Kickstarter au sommet, la distribution ringardisée ?

Quinze millions. C’est la somme collectée en dix jours par la montre connectée Pebble Time sur la plateforme Kickstarter !

Et ce n’est certainement qu’un début car les internautes du monde entier ont encore plus de vingt jours pour soutenir financièrement ce projet. Etonnant ? Pas vraiment lorsqu’on prend le temps d’analyser les leviers actionnés sur la plateforme. Des leviers dont le secteur de la distribution aurait tout intérêt à s’emparer.
Créée en 2009, Kickstarter est une plateforme qui permet à des inventeurs de financer leurs projets auprès d’internautes appelés backers. Sur le site participatif, l’entreprise fixe le montant des fonds nécessaires au déploiement de son projet, la date butoir ainsi que les contreparties matérielles (le produit fini, un diner avec le concepteur, quelques goodies…). Une fois le seuil atteint, les backers reçoivent les cadeaux promis et les investissements continuent jusqu’à ladite date.

Autrefois plébiscitée par des créateurs de projets anonymes, la plateforme attire aujourd’hui des sociétés plus établies. Que viennent-elles y chercher ? Certes, des financements à moindre coût mais aussi : la garantie de l’intérêt des consommateurs pour le produit, la création d’un bouche-à-oreille pour préparer son arrivée sur le marché, et un canal de vente direct à forte marge (Kickstarter ne prélève que 5% des fonds collectés).

Si ces avantages incomparables pour les concepteurs justifient leur attrait pour Kickstarter, comment expliquer l’engouement des internautes ?

L’émotion et la gamification : le socle du succès de Kickstarter

Pour générer de l’engouement autour de leurs projets, les concepteurs misent sur l’empathie, l’émotion et la gamification avant et pendant la campagne ; l’objectif étant de créer un lien très fort, souvent irrationnel, avec le consommateur.

Avant l’opération, les créateurs mettent le paquet pour créer du bouche-à-oreille autour de leur initiative, en scénarisant leur présentation (on dévoile les photos, on explique le concept puis on le fait tester par quelques privilégiés) ou encore en créant le buzz grâce au soutien de célébrités (en début d’année Katy Perry a investi 5 000 dollars, via la plateforme, pour financer l’album du groupe de RnB TLC).

Durant cette phase, l’empathie est à son apogée : l’internaute découvre un projet dont les valeurs, le but ou l’usage épousent ses convictions ou ses besoins. Une fois créée, cette empathie est convertie en investissements financiers grâce à l’émotion et à la gamification.

Pendant les 20-30 jours de la campagne, un véritable arsenal d’outils marketing est mis à la disposition des concepteurs pour obtenir le soutien des backers :

- Les early bird. Ces bonus de précocité, fondés sur le goût universel pour l’exceptionnel, récompensent les premiers investisseurs. Ils constituent un levier émotionnel redoutable.

- Les stretch goals. Il s’agit d’objectifs financiers supplémentaires, supérieurs à la somme initialement fixée. Une fois atteints, ils donnent lieu à des cadeaux additionnels et à d’autres strech goals créant à la fois du suspens, de l’attente et une forte addiction.

- Les add-ons. Ces éléments payants, complémentaires de l’offre de base, augmentent le panier moyen tout en rythmant la campagne. Ce sont de féroces leviers dont la cible est les collectionneurs qui veulent s’offrir « l’offre complète ».

- Le community management. A la faveur d’une interaction permanente avec ses backers, via les outils de messaging, le concepteur créé une narration dans laquelle chacun d’entre eux a le sentiment de jouer un rôle incontournable allant jusqu’à influer sur le déroulement de la campagne.

Kickstarter, l’avenir de la distribution ?

Bien qu’il s’agisse d’un univers différent, caractérisé par l’achat et la revente et non par la conception, le monde de la distribution serait bien inspiré d’utiliser les mécanismes mis en œuvre sur Kickstater pour se réinventer. Pour une enseigne, une telle démarche viserait fondamentalement à fédérer autour de soi une communauté impliquée, exacerber le sentiment d’appartenance et créer une nouvelle relation avec ses clients. Cela étant dit comment opérer cette récupération ?

Première étape, créer de l’empathie en inscrivant ses clients dans une aventure ludique et collective grâce à des projets (principalement de prévente) dont ils épousent les valeurs et les objectifs.

Seconde étape, donner corps à ces desseins qui peuvent être protéiformes. Il peut s’agir de projets de prévente pilotés par l’enseigne elle-même ou en soutien à des talents/startups voire de projets externes à buts non lucratifs mais portés conjointement par les consommateurs et l’enseigne.

Concrètement, on peut imaginer :

- Une enseigne de sport (type Décathlon) faisant appel au financement de ses clients pour concevoir et lancer une nouvelle tenue de sport (100% biologique et intelligente) en phase avec leurs besoins (mesurer leurs propres performances) et leurs valeurs (respect de l’environnement).

- Une enseigne de la grande distribution (type Carrefour) jouant le rôle de plateforme d’investissement afin de soutenir financièrement un nouveau talent (type Michel et Augustin).

- Une enseigne bio (type Naturalia) s’associant avec ses clients dans une initiative commune pour développer des projets associatifs bio locaux. Une aventure collective au fort potentiel émotionnel et dont le soutien se ferait par l’intermédiaire de points de fidélité !

Ces exemples parmi tant d’autres illustrent le potentiel dont dispose le monde de la distribution, à condition de ne pas être statique ! Il se doit d’être vif, agile et dynamique en étant à l’affût des dernières initiatives dans le monde de l’innovation afin de pourvoir les intégrer et les adapter à son écosystème. C’est à ce prix que l’expérience client continuera d’être enrichie !