Les enseignes étrangères débarquent en France

Les enseignes étrangères ont parfois mis du temps à se décider. Mais depuis 2010, ça y est : elles s’installent massivement en France. Le consommateur est ravi. Les promoteurs de zones commerciales, aussi.

Le phénomène a pris une ampleur inédite depuis les années 2010 : la France, qui présentait depuis longtemps un marché stable en termes d’enseignes a connu une vague d’arrivées massives. Bien sûr l’émergence des petits réseaux de franchises, encouragée par les reconversions après la crise de 2008, joue un rôle important, mais elle n’est pas la seule. Les enseignes étrangères, souvent ancrées de longue date dans leurs pays d’origine, se lancent massivement à l’assaut du marché français, provoquant un afflux massif de nouveaux noms en quête d’implantation. En cause, la nature du marché français, mature et équilibré, souvent présenté comme un bon test d’entrée sur le marché européen avantagé par une région capitale, l’Ile-de-France, représentant un bassin de consommation sans équivalent sur le continent, idéal pour le lancement de magasins pilotes. Le phénomène touche assez uniformément les réseaux de succursales, les réseaux de franchises, et les réseaux mixtes (qui sont les plus nombreux). Il ne modifie donc pas substantiellement la répartition et le poids de ces différents types de réseaux. En revanche il accompagne la transformation des structures de distribution. D’un côté, l’activité des grandes surfaces alimentaires continue de décroître. De l’autre, les magasins spécialisés en biens culturels et de loisirs et le commerce d'équipements de la personne progresse. Depuis 2011, les GSS (Grandes Surfaces Spécialisées) continuent de gagner des parts de marché à un rythme plus soutenu que l'ensemble du commerce non alimentaire spécialisé.

Des succès fulgurants

Les succès les plus flagrants sont ceux des chaines étrangères d’habillement. Arrivée en France en 2014, la marque néerlandaise de cosmétiques et décoration Rituals compte aujourd’hui pas moins de quarante magasins dans tout le pays avec un gros faible pour les Galeries Lafayette, les grandes artères commerçantes, ou les centres commerciaux de centre-ville comme les Halles à Paris ou la Part-Dieu à Lyon. Même appétit de New Yorker,  la marque de mode allemande, comme son nom ne l’indique pas, spécialisée sur le streetwear. A peine implantée, elle compte déjà une trentaine de magasins dans le pays, essentiellement dans les gros centres-commerciaux de périphérie proche. Boostées par la success story de Zara, de plus jeunes enseignes espagnoles débarquent en France. Ainsi Punt Roma a ouvert 55 magasins en trois ans ! La marque de prêt-à-porter féminin, qui s’est spécialisée dans l’accès aux grandes tailles, privilégie une stratégie mixte, centres-villes et centres-commerciaux de périphérie, notamment dans le cas des centres-villes dévitalisés. Avec un positionnement complètement différent, des marques comme Karl Marc John participent pleinement de ce mouvement. Depuis la création de la marque en 2010, par un groupe au départ spécialisé dans le négoce en tissu pour les fabricants et les centrales d’achat, le succès ne s’est pas démenti. Le réseau, créé en 2012 est passé de 5 boutiques à plus de 80 aujourd’hui, toutes localisées en centre-ville, en cohérence avec le positionnement haut-de-gamme de la marque. Karl Marc John privilégie des collections réduites (130 pièces peu ou prou), haut de gamme sans être hors de prix (50 à 70€ en moyenne). Une autre stratégie, une autre cible. Un même résultat.

Le phénomène Primark

Mais c’est d’Irlande que vient une des enseignes les plus « successful » du moment avec Primark, qui inaugurait récemment son dixième magasin en France, à Évry. Il faut dire que le géant celte développe une stratégie ‘’Zara Low Cost’’ qui a tout du rouleau compresseur commercial. Des magasins d’au moins 4.000m² qui en font de véritables ‘’supermarchés de la mode’’, des collections tendances, indexées sur la mode du moment, qui se renouvellent régulièrement, et surtout des prix cassés (5 euros en moyenne). Chaque magasin gère ses stocks de manière autonome, de façon à pouvoir s’adapter à la demande locale. Incontestablement Primark a compris ce qu’attendait sa cible : des pièces classiques et/ou tendances à portée des bourses modestes : 11 euros pour des sneakers blanches, 8 euros pour un pull, un jean, un chino ou une robe, 3 euros pour un tee-shirt ou des lots de chaussettes. De quoi habiller toute la famille, et se faire plaisir sans se ruiner. Et tant pis si la qualité n’est pas extraordinaire… à ce prix-là, ça se remplace !

