la « bonne gestion » des collectivités depuis plusieurs années. Ses critères de classement sont purement financiers (quelle place prend le service de la dette dans le budget communal ? Combien d’année la  collectivité devra consacrer au remboursement de sa dette ?...). Ces classements sont désormais de plus en plus entendus par le public et sont relayés par les plus grands médias, ce qui ajoute à la pression exercée sur les maires et les chefs d’exécutifs locaux. 

L’absence de communication financière crédible
Dans ce contexte, il faut plus que deux camemberts exprimant d’une part les recettes de la collectivité et d’autre part ses dépenses. On voit combien il est difficile de répondre aux questions et de justifier une action publique lorsqu’une crise telle que les « emprunts toxiques » survient, alors que l’on reste sur une communication annuelle sur de grands agrégats (dépenses de financement, dépenses de fonctionnement…).
Il faut pouvoir répondre plus précisément aux attentes des institutions de contrôle (les institutions de surveillance comme les chambres régionales des comptes…), des agences de notation qui surveillent les finances des régions, des villes comme des entreprises. Ce n’est pas l’état actuel de la communication financière municipale qui peut répondre à cette nécessité.

Une crise de confiance
Cette relative absence de réactivité de la part des collectivités vis-à-vis de ce changement copernicien s’est traduite par une crise de confiance dans la gestion locale. Lorsque la santé financière de certaines communes se trouve brutalement mise en cause par les médias, le sentiment de suspicion générale s’étend inévitablement à d’autres collectivités. Les éléments communiqués chaque année à la population ne suffisent plus à rassurer les administrés. L’Association des Maires de France (AMF) notait elle-même en 2010 qu’il était nécessaire de recréer ce lien de confiance entre les citoyens et leurs institutions locales en ce qui concerne la gestion des deniers publics. C’est donc bien la responsabilité de la collectivité entière qui est en jeu dans la communication de la gestion financière.

Se débarrasser des vieilles habitudes
Si cette situation est délicate, elle n’en est pas moins une occasion rêvée pour initier une véritable communication financière tant en direction des partenaires institutionnels que des administrés. Aujourd’hui, parce qu’elles sont contraintes de répondre à ces nouvelles attentes, les collectivités sont amenées à réfléchir sur leur stratégie financière et la conception qu’elles se font d’une bonne gestion.
Car si les classements existent, ils sont très différents les uns des autres : certains privilégient uniquement le volume de la dette existante alors que d’autres prennent en compte les investissements engagés et l’élasticité des emprunts contractés. Les élections locales récentes ont d’ailleurs soulevé ces problèmes de définition avec acuité et avec des points de vue divers, parfois opposés.

La nécessité de participer à un nouveau chantier
Les collectivités doivent donc engager ce nouveau chantier de la même manière qu’elles ont élaboré des stratégies et des communications sur les sujets économiques puis environnementaux. Elles doivent anticiper les nouvelles normes, comme l’imposition progressive des principes de la LOLF (loi organique relative aux lois de finance). C’est en se dotant de nouveaux outils, d’une vraie volonté de communiquer qu’elles pourront peser sur les acteurs qui influent sur leur avenir financier. Ce travail ne peut que crédibiliser la collectivité vis-à-vis de ses financeurs. Elle ne peut aussi que témoigner d’une prise de conscience attendue voire exigée par l’immense majorité des administrés.
Aujourd’hui encore, la communication financière reste une option voire un luxe. Demain, elle constituera une nécessité et sans doute un atout pour tous ceux qui auront compris les enjeux que suppose inévitablement un nouvel environnement.

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Chronique rédigée en collaboration avec Franck Jacquet