Linky, ou l’inévitable cristallisation d’une carence historique de communication

La polémique sur le compteur Linky n'en finit pas de secouer l'Hexagone. Pourquoi les Français ont-ils peur des compteurs intelligents d'ERDF? Cette crainte semble liée aux erreurs de communication du passé.

Imaginons qu’après avoir rempli notre réservoir d’essence, le pompiste nous dise au moment de passer à la caisse : "J’estime que vous avez versé 50 litres dans votre réservoir, veuillez payer 75 €. Pour le décompte exact, on le fera dans six mois." Absurde, inacceptable sans doute ! Pourtant, nous y sommes toutes et tous contraints depuis toujours pour ce qui concerne nos factures d’électricité et de gaz, les compteurs n’étant encore majoritairement relevés que tous les six mois. A l’heure où les technologies permettent de diffuser en temps réel au fin fond de la Patagonie le nombre de pas que nous faisons entre la machine à café et notre bureau, cette situation prête à sourire...

Tous les experts le savent et le bon sens nous le dit aussi : un client qui ne mesure pas ou ne connaît pas sa consommation réelle a tendance à consommer trop. C’est ainsi qu’a jailli l’idée de remplacer nos vieux compteurs par des appareils dits "intelligents". Tous les acteurs du secteur y vont vu un intérêt. Les gestionnaires de réseau (ERDF en France) pourront ainsi améliorer leurs services, réduire les coûts et les fraudes. Les fournisseurs proposeront de leur côté de nouveaux services plus innovants. Quant aux pouvoirs publics, ils verront la facture globale de la consommation d’énergie tricolore diminuer. Tout était propice à ce que ce projet, bénéfique à tous, soit de fait accepté par tous. 

Tout … ou presque. Car si les avantages de Linky ont été bien explicités, toutes les peurs exprimées ont été grandement sous-estimées. La décision de généraliser les compteurs communicants soulève des craintes qui touchent à la fois aux émissions électromagnétiques (la peur des ondes) et à la possibilité de décrypter la consommation des ménages (la peur des sondes). 

Concernant la peur des ondes, on peut certes dénoncer "une forme d’obscurantisme", pour reprendre les mots d’un des trois fournisseurs historiques français, mais on ne peut pourtant pas ignorer de telles craintes. Car au pays de Descartes, ces suspicions spontanées ne sont que les retombées compréhensibles des nuages de Tchernobyl, qui ne sont pas arrêtés aux frontières...

La peur des sondes n’est quant à elle certainement pas sans fondement : les données Linky permettent d’analyser certains éléments de comportement et de consommation des clients. La CNIL a d'ailleurs émis des recommandations strictes à cet égard. Tout a été pensé pour que ces données collectées, avec l’accord des clients, permettent d’apporter de nombreux nouveaux services aux usagers.

En matière d’énergie, les innovations sont aussi nombreuses qu’évidentes. La première est évidemment la facturation réelle sur consommation réelle. On peut aussi citer la capacité à mieux conseiller les clients sur la manière de consommer. Le potentiel est énorme : plusieurs études économiques montrant que les clients pourraient réduire leur consommation de 10 % voire plus avec des services innovants basés sur ces nouveaux compteurs. De quoi compenser largement l’équivalent de la production de la centrale de Fessenheim. 

La France dispose d’atouts, en particulier son opérateur de réseau unique et indépendant. Elle peut voir naître des opérateurs innovants qui pourront demain être des champions mondiaux. Il suffirait pour cela non pas d’ignorer les craintes des nouvelles technologies mais de faire prospérer les atouts qu’elles peuvent aussi receler.

Suite aux pressions des opérateurs alternatifs historiques, ERDF a récemment changé de nom et engagé en conséquence une campagne de publicité coûteuse pour faire connaître le nouveau : énedis. On peut regretter que ces sommes n’aient pas permis de financier une campagne d’information publique sur Linky, dans laquelle les fournisseurs comme les autres parties prenantes qui s’opposent au projet auraient pu exposer leur point de vue. Mais n’est-il pas encore temps de s’y employer avant que la peur des ondes et des sondes ne se transforme en fronde ?