Le Groupe Lagardère a-t-il été délibérément dépouillé ?

En mars 2013, la publication des résultats du Groupe Lagardère pour 2012 a soulevé des doutes quant à sa solidité. Les choix financiers faits par la direction interrogent et remettent en question, au mieux, la compétence des gestionnaires, au pire, leur engagement à l'égard du Groupe.

En dépit d’un bénéfice consolidé chiffré à 89 millions d’euros, l’exposé du groupe Lagardère a de quoi éveiller les doutes. Car si les résultats du groupe sont redevenus positifs, ceux-ci flirtent encore avec la ligne rouge. Une situation que les gestionnaires semblent n’avoir toujours pas prise en considération à en juger par la détermination avec laquelle ils s’obstinent à vouloir privilégier les dividendes au détriment de la trésorerie.

Mais où vont les gestionnaires du Groupe Lagardère ?

En 2011, le Groupe Lagardère enregistrait 707 millions d’euros de perte. Après cette débâcle, les 89 millions d’euros de bénéfice annoncé pour 2012 auraient tôt fait de sonner comme la fin de la disgrâce pour le groupe de médias français. La direction de l’entreprise semble d’ailleurs tout à fait encline à le penser puisqu’elle annonçait au moment de la publication des résultats annuels sa volonté de maintenir le niveau du dividende à 1,30 euro par action. Une décision qui interpelle, car une lecture à peine approfondie des résultats de l’entreprise permet de conclure que le bénéfice par action ne s’élève en 2012 qu’à 0,70 euro et ne suffira donc pas à financer le versement de ce dividende.

Le management du Groupe Lagardère semble être convaincu du retour en force de l’entreprise. Mais à nouveau, cette analyse à de quoi laisser pantois. Car ce sont assurément les performances des sociétés hors groupe, Canal+ France et EADS notamment, qui tirent les résultats de Lagardère vers le haut. Dans le calcul du bénéfice, il ne reste plus grand-chose des 339 millions d’euros de résultats d’exploitation de Lagardère après déduction des pertes de valeurs sur les investissements (138 millions d’euros), des charges de restructuration (40 millions d’euros), et des frais d’acquisition (35 millions d’euros). Tout juste le groupe parvient-il à dégager de quoi payer lui-même ses intérêts et ses impôts (82 et 40 millions d’euros respectivement). Les 105 millions d’euros provenant de participations dans des sociétés tierces ont donc été les bienvenus!

La viabilité de la stratégie axée sur le sport business dont Arnaud Lagardère se fait le promoteur depuis qu’il est à la tête de l’entreprise reste toujours à démontrer. Mais la prudence ou même le doute ne semble pas faire partie des réflexes de survie des gestionnaires du groupe .

Et l’argent d’EADS ?

Le mardi 2 avril 2013, le groupe Lagardère annonçait qu’il vendrait ses parts dans le groupe Amaury pour la somme de 91,4 millions d’euros. Encore avant cela, le 7 mars 2013, la firme faisait savoir sa volonté de se désengager totalement d’EADS avant le 31 juillet de la même année. Le Groupe tire donc délibérément un trait sur son activité historique et l’une de ses principales sources de revenus en empochant une plus-value de 1,8 milliard d’euros. Pour financer un projet de développement ou un quelconque investissement peut-être ? Non ! Le développement est à l’arrêt sur ordre du Président : « Les produits de la cession seront consacrés à une redistribution exceptionnelle aux actionnaires et au désendettement », rapporte une dépêche Reuters.

Non contents de sacrifier les actifs les plus précieux du groupe – ses bijoux de famille diraient certains –, Arnaud Lagardère et son équipe semblent résolus à ne pas les réinvestir, s’en remettant à leur bonne étoile pour assurer l’avenir de groupe. Lagardère serait donc devenu le prototype de l’entreprise dont rêvent les financiers les plus obtus de ce monde : avec elle, pas besoin d’anticiper l’avenir, pas besoin d’investir, pas besoin d’innover, même pas besoin de produire ! Investisseurs, rassurez-vous : le Groupe est sur le point de réussir sa mutation en usine à dividendes, en une machine à cash dont tout le monde se fiche de la provenance, puisque personne ne peut la déterminer !

Lagardère : usine à dividendes ou essoreuse de dettes personnelles ?

 Si la gestion financière du Groupe Lagardère paraît incohérente, elle n’est pour autant pas incompréhensible. Concrètement, la direction puise dans la trésorerie du groupe pour financer les dividendes. Année après année, ces distributions excessives affaiblissent les capitaux propres d’un groupe qui s’appauvrit et hypothèque sa solidité financière. À bien y regarder, ce mode de fonctionnement n’arrange vraisemblablement aucune des parties prenantes du Groupe Lagardère. À qui profite ce choix de distribuer des dividendes anticipés sinon à Arnaud Lagardère lui-même ?
Lui qui détient près de 10 % de son entreprise via sa holding Lagardère Capital & Management se voit bien arrangé de ces distributions de dividendes. En effet, ne s’est-il pas endetté personnellement à hauteur de 400 millions d’euros en 2003 pour pouvoir augmenter sa part au capital de son groupe (et en garder le contrôle via son statut de commandite) ? Après tout, ce n’est pas la première fois qu’il parvient à faire gonfler coute que coute la rémunération de son titre qui a dégringolé depuis cette date. En 2011, le dividende avait été maintenu à 1,30 euro par action malgré un résultat affichant des pertes astronomiques et… l’opération était passée comme une lettre à la poste.

On peut sérieusement douter de la clairvoyance des gestionnaires de ce grand groupe de médias français quand on voit la légèreté avec laquelle ils semblent résolus à dilapider sa trésorerie. Est-il encore acceptable en 2013 qu’une entreprise choisisse de doubler artificiellement ses dividendes sans avoir justifié d’une augmentation de son bénéfice propre au moins aussi importante ? Est-il encore possible aujourd’hui d’enfumer à ce point les actionnaires en les appâtant avec de la trésorerie et en tapant dans l’assurance vie d’une entreprise au lieu d’investir dans son futur ? Cinq ans après la crise de 2008, on se prend à rêver que les investisseurs ont enfin compris que les valeurs qu’ils manipulent doivent être indexées sur des performances réelles et non pas comptables pour être solides, saines et durables. On se prend à rêver en effet, puis Lagardère arrive et réveille de mauvais souvenirs dont on se demande s’ils cesseront de nous hanter un jour.