Un an après le lancement de la DSP2, où en est l’open banking en Europe ?

L’entrée en vigueur de directive européenne sur les services de paiement oblige les banques à partager les données de leurs clients à des entreprises tierces. Face au bouleversement des douze derniers mois, où en est le secteur ?

La DSP2 est entrée en application officiellement depuis un an. Les banques européennes doivent désormais ouvrir les données de paiement de leurs clients à des tiers. A condition qu’un client donne son accord, une entreprise pourra accéder à ses comptes et faire des opérations de paiement à sa place. Dans ce contexte, les banques peuvent se retrouver désintermédiées, c’est à dire ne plus être en contact avec leurs clients. Pour faire face, celles-ci ont commencé à redéfinir leurs organisations autour du concept d’open banking. Qu’en est-il réellement ? 

Pour le moment, les principaux acteurs de la place se montrent frileux dans l’ouverture de leurs données. Ces dernières sont le moteur de la production de valeur financière. De surcroît, les initiatives des précurseurs, comme le Crédit Agricole avec son store ou plus récemment Arkéa avec son assistant financier virtuel Max s’appuyant sur une librairie d’applications, rencontrent pour le moment un succès mitigé. 

Pourtant, les banques font face à une concurrence accrue et la perte de monopole sur leurs ressources clés, les données financières de leurs clients. Ainsi, des nouveaux entrants, comme les fintech de gestion de finance personnelle (PFM) ou les néobanques, cherchent à profiter de cette ouverture pour devenir l’unique point d’entrée des clients et remplacer, à terme, les banques. Ce manque de réactivité pour les banques traditionnelles, face un danger bien réel d’extinction, provient du changement radical qu’implique l’open banking. 

Les GAFAM comme modèle économique 

Si Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft ont su tirer un maximum de profit de l’ouverture de leurs données et de leurs services à des tiers, ils ont mis en place différentes stratégies selon leur situation à un moment sur leurs marchés respectifs. Ces stratégies tournent principalement autour de deux axes : "l’apisation" de l’entreprise et la mise en place de magasins d’applications ou App Store. 

L’apisation des services d’une entreprise est l’ouverture et la monétisation de ses ressources à l’aide d’API, programmes permettant l’accès sécurisé à un tiers. Outre l’aspect technique évident, le développement de ces applications au sein de son système d’information, chacune doit être pensée comme un produit à part entière avec une stratégie commerciale définie. Par exemple, Dropbox, application de stockage de documents numériques personnels, s’appuie sur le service "apisé" de stockage de données d’Amazon. Cette entreprise en est d’ailleurs le modèle de référence. Elle s’appuie à la fois sur un accès public à ses interfaces à partir d’une plate-forme web ainsi qu’un fort réseau de développeurs. Ces derniers pouvant être des leaders d’opinion au sein de leur entreprise, ils facilitent la construction de nouvelles collaborations en promouvant en interne l’usage de ces services.

Avec son App Store, l’iPhone a tout simplement révolutionné ce que pouvait faire un téléphone portable. La différence s’est faite à la fois sur l’image d’innovations que véhiculent la marque, et surtout sa capacité à proposer un grand nombre de killer apps, ces applications attirant un maximum de consommateurs, dans son magasin. Celles-ci sont essentielles à la réussite de tout App Store. Elles amènent l’audience nécessaire à leur rentabilité par la publicité ou par l'utilisation de leurs données. Google, avec Gmail et ses 540 millions de membres, se rémunère sur la monétisation des informations de ses usagers à des tiers pour de la publicité ciblée. 

Chaque "grand" du web a construit son ouverture digitale selon sa propre trajectoire, favorisant l’apisation de leurs services ou le développement d’app store selon leur situation sur le marché à un moment. Par exemple, Google, possédant dès ses débuts un grand nombre d’applications phares telles que Google Maps, a d’abord lancé sa plateforme d’applications. Plus tard, et afin de se rémunérer sur ses applications gratuites, une plateforme d’API permettant la commercialisation de leurs technologies. A l’inverse, Amazon afin de diminuer le coût de ses infrastructures informatiques et logistiques, a cherché à les apiser quasi dès sa création. Et ce n’est qu’une dizaine d’années après, pour son projet fire phone que son premier app store a été conçu.

Dans le monde, comme en France, un mouvement qui prend de l’ampleur 

Outre-Atlantique, Citigroup a déjà pris le chemin de l’ouverture digitale de ses données et de ses services financiers à des tiers. La banque américaine a lancé début 2017 sa plateforme d’API. Une centaine de services ont été déployées sur 90 pays. Greg Baxter, ex monsieur innovation de l’entreprise à l’initiative du projet, l’avait alors bien compris : "[...] Citi étant la banque des multinationales, [son] objectif est de devenir une plateforme pour le commerce mondial". La synergie entre l’ADN du groupe, et sa stratégie de plateformisation est déjà très prometteuse. En à peine un an, c’est plus de 18 millions d’appels sur les services de paiement et des partenariats internationaux notables, comme celui avec Deliveroo pour les services de gestion de trésorerie

En Europe, BBVA et HSBC ont suivi le mouvement, plus timidement. Ces banques cherchent au travers des projets comme l'open-bank project au Royaume Uni, ou le groupe de Berlin en Europe, à normer le marché avant de s’y lancer. De la même manière en France, la STET - consortium gérant les échanges interbancaires de la Place - définit les grands principes de cette ouverture. Elle a d’ailleurs sorti en mai 2018 la dernière version de son guide sur les spécifications techniques des API de paiements et compte publier en septembre 2019 un rapport pour le faire converger avec ceux des autres pays de l’UE. 

Enfin, BPCE et la Société Générale suivent la tendance et lancent leur projet d’apisation. Crédit du Nord, filiale de la Société Générale, s’oriente spécifiquement sur de l’app store misant sur l’attractivité d’une banque "Lego". Ces derniers espèrent ainsi séduire les consommateurs par le côté sur-mesure qu’offre une telle démarche. Quelle stratégie sera profitable à court terme ? Cela dépendra de beaucoup de facteurs, comme la e-réputation de la marque, la position sur le marché et le type de clientèle. La seule certitude, alors que la DSP2 souffle sa première bougie, est que les cartes seront encore redistribuées.