Choix des grands patrons : l'Etat doit être stratège

La crise que traverse actuellement Air France le prouve une nouvelles fois : l’alchimie et l’équilibre entre le patronat et les syndicats d’employés sont fragiles. Choisir les grands dirigeants d’entreprises est un art délicat.

A plus forte raison lorsque l’Etat a son mot à dire. Entre liens politiques et stratégie économique, mieux vaut souvent jouer la carte de la stabilité.

Alexandre de Juniac dans la tourmente chez Air France

Depuis maintenant deux semaines, les nuits d’Alexandre de Juniac, PDG d’Air France, sont vraisemblablement très courtes. En poste depuis 2013, passé par le cabinet de Christine Lagarde au ministère de l’Economie, le polytechnicien et énarque fait aujourd’hui face à une terrible fronde de ses 4 700 pilotes. Ces derniers s’opposent farouchement à son projet de développement de la compagnie low-cost Transavia en une filiale européenne. En cause : le risque de dumping social entre les pilotes.

Un conflit qui coûte, pour l’heure, la bagatelle de 300 millions d’euros à la compagnie aérienne. Les passagers sont extrêmement mécontents, l’image de l’entreprise est sérieusement écornée. Pour mettre un terme au bras de fer, Air France a ainsi accepté de reculer et d’enterrer Transavia Europe. Mais n’ayant pas donné gain de cause aux pilotes sur leur volonté d’obtenir un contrat unique valant pour Air France et Transavia, le principal syndicat a décidé de ne pas signer l’accord. Les pilotes, à bout de souffle, ont donc décidé de reprendre le travail sans que la guerre avec Alexandre de Juniac ne soit véritablement terminée. Une épée de Damoclès pour le patron et la compagnie.

L’Etat actionnaire doit être stratège

A priori, les pilotes de ligne ne représentent pas la profession la plus virulente ou prompte à faire grève. Leur mouvement qui vient de s’achever est d’ailleurs le plus long de l’histoire d’Air France. Difficile dans ces conditions de ne pas blâmer le PDG de l’entreprise dans ce conflit. S’il est probable que les revendications des pilotes sont parfois contradictoires avec les contraintes économiques actuelles, il est également raisonnable de penser que la rigidité de la direction porte une part de responsabilité non négligeable.
Dans cette affaire, l’Etat, à tort ou à raison, a décidé de faire front avec Alexandre de Juniac. Manuel Valls allant jusqu’à juger la grève « insupportable » et à fustiger « l’attitude égoïste » des pilotes.
Voix de la raison ou nouvelle saillie libérale, l’avenir nous le dira. Mais en cas de turbulences d’une entreprise publique – ou semi-publique – l’Etat doit également prendre ses responsabilités. Air France appartient pour 15,9 % à la France.
A cet égard, le choix de l’équipe dirigeante revêt une importance singulière. Le tout est de concilier proximité de vues politiques et économiques et compétences intrinsèques. Un exercice jamais facile pour un gouvernement, quelle que soit son appartenance partisane. Et force est de constater que, dans la plupart cas, la sagesse s’impose avec le choix de la stabilité.

Le pragmatisme avant les considérations politiques

Cette stratégie a notamment réussi à Stéphane Richard, patron d’Orange. Proche de la droite, également passé par le cabinet de Christine Lagarde et inscrit sur la liste UMP à Bandol lors des élections municipales de 2008, il a été confirmé à son poste par le gouvernement socialiste.
Et ce, en dépit des lourdes accusations qui pèsent sur lui dans l’affaire de l’arbitrage favorable à Bernard Tapis dans son conflit l’opposant au Crédit Lyonnais. Stéphane Richard a été mis en examen en 2013, mais n’a pas été contraint à la démission par le gouvernement. L’avenir judiciaire nous dira si ce choix fut le bon, mais du point de vue économique, les résultats de l’entreprise demeurent solides, tout comme la satisfaction des employés, alors même que le marché des télécoms connait des soubresauts quasi-quotidiens. En point d’orgue : la chute de Bouygues, pourtant opérateur historique.
Dans la même veine, la question de la succession d’Henri Proglio à la tête d’EDF, entreprise stratégique s’il en est pour l’Etat français, s’annonce cruciale. Candidat à un nouveau mandat, M. Proglio, également lié à la droite, a de bonnes chances d’être reconduit dans ses fonctions. Fort d’un bilan financier positif et du soutien de la CGT, fait suffisamment rare pour être souligné, l’actuel dirigeant d’EDF s’est ainsi acquis l’appui du Premier ministre, mais aussi d’Emmanuel Macron, ministre de l’Economie et de Ségolène Royal, en charge de l’Ecologie et de l’Energie. Ses concurrents, peut-être échaudés par le plafond de rémunération fixé à 450 000 euros annuels, ne sont pas légion. En cette rentrée délicate où la paix sociale se fait rare, opter pour le changement paraitrait en effet fortement hasardeux et serait considéré comme un nouveau et étonnant volte-face économique de la part du gouvernement.