Démarchage par les experts-comptables : il est interdit d’interdire...totalement
Les experts-comptables ne peuvent se voir interdire totalement d’effectuer des actes de démarchage : telle est la solution retenue par la Cour de justice de l’Union européenne dans une décision du 5 avril 2011.
En 2007, l’entrée en vigueur du Code de déontologie des experts-comptables a provoqué quelques remous au sein de cette profession réglementée. Reprenant une interdiction mise en place par le Code des devoirs professionnels adopté par le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables en 1946, l’article 12 du Code de déontologie proscrit toute activité de démarchage, « quelle qu’en soit sa forme, son contenu ou les moyens utilisés ». Les experts-comptables ont ainsi interdiction de prendre contact, à leur initiative, avec de futurs potentiels clients en vue de leur proposer leurs services.Considérant cette interdiction absolue contraire aux règles prévues par la directive européenne du 12 décembre 2006 régissant le marché des services sur le territoire de l’Union européenne, dite directive « services », la Société fiduciaire a saisi le Conseil d’État pour faire invalider le décret d’homologation du Code.
Dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, qui permet à une juridiction nationale d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur l’interprétation ou la validité d’une norme européenne, le Conseil d’État a posé la question suivante : un État peut-il interdire de façon générale aux membres d’une profession réglementée telle que celle des experts-comptables de se livrer à des actes de démarchage ?
Pour la Cour de Luxembourg, la
directive « services » s’oppose à une telle réglementation. Il apparaît
en effet que l’Union européenne fait de la libre circulation des marchandises, des
personnes, des services et des capitaux, et de la liberté d’établissement
(articles 3 et 43 ce), deux principes
fondamentaux sur lesquels elle s’appuie pour favoriser la croissance économique
et la création d’emplois sur le territoire de l’Union. Ayant pour objectif de
permettre d’établir un marché des services libre et concurrentiel, la directive
« services » proscrit l’ensemble des interdictions totales visant les
communications commerciales des professions réglementées.
Sous cette réserve, les États membres
demeurent cependant libres d’encadrer le contenu et les modalités des
communications commerciales afin que celles-ci, selon les termes de la
directive, respectent les règles professionnelles « qui
visent notamment l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession
ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque
profession » (article 24).
Les règles édictées à cet effet
doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse
d’intérêt général et proportionnées. Elles ne peuvent être absolues et priver les
membres de la profession réglementée de toute possibilité de communication
commerciale. L’esprit de la directive « services » est en ce sens.
La Cour de justice de l’Union
européenne n’ayant pas compétence pour trancher le litige national dans le
cadre d’un renvoi préjudiciel, il appartient maintenant au Conseil d’État de se
prononcer à la lumière de la position de la Cour. Afin de se mettre en
conformité avec les normes européennes, le Code de déontologie des
experts-comptables devra être modifié pour qu’il cesse de prévoir une
interdiction totale des actes de démarchage mais une interdiction circonscrite
à certaines circonstances particulières.
Une interprétation extensive de la décision
de la Cour devrait conduire les autres professions réglementées telles que les
notaires, les commissaires aux comptes ou les avocats à suivre cette voie et à modifier leurs
règles déontologiques en ce sens.
Cette jurisprudence communautaire
ne serait-elle pas rapidement intégrée en droit interne, les règles de
déontologie des professions réglementées deviendront une source abondante de contentieux
futurs.