Face à un Etat grippe-sou, les villes se tournent vers le financement participatif

Face à un Etat grippe-sou, les villes se tournent vers le financement participatif Un décret autorise les collectivités territoriales à financer des projets via le crowdfunding et le crowdlending. Un coup de pouce pour boucler des budgets mis à mal par la baisse des dotations.

Pour se financer, les collectivités territoriales bénéficient de plusieurs ressources : les subventions, les impôts, l'emprunt bancaire et… le financement participatif. Le décret n° 2015-1670 du 14 décembre 2015 a ouvert l'accès au financement participatif aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics pour des projets culturels, éducatifs, sociaux ou solidaires. Rénover une église, installer des panneaux photovoltaïques, construire un cinéma… Les premières campagnes de crowdfunding (don) et crowdlending (prêt) s'affichent sur les plateformes généralistes ou thématiques.  

C'est que les financements traditionnels ne suffisent pas toujours à subvenir aux besoins des collectivités. D'autant plus que depuis plusieurs années, leurs dotations ont considérablement baissé. Le projet de loi de finances pour l'année 2014 avait prévu une diminution de l'enveloppe globale pour les collectivités de 3,6 milliards par an de 2015 à 2017 (dont 2 milliards pour les communes et intercommunalités). Finalement, la baisse de la DGF (pour dotation globale de financement) pour les communes a été limitée à 1 milliard d'euros.

Comme le souligne la Cour des comptes dans son dernier rapport sur les finances locales, "si en 2014, la diminution de la DGF n'a pas constitué le principal facteur de recul de l'investissement local, sa baisse accrue de 2015 à 2017 devrait avoir un impact significatif." Cette baisse a provoqué un effet domino : moins de dotations, moins de subventions de la part des régions et départements aux communes.

Ces deux manques à gagner incitent les collectivités, en particulier les petites communes, à trouver des financements alternatifs. La première à avoir tenté l'aventure du crowdfunding est Yèbles, un village de Seine-et-Marne de 875 habitants située à vingt minutes en voiture de Melun. Marième Tamata-Varin, la maire, a lancé une campagne de crowdfunding en 2014 sur la plateforme MyMajorCompany (fermée en 2016) car elle n'avait pas réussi à obtenir assez de subventions pour rénover l'école communale. Grâce à la campagne, la commune a  récolté 44 500 euros, de quoi financer la première phase des travaux. L'école a été inaugurée à la rentrée 2015.

Démocratie participative

Autre facteur qui pousse les petites communes vers les plateformes, elle ont en plus du mal à emprunter. "Les banques sont moins actives sur les petits montants. Le crowdfunding et le crowdlending sont majoritairement utilisés pour donner un coup de pouce", éclaire Julien Quistrebert, président et cofondateur de Collecticity, une plateforme de financement participatif dédiée aux collectivités territoriales. Créée fin 2016, cette start-up propose du crowdfunding ou crowdlending aux organismes de toutes tailles. Cinq projets ont été lancés, et trois ont déjà atteint leur objectif.

 

Certes, le nombre de campagnes est une goutte d'eau comparée aux dizaines de milliers de projets déposés sur les grandes plateformes généralistes comme Ulule ou KissKissBankBank, mais Julien Quistrebert avance plusieurs explications : "La période électorale n'est pas propice à lancer une telle opération. En plus, c'est un outil nouveau pour les collectivités. Il faut compter une phase de compréhension. Enfin, le nombre de décisionnaires est bien plus élevé que dans une start-up." La jeune pousse assure être en discussion avec de nombreuses collectivités, sans donner de chiffres précis, et promet le lancement de plusieurs projets en juin et septembre.

"Signer avec un habitant est plus enrichissant que de signer avec une banque"

Les collectivités apprécient le financement participatif pour sa dimension sociale. "Il y a un intérêt général fort. Cela permet aux citoyens de participer à la vie de la cité", soutient le cofondateur de Collecticity. "Aujourd'hui, une administration ne peut pas tout le temps prendre des décisions seule dans son coin. Elle a besoin de recréer du lien avec sa population", ajoute Olivier Sanch, chargé de mission collectivités chez KissKissbankBank. Une fois le décret publié, la plateforme française a ouvert une catégorie "Collectivités territoriales". 13 projets sont soutenus par des collectivités (sous forme de sponsoring ou d'aide au financement) et cinq sont directement portées par elles.

La ville bretonne de Langoüet a été séduite par cette forme de démocratie participative. "Nous voulons que le citoyen s'implique au maximum dans la vie de la commune. Créer du lien avec un habitant, cela vaut tout l'or du monde. C'est bien plus enrichissant que de signer avec une banque", affirme Daniel Cueff, maire de cette commune de 612 habitants. Le 3 novembre 2016, il a lancé une campagne de crowdlending sur Collecticity pour financer un projet d'étude pour des habitats au bénéfice de l'environnement. L'objectif de 40 000 euros a été atteint 12 jours avant la fin de la collecte prévue le 31 décembre. "Dix personnes souhaitaient prêter de l'argent mais elles n'ont pas eu le temps de le faire", regrette le maire. Les fonds collectés représentent 26% du financement total du projet.

Au total, 37 investisseurs ont participé à la collecte à une hauteur moyenne de 1 081 euros. Le montant maximum pouvant être investi par projet dans le cadre d'un prêt rémunéré s'élève, lui, à 2 000 euros. "Ce n'est pas assez selon moi. Certaines personnes ont versé cette somme, d'autres auraient aimé prêter bien plus", assure le maire. Deux tiers des investisseurs sont des habitants de la commune ou des alentours et un tiers ne sont pas de la région. Suite à ce succès, la commune de Langouët a prévu de renouveler l'expérience avec un projet d'achat de véhicules partagés. Les retardataires pourront cette fois participer à la collecte.