Beauté et bien-être seraient-ils en voie d’Uberisation ?

De plus en plus de sites et d’applications proposent des services bien-être et des soins beauté à domicile. Serait-ce une forme d’Uberisation du secteur ?

Autrefois, pour un massage, une manucure ou une coupe de cheveux, il fallait prendre rendez-vous et se rendre chez son professionnel. Ça, c’était avant. Désormais, quelques clics sur un site Internet, quelques pressions du doigt sur une application mobile, suffisent à faire venir n’importe quel prestataire, n’importe où. On ne va plus aux soins, ce sont eux qui viennent à nous. Le secteur du bien-être et de la beauté serait-il, lui aussi, en voie d’Uberisation ?


Quand « caring » et « sharing economy » se rencontrent

Pire que le virus de la grippe, c’est l’Uberisation : elle s’étend à toute allure et n’épargne personne, malgré les vaccins que tente d’inoculer un État débordé. Les foyers d’infection se comptent déjà par centaines et ne cessent d’augmenter. Bientôt, c’est toute la planète qui risque d’être touchée par une pandémie de services partagés et d’économie collaborative. Serait-ce la fin du monde ?

Du monde, non. D’un certain monde, sans doute. Celui d’une économie où les grands groupes et les corporations tiraient les ficelles de certains métiers, faisant la pluie et le beau temps (comprendre : fixant tarifs et qualité de service à leur bon gré). Poussée par une réalité économique dominée par la perte du pouvoir d’achat, l’Uberisation impose ses nouvelles règles. Mais la raison n’est pas seulement liée au portefeuille ; il y a, également, une inexorable attirance vers la « sharing economy », qui renvoie paradoxalement à des valeurs humaines oubliées. Le paradoxe, c’est que ce retour se fasse par le biais d’une technologie qu’on accuse traditionnellement de séparer les gens au lieu de les réunir. Or, que fait BlaBlaCar, sinon favoriser la sociabilité au sein d’une même voiture, quand la norme est à la conduite solitaire ?

Tous les secteurs sont touchés. Après Uber pour le transport, sont nés Cleanio pour le pressing, Helpling pour le ménage, Goot pour se faire livrer des bouteilles de vin à domicile. Même Amazon s’y colle, avec sa nouvelle plate-forme Flex, proposant au citoyen lambda de se faire livreur à ses heures perdues, sur la base d’un contrat de travail façon Uber. Mais c’est dans le secteur de la beauté et du bien-être que les choses semblent bouger le plus rapidement ces derniers mois. Comme s’il était plus que temps que la « caring economy », ce marché dédié à prendre soin de nous, rencontre la « sharing economy ».

Le bien-être vient frapper à votre porte

Désormais, l’Uberisation s’invite donc dans les maisons via les professionnels du massage, des soins esthétiques, du coaching sportif et de la coiffure. La mise en relation des ambassadeurs du bien-être et de leur clientèle passe par des sites et des applications de services à la demande qui trient les prestataires sur le volet, proposent des services moins coûteux, sur des plages horaires étendues, avec une grande mobilité des soins. Sur Unizen, plate-forme de référence en matière de bien-être et de soins esthétiques, un système de notation et de commentaires vient en outre garantir la qualité des prestations, comme on peut le faire ailleurs d’un hôtel ou d’un restaurant.

Tout le monde y trouve son compte : la femme débordée, qui peut programmer sa manucure à la maison un vendredi soir à 20h ; l’homme stressé, qui organise une séance de yoga au bureau entre deux réunions ; et les professionnels, qui peuvent pratiquer à leur gré et profitent d’un coup de projecteur qui n’implique ni budget publicité, ni location de locaux, ni angoisse du paiement qui se fait en amont du service.

On le constate : bien qu’ancré dans une certaine tradition, le secteur du bien-être et de la beauté n’est pas pour autant allergique aux évolutions technologiques. Internet et les applications mobiles bouleversent également les circuits conventionnels de communication et de distribution des soins du corps et de l’esprit. Le but ? Favoriser les échanges tout en dirigeant la clientèle vers des professionnels plus fragiles, plus discrets, habituellement écrasés par le poids des grandes enseignes.

Car l’Uberisation a un petit côté Robin des Bois : pour un Her Make Up Paris, qui propose des séances de maquillage réalisées par des professionnels prestigieux, il y a des dizaines de petits opérateurs qui, comme Domicil’Gym ou Manicult, privilégient les prestataires de proximité – ceux que vous avez du mal à trouver sur Google parce que leurs riches concurrents déploient une campagne de référencement agressive.

Les grandes enseignes se font coiffer au poteau

Considérons le seul secteur de la coiffure à domicile, avec quelques chiffres :

·        Une croissance constante depuis 10 ans ;

·        Une hausse de + 50 % entre 2014 et 2015 ;

·        90 000 personnes qui, chaque jour, se font coiffer à domicile ;

·        Un marché de 400 millions d’euros.

L’émergence d’une coiffure moins stricte qu’en salons n’épargne pas les communautés : à Paris, l’application NappyMe, qui met en contact les femmes afros, afro-caribéennes et afro-américaines, permet l’échange de services beauté et coiffure à des prix défiant toute concurrence. Lancée par de jeunes entrepreneurs d’origine africaine sortis des grandes écoles de commerce, elle vient bouleverser un marché jusque là tenu d’une main ferme par un réseau très structuré de salons.

De fait, Uberisation n’est en aucun cas synonyme de paupérisation. Et contrairement à ce que l’on peut penser, la raison d’être de ce développement est moins économique que conjoncturelle : certes, les tarifs plus accessibles y jouent un rôle, mais on voit avec Le Colectionnist pour l’hôtellerie (le AirBnb du luxe) ou Her Make Up Paris pour l’esthétique, que l’Uberisation concerne aussi les services traditionnellement réservés aux gros portefeuilles. Non, la cause première est sociétale : ces sites et applications ont su répondre aux rythmes effrénés de nos concitoyens, qui ne veulent plus se contenter de services aux horaires réglementés. Quand la journée active moyenne s’étire de 7h à 20h, il est en effet compliqué de trouver un créneau libre pour aller se faire couper les cheveux ou profiter d’une manucure. C’est sur ce terreau que le service sur-mesure a fleuri.

Les grandes enseignes de la beauté et du bien-être vont-elles bientôt râler, à l’image des taxis parisiens ? Y’aura-t-il un jour des manifestations de coiffeurs et d’esthéticiennes en colère dans les rues de la capitale ? Ou ces prestataires du bien-être, pourvoyeurs de bonheur physique et spirituel, auront-ils conscience que la « sharing economy » semble avoir été inventée pour le bien de leur business ?