Tout est pensé pour limiter les coûts : de grands portants et des bacs où les vêtements sont laissés un peu en vrac, tâche pour le client d’aller fouiller pour trouver sa taille ou sa couleur. Des emballages minimalistes, pas de musique, et bien sûr, des produits sous-traités au Bangladesh, livrés en très gros volumes. En trois ans, et avec seulement dix points de ventes, la marque s’est imposée dans la cour des grands. Elle annonce vouloir en ouvrir une quarantaine dans le pays, mais qui peut dire où s’arrêtera l’enseigne qui ne possède déjà pas moins de 200 magasins dans les îles britanniques ? Une chose est certaine, cette adepte des mégas centres commerciaux de périphérie, seuls espaces où elle peut déployer son gigantisme, n’en a pas fini d’avaler des m² aux portes de nos villes.

Textile, restauration, beauté… Tous les secteurs sont concernés

Et le phénomène ne se limite pas au seul secteur de la mode. Après une première tentative d’implantation, Burger King a décidé en 2012 de tenter à nouveau sa chance en France en inaugurant un premier restaurant à l’aéroport de Marseille Provence en décembre 2012, puis un second gare saint Lazare en 2013. Le succès est fulgurant. Vingt et un restaurant fin 2014, 94 fin 2016. Et le roi du Burger ne semble pas pressé de ralentir le rythme. Rachetant fin 2015 l’enseigne Quick, elle les remplacera progressivement par sa propre enseigne, avec pour objectif d’atteindre les 400 restaurants à terme.

Ce succès ne doit pas occulter le pullulement de petits réseaux de franchises à concept, dont le plus emblématique est sans conteste Bagelstein. Le roi du bagel satirique fondé en 2011 continue sa croissance effrénée, porté par le succès de sa communication décalée et de sa formule ‘’préparé sous vos yeux’’, avec aujourd’hui plus de 70 restaurants, en centre-ville.

Les chaînes d’instituts de beauté comme Carlance ou Unlimited Epil connaissent également une croissance exponentielle de leurs points de vente, passés en quelques années d’une poignée à une cinquantaine pour le premier et une quarantaine pour le second, dans leur immense majorité implantés dans des zones commerciales d’entrées de villes, ce qui dénote d’une stratégie de rentabilité, couplée à une image ‘luxe accessible’, qui semble faire ses preuves.

Un impératif : trouver des emplacements… et de la surface

Toutes ces enseignes n’investissent pas les mêmes secteurs. D’un côté les marques au positionnement chic et haut-de-gamme privilégient les artères commerciales les plus en vues et les centres commerciaux de centre-ville. Prêtes à investir de gros montants pour assurer la réussite de leur lancement hexagonal, elles contribuent à la flambée des prix du foncier commercial de centre-ville, en raison notamment de la faible élasticité de l’offre dans ces zones très denses souvent déjà saturées. Mécaniquement, les plus petites enseignes, les commerçants indépendants, les services de proximité, sont poussés vers les centres-commerciaux de périphérie qui leur promettent des tarifs nettement inférieurs, et une clientèle importante par leur capacité d’attraction sur une vaste zone de chalandise.

Parallèlement, les marques positionnées sur le moyen et le bas de gamme et dont les magasins  sont souvent gigantesques, favorisent, elles aussi, les zones commerciales de périphérie qui, seules, ont la capacité de les accueillir. Ces méga-centres sont donc toujours plus gros, toujours plus attractifs et toujours plus rentables. Dans ces conditions, peu importe que la conjoncture soit morose. Si les ambitions des enseignes étrangères ne font pas nécessairement la joie de leurs concurrentes françaises, elles entretiennent la pression sur le foncier commercial et font les affaires des promoteurs de zones et de centres. Et ce n’est qu’un début…