Comment les robots influencent aussi la valorisation des entreprises

La valorisation des entreprises technologiques a toujours été un exercice complexe. L’exercice devient aujourd’hui encore plus périlleux, avec le développement des bots.

Pour démarrer, rappelons-nous de nos cours de finance... Afin d’évaluer les entreprises technologiques de premier plan, les analystes financiers ont recours à différentes techniques, mais le modèle d’actualisation des flux de trésorerie disponibles a généralement leur préférence (modèle dit DCF, "Discounted cash flow"). 

Concrètement, la valeur de l'entreprise correspond à la somme de la valeur actuelle des flux de trésorerie disponibles sur une période explicite (dix ans le plus souvent) et de la valeur "terminale" de l'entreprise. Si la projection des flux de trésorerie sur les prochains exercices est un exercice à peu près cadré, la valeur terminale est toujours très difficile à estimer car elle se situe dans un horizon où les prévisions actuelles ne sont plus pertinentes.

Pour des entreprises de croissance, la valeur terminale est toujours la composante principale dans la valorisation. Ainsi, 75% de la valeur d’une entreprise technologique cotée peut provenir de celle-ci. A titre comparatif, pour une entreprise d’un secteur plus mûr, la valeur terminale ne représente souvent que 50% de la valorisation.

Cela explique pourquoi les analystes financiers accordent une très grande importance à la vélocité, c’est-à-dire à la croissance du nombre d’utilisateurs. La capacité d’une entreprise à faire grandir son réseau est un excellent indicateur du potentiel à long terme. C’est donc le meilleur proxy pour objectiver cette valeur terminale.

Dernièrement, le titre de certaines entreprises s’est vu sanctionner durement en Bourse, suite à une performance décevante. C’est ce qui s’est passé pour Twitter avec une croissance nulle du nombre d’utilisateurs, entre le premier et le deuxième trimestre 2017. De la même manière, Snapchat a perdu 16% de sa valeur début novembre, après avoir publié des chiffres de croissance en-deçà des attentes. De son côté, Facebook a réussi à accélérer sa croissance, en passant de 1 à 2 milliards d’utilisateurs en moins de cinq ans, ce qui a été salué par les analystes financiers.

Mais, la croissance des utilisateurs n’est pas une métrique auditable avec autant de rigueur que les résultats financiers. Il n’y a pas encore de norme GAAP ou IFRS pour assurer leur reporting.  Evidemment, il y a des comptes doublons (une personne ayant plusieurs profils) et a contrario des comptes familiaux (un couple utilisant le même profil par exemple). Connaître exactement le nombre d’utilisateurs réels est donc un exercice impossible.

Le problème devient plus sérieux aujourd’hui avec la généralisation des robots. Cela fait bien sûr courir un risque pour la démocratie, avec la propagation des "fake news" (fausses infos, en bon français). Mais, ce développement pose également un gros problème pour la valorisation des entreprises. Une étude menée par l'université de Californie du Sud suggérait que les comptes automatiques représentaient entre 9% et 15% des comptes Twitter actifs. Dans ces conditions, comment évaluer la vélocité réelle de l’entreprise ? Et, le problème concerne toutes les plateformes. Le cas d’Ashley Madison reste sans doute l’exemple le plus célèbre. Lors du piratage des données en 2015, on découvrit que 99% des profils féminins de ce site de rencontre étaient des faux.

A terme, afin de prévenir tout risque de manipulation, journalistes spécialisés et analystes financiers devraient donner plus d’importance à d’autres métriques, par exemple au nombre d’utilisateurs "engagés" réellement avec le service. Par ailleurs, ils devraient accorder plus de place aux études réalisées par les cabinets externes et indépendants. Sans quoi, étant donné les montants en jeu, d’autres mini-krachs sont à attendre sur les marchés financiers…