Pourquoi les fintech françaises sont désavantagées en Europe

Si de nombreuses fintech françaises développent des technologies à la pointe, elles se retrouvent néanmoins désavantagées face aux fintech européennes. La raison : la réglementation française est plus complexe que celles de ses voisins.

"Bien réglementer" est devenu un enjeu d’attractivité en soi pour les nations en Europe et la France pourrait avoir une place de choix. L’Autorité bancaire européenne (ABE) quitte bientôt Londres, la capitale européenne de la finance pour s’installer à Paris.
Dans cette course à l’acquisition que se livrent les fintech, l’enrôlement du client est central. En tirant parti de solutions automatisées de vérifications des données, les banques et autres établissements bancaires répondent plus efficacement aux exigences liées à la connaissance de leurs clients. Force est de constater que suivant le pays où la fintech est régulée, la réglementation imposée n’est pas la même. En France, par exemple, le processus imposé traduit une expérience utilisateur moins fluide car le régulateur demande plus d’informations au moment de l’ouverture d’un compte. Non seulement l’expérience utilisateur est plus complexe, mais cela affecte également directement le taux de transformation des clients. Lorsqu’un tunnel de souscription demande de valider trop d’informations qui ne peuvent pas être pré-saisie, la perte sur le taux de transformation est de l’ordre de 30%.
Le Know your customer (KYC)  
De nombreux solutions de KYC tels qu’ IDnow, Greenpoint, Scanovate, Jumio, Ariadnext, Contego, Onfido, Tradle ou Trulioo permettent ainsi aux banques et fintech de rendre le processus d’onboarding client, à la fois plus rapide (grâce à des contrôles en temps quasi réel), plus convivial (car accessible à partir de n’importe quel appareil) et surtout beaucoup moins onéreux (demande moins d’intervention humaine).Ces outils de collecte de KYC permettent d’améliorer le taux de transformation (des ouvertures de compte) à la condition que :

  • La décision d’ouverture de compte soit binaire. L’accord ou le refus d’ouverture doit être immédiat.
  • La décision doit être rapide
  • Le nombre de documents nécessaires pour l’ouverture doit se limiter à un document d’identité (passeport, pièce d’identité ou titre de séjour)

Pour mieux comprendre les différences et les enjeux de réglementation inter-pays, il suffit de se pencher sur quatre fintech européennes qui se positionnent comme des néobanques, mais sont issues de pays différents : le Compte Nickel (France), N26 (Allemagne), Revolut (Royaume-Uni) et Anytime (France).Lorsqu’une seule pièce d’identité est demandée par N26 (via un système de vidéo conférence) ou par Revolut (photo avec son smartphone de la pièce d’identité), là où, pour le Compte Nickel, il suffit de scanner sa pièce d’identité auprès de son buraliste, il faut jusqu’à  deux pièces d’identité et un justificatif de domicile pour ouvrir un compte dans une fintech française telle qu’Anytime (ou une pièce d’identité, un justificatif de domicile et un premier virement depuis un compte ouvert à son nom).
Pourquoi de telles différences ?
Historiquement les règles d’ouverture de compte reposent sur un tête-à-tête entre un banquier qui vous pose beaucoup de questions et un client. Le banquier en tant qu’agent a le pouvoir de vérifier votre pièce d’identité et de s’assurer de votre identité. Pour le régulateur, l’enjeu majeur est de s’assurer que dans le cadre d’une ouverture de compte 100% en ligne, la vérification de l’identité du client soit optimale.

Pour répondre à la question de la digitalisation de l’entrée en relation avec un client, la BaFin (régulateur en Allemagne) a validé l’authentification d’un client par vidéo chat. Malheureusement après deux ans de discussion, la France n’a pas encore autorisé ce processus. N26, régulée en Allemagne s’appuie donc sur ce modèle pour embarquer des clients. En France, l’ACPR valide chaque buraliste présenté par Compte Nickel et leur donne le statut d’agent, (ce qui lui donne le pouvoir de s’assurer de l’identité d’un client en vérifiant que la pièce d’identité appartient bien au titulaire du compte). En revanche lorsque le processus de souscription est 100% en ligne, aucun agent n’est là physiquement pour vérifier la pièce d’identité, ce qui entraîne une lourdeur dans le processus de souscription online.

Quelle est la conséquence en France ? Selon une étude menée par Thomson Reuters, les banques britanniques dépensent en moyenne 47,8 millions d’euros par an pour la mise en conformité du KYC. En France, le processus est tellement lourd que le coût du traitement du KYC est estimé à 384% supérieur, ce qui pose un problème de rentabilité pour les fintech et pour les banques françaises.    
En France, le régulateur demande deux pièces d’identité et un justificatif de domicile daté de moins de trois mois. Donc au minimum  trois documents par ouverture de compte. Prés de 60% des clients renvoient au moins un document qui n’est pas conforme.
Les best practices à mettre en place pour un onboarding optimal  
La première étape est la mise en place d’un processus d’onboarding client qui facilite l’expérience utilisateurs. Une seule pièce d’identité devrait être demandée, à l’instar de règlements dans certains pays européens. Ensuite, l’idéal serait de remplacer le justificatif de domicile par une vérification probante de l’adresse du porteur. Par exemple en expédiant sa carte de paiement directement à son domicile, par la saisie d’un code alphanumérique envoyé en lettre recommandé ou encore par une vérification par les services de la Poste. Pour faciliter le traitement des documents d’identité, il suffit de mettre en place une certification qui valide des sociétés spécialisées dans le traitement de documents d’identité : en acceptant la reconnaissance du KYC vidéo chat, par exemple. 

La création d’un compte digital personnel prend également tout son sens. Cela permettrait d’avoir accès à une base commune de KYC. Le numéro de sécurité sociale permettrait ainsi d’accéder aux documents nécessaires à une entrée en relation avec le client.Enfin, la création d’un fichier commun d’incidents AML et de lutte contre la fraude permettrait d’appréhender les risques relatifs à l’ouverture d’un compte et à l’utilisation de services financiers. En partageant ainsi les données collectées et en offrant la possibilité à chaque banque et fintechs de déposer des incidents AML, la lutte contre la fraude serait à la fois plus efficace et moins coûteuse.

Dans une récent article publié par les Echos le 5 Janvier, l’ACPR constatait que la digitalisation des services financiers serait une menace car "le vieillissement de la population va élargir à beaucoup de Français la problématique d’accès effectif aux services bancaires". Fort de ce constat, pourquoi ne pas simplifier le processus de souscription ?Portée par la Loi Macron facilitant la mobilité bancaire, la digitalisation bancaire est un enjeu majeur en 2018 pour les banques. Or, la première étape pour accéder aux services bancaires est le passage obligé du KYC. Pour faciliter l’usage des nouvelles technologies, il est donc nécessaire de simplifier, fluidifier et faciliter l’inscription des clients. 

Comment expliquer qu’une fintech française, qui délivre des IBAN FR, supervisée en France, se retrouve clairement désavantagée face à d’autres fintech allemandes ou anglaises qui délivre des IBAN en DE ou GB ? De plus, le vieillissement de la population impose un nouvel enjeu de taille. Une part importante de ces personnes pourrait en effet se retrouver en situation d’exclusion bancaire, non par absence de comptes mais par impossibilité de faire usages des services associés. Dans ce contexte, les banques et les fintech doivent discuter collectivement et non individuellement avec le régulateur pour trouver les moyens de traiter ce sujet suffisamment en amont.