Jeux vidéo et "Day One" : pas d'interdiction en référé de vendre le jeu plus tôt

Les éditeurs de jeux vidéo tentent de plus en plus d'imposer des dates de sortie fermes, que les détaillants sont censés respecter afin de faire en sorte que les nouveautés soient disponibles partout à la même date, et ainsi mettre un terme aux importations parallèles. Sans fondement juridique pour l'heure.

Le célèbre éditeur de jeux vidéo Electronic Arts, à l'origine de nombreuses séries à succès telles que les versions annuelles de "FIFA", référence en matière de simulation footballistique, n'a guère apprécié de voir la chaîne de magasins Maxxi Games mettre en vente le nouveau "FIFA 15" quelques jours avant la date de sortie qui avait été fixée au 24 septembre 2014 - pratique très commune chez les petits revendeurs de jeux vidéo. 

La société française de distribution d'Electronic Arts a donc assigné en référé d'heure à heure différents revendeurs sous l'enseigne Maxxi Games devant le Président du Tribunal de commerce de Lyon afin de leur voir interdire de vendre le jeu avant la date prévue. En défense, les revendeurs avaient tenté d'exciper de l'incompétence matérielle de la juridiction consulaire, au motif que les litiges relatifs aux droits de la propriété intellectuelle relevaient en réalité de la compétence du tribunal de grande instance.

Cependant, Electronic Arts Publishing n'invoquait pas de droits de propriété intellectuelle (y compris sur la marque "FIFA" dont l'éditeur est licencié), mais prétendait seulement que le non-respect de la date de sortie était constitutif d'une faute. Ce litige avait donc bien une nature purement commerciale.

Sur la question centrale du litige, Electronic Arts Publishing a partiellement obtenu gain de cause devant le Président du Tribunal de commerce, au motif que les jeux vendus par Maxxi Games étaient en réalité des importations d'Angleterre et comportaient donc des notices de jeu en anglais, non en français, en violation des dispositions de la Loi Toubon de 1994 sur l'emploi de la langue française. Les revendeurs s'étaient ainsi vu ordonner de retirer de la vente ces exemplaires du jeu.

Toutefois, en appel, par un arrêt du 31 mai 2016, l'ordonnance de référé a été infirmée et Electronic Arts Publishing a été déboutée de ses demandes. La Cour d'appel de Lyon a en effet considéré qu'il ne pesait aucune obligation sur les revendeurs Maxxi Games de respecter les dates de sortie des jeux, puisqu'ils n'étaient pas des cocontractants d'Electronic Arts Publishing, les magasins s'approvisionnant auprès d'autres sources. Selon l'arrêt, non seulement il n'était pas démontré que ces sources d'approvisionnement étaient illicites (Electronic Arts Publishing soutenait seulement qu'elles étaient "louches"), mais la société ne bénéficiait d'aucune exclusivité. 

Par ailleurs, les juges ont considéré qu'il n'existait aucun usage commercial tendant à respecter les dates de sortie des jeux fixées unilatéralement par les éditeurs : l'arrêt indique que rien ne permet "d'affirmer que le "day one" est un usage commercial établi dans le domaine des jeux vidéo, faute de preuve de généralité et de fixité qui sont constitutif de l'usage"

Dès lors, les juges ont considéré qu'il n'existait pas de trouble manifestement illicite justifiant l'action en référé, y compris d'ailleurs au regard des dispositions de la Loi Toubon.

La morale de cette affaire est qu'il sera de plus en plus difficile aux éditeurs d'imposer des dates de sortie officielles, sauf bien entendu aux distributeurs les plus importants, en particulier les grandes chaînes de distribution de produits culturels, qui sont, eux, liés par contrat et qui n'ont guère de choix s'ils veulent continuer à être alimentés. Il en résultera probablement une distorsion de concurrence qui ravira les amateurs de jeux vidéo trop pressés pour attendre le "Day One".