La bataille secrète des banques pour mettre la main sur la blockchain

La bataille secrète des banques pour mettre la main sur la blockchain La technologie derrière le bitcoin a le potentiel de rebattre les cartes du monde financier. L'établissement bancaire qui imposera sa solution deviendra le maître du jeu.

La lutte est ouverte pour déterminer qui contrôlera les futures blockchains dédiées au monde bancaire. L'enjeu est de de taille: "La blockchain pourrait entraîner des transformations profondes dans certains métiers du secteur bancaire et changer la donne entre les acteurs, raconte Nicolas Chatillon, directeur du développement fonctions transverses du Groupe BPCE. Tous mettent en place des stratégies."

La technologie reposant sur l'adoption, "il faudra adhérer aux standards les plus en vogue et diffusés", renchérit Frédéric Dalibard,  responsable du digital de la banque de grande clientèle de Natixis, filiale du groupe BPCE. "Mais quitte à participer au système blockchain, les banques préfèrent participer à la construction des standards pour ne pas se les faire imposer".

"Le propriétaire du système pourra faire payer un droit d'entrée"

Les technologies qui s'imposeront ne seront probablement pas des blockchains publiques, ouvertes à tous et visibles par tous comme le Bitcoin, mis à part pour certaines applications précises. Les régulations propres au système bancaire imposeront des protocoles sur lesquels l'identité des acteurs est certifiée et nécessiteront donc la centralisation d'une partie de l'autorité pour gérer les droits des participants.

Autrement dit, "celui qui prendra le leadership sur le système pourra gérer les flux de A à Z et l'ouvrir ou non à d'autres acteurs bancaires", décrit Nicolas Chatillon. Avec potentiellement des gains considérables à la clé. "On peut imaginer que le propriétaire du système fasse payer un droit d'entrée pour démarrer les noeuds ou bien les tokens pour réaliser des transactions", ajoute Adrien Lafuma, consultant chez Labo Blockchain.

Résultat : plusieurs consortiums ont vu le jour pour tenter de créer le futur système de référence. A échelle mondiale, 42 banques travaillent au sein de R3 pour tester des blockchains sur des applications diverses. En France, l'initiative de la CDC regroupe des acteurs bancaires, des assureurs, des start-up spécialisées et des acteurs publics. La fondation Linux a aussi créé un projet open-source, Hyperledger, auquel participent plusieurs banques dont JP Morgan et Wells Fargo ainsi que le prestataire de paiement Swift. "Le problème, c'est que les consortiums avancent lentement puisque les acteurs et les intérêts sont multiples, note Adrien Lafuma. Ils risquent d'avoir du mal à sortir une bonne solution technique."

"Les banques travaillent en parallèle des consortiums sur leurs propres projets"

Pour pallier la lenteur des consortiums, toutes les grandes banques travaillent donc en parallèle sur la blockchain. "Elles peuvent avancer plus vite vers une bonne solution technique", reconnaît Adrien Lafuma. "Les banques veulent s'approprier la technologie encore plus fortement que dans le consortium et évangéliser davantage de collaborateurs, analyse Frédéric Dalibard. Elles se disent aussi que si la stratégie de leur groupe bancaire ne fonctionne pas, elles auront un plan B." En France, par exemple, BNP Paribas a lancé plusieurs "proofs of concepts" sur diverses applications et technologies.

Certaines grandes banques mondiales travaillent ainsi avec l'ambition de "gérer de bout en bout l'ensemble de la chaîne de valeurs", analyse Nicolas Chatillon. "Elles essayent de monter des systèmes privatifs, parfois avec une crypto-monnaie. L'idée étant, à terme, d'inviter d'autres acteurs bancaires ou non bancaires à s'y agréger en leur facturant l'accès." Citi bank est par exemple extrêmement active sur le créneau et a lancé sa monnaie Citicoin, tandis que Goldman Sachs a créé les CETL coins.

Mais, selon Adrien Lafuma, "il sera difficile pour une banque seule de fédérer les autres acteurs autour d'un système sur lequel ils n'ont pas la main". "Ils s'interrogeront forcément sur l'opportunité de créer une plateforme concurrente et j'ai du mal à voir comment un acteur unique pourrait prendre la main", explique le spécialiste de la blockchhain. Même son de cloche du côté de Frédéric Dalibard : "il y a peu de chances pour qu'une technologie propriétaire devienne le protocole de référence, car il faut que le code soit ouvert et vérifiable pour être adopté largement."

Les consortiums semblent donc les plus à mêmes de créer les futures blockchains de référence. "Les", car plusieurs technologies verront probablement le jour selon les usages : l'une, très ouverte, pour les données publiques de conformité, une autre pour les transactions entre banques, une pour l'échange de titres… (lire notre série sur les différentes applications de la blockchain dans le monde bancaire).

"La clé résidera dans l'interopérabilité entre les différentes blockchains et la création de passerelles pour transférer des fonds de l'une à l'autre", décrit Frédéric Dalibard. Et outre l'interopérabilité,  les banques devront également résoudre les problèmes de gouvernance des consortiums. Le plus grand défi sera de réussir à faire évoluer les technologies et de garder une latitude d'action malgré le lobbying et la tendance à l'inertie des consortiums.