Partie d’Amérique, la forward guidance fait école

Cette nouvelle forme de communication consistant pour les banques centrales à engager leur politique monétaire dans le futur, s’impose désormais au Royaume-Uni comme dans la zone euro.

Partie d’Amérique, la forward guidance fait école

L’arrivée de Mark Carney en tant que gouverneur de la Banque d’Angleterre (BoE), après cinq ans à la tête de la Banque du Canada, laissait entrevoir des changements, mais sans doute pas aussi rapides.
A l’issue de la réunion du 4 juillet 2013, la BoE a innovée à double titre. Elle s’est d’abord fendue d’un communiqué de presse, alors même qu’elle ne modifiait pas sa politique.
Elle a ensuite pris le contrepied des indices de conjoncture, nettement mieux orientés.
D’après la BoE « l’évolution de l’économie britannique ne fournit aucune garantie quant à l’évolution future des taux directeurs ». En clair, il est vain de spéculer sur une éventuelle date de sortie de la politique monétaire utra-accommodante.
Cette quasi forward guidance ne fait qu’en présager une plus formelle, qui serait annoncée en août.
La surprise a été bien plus grande lorsque Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (BCE) a lui-même annoncé que « les taux d’intérêt directeurs […] resteront à leurs niveaux actuels ou àdes niveaux plus bas sur une période prolongée ». Une conversion à la forward guidance qui va jusqu’au qu’au choix des mots, le qualificatif de « période prolongée » ayant été utilisé par la Fed dès 2009. Preter ainsi « serment d’allégeance » à la politique des taux bas un 4 juillet rappelle l’origine américaine de la forward guidance, adoptée en 2003 par la Fed, puis réactivée en décembre 2008.
De là à conclure que la BCE tente, sans le dire, de suivre la politique de la Fed, il n’y a qu’un pas.
Mais il semble impossible à franchir. La BCE n’est pas la Banque d’Angleterre. Ainsi, il est probable que s’il le juge nécessaire, Marck Carney annonce une augmentation des achats de titres par la BoE. En revanche, il semble de plus en plus improbable que la BCE tente cette expérience. Et l’annonce faite la semaine dernière rappelle celle faite il y a un an, soit l’introduction du programme OMT (Outright Monetary Purchases).
En résumé, la BCE tente de réitérer le succès de l’année dernière, qui avait permis une réduction marquée et durable des spreads intra- zone. Dans un premier temps, la forward guidance de M. Draghi a eu les effets (probablement) escomptés, avec un recul marqué de l’euro. Mais la publication des minutes de la réunion de juin du FOMC, en soulignant que la Fed n’avait pas abandonné son biais accommodant, aura eu raison du mouvement. L’euro, qui cotait à 1,30 dollar le 3 juillet et 1,28 le 9, a rebondi le 10, clôturant à 1,31 le 11.
Car comme l’a souligné il y a quelques semaines William C. Dudley, si la communication est essentielle pour une banque centrale, spécialement lorsque les taux sont proches de zéro, elle ne peut être suffisante. Lorsqu’une banque centrale ne peut plus utiliser ses taux directeurs pour détendre les conditions monétaires et financières, elle se doit d’utiliser d’autres outils, soit l’assouplissement quantitatif.
L’objet de l’OMT n’est autre. Mais les conditionnalités attachées sont si strictes que la probabilité de voir un jour sa mise en place effective est faible. Nous ne parlons pas ici de la désincitation d’un État à faire appel à l’aide européenne afin de permettre à la BCE d’acheter sa dette et ainsi détendre les taux d’intérêt. Mais plutôt de la condition quant à l’accès aux marchés financiers. Le cas portugais est alors un cas d’école : le pays est « sous programme » et les visites successives de la troïka se sont toujours soldées par des félicitations. Mais, à part quelques émissions et échanges de dette, le pays n’a toujours pas un accès total aux marchés financiers, ce qui explique pourquoi la BCE n’a pas lancé l’OMT pour ce pays. Les tensions politiques récentes ont ainsi conduit à une remontée des rendements obligataires qui aurait certainement pu être évitée en cas d’intervention de la BCE.
Si on veut faire preuve d’optimisme, on peut penser que l’annonce de la BCE empêche toute anticipation de hausse de taux dans un proche avenir, ce qui est bienvenu, car, rappelons-le, la BCE avait remonté ses taux à l’été 2011. Une vision moins positive de la situation serait de dire que la BCE a tenté une fois de plus de parler sans agir, ce qui, selon toute vraisemblance, a moins de poids.
Espérons seulement que personne n’appellera son bluff.
Ou peut- être devrions-nous l’espérer, ce qui pourrait l’obliger à agir…