ICO : après la folie, le retour à la raison

ICO : après la folie, le retour à la raison L'engouement suscité par les levées de fonds en crypto-monnaies en 2017 laisse place aux premières interrogations et désillusions. Un mal pour un bien.

Lancer une ICO (initial coin offering), une levée de fonds en crypto-monnaies, est devenu un mode de financement banal pour les start-up de la blockchain. La raison ? C'est un bon moyen de lever facilement de l'argent en quelques jours voire quelques heures. L'année 2017 sera un record avec plus de 3 milliards de dollars amassés via l'ICO, contre 96 millions sur tout 2016, selon le site Coindesk. Ces sommes folles ont fait apparaître un mot redouté dans le monde de la finance : la bulle. Le fondateur d'Ethereum, Vitalik Buterin, a lui-même lâché le mot en septembre dernier lors d'un voyage en Israël. Mais tout le monde n'est pas de son avis. "La folie des ICO se cantonne pour le moment à des sommes relativement faibles comparées à la bulle Internet, par exemple. La valorisation des crypto-monnaies est évaluée à 300 milliards de dollars tandis que celles des sociétés de l'informatique et des télécoms atteignaient 6,7 trillions de dollars juste avant l'éclatement de 2000", rappelle Jeremy Baumann, head of discretionary portfolio management chez Swissborg, une start-up suisse qui développe une banque privée basée sur la blockchain.

"Je ne pense pas que ça va exploser d'un jour à l'autre mais il y aura plutôt une baisse lente des montants sur quelques mois puis le déclenchement d'une baisse plus rapide", prédit Thilo Schweizer, responsable marketing chez Modum, une start-up suisse qui a levé 13,5 millions de dollars en ICO en septembre dernier. Bulle ou pas, le soufflé des ICO commence à retomber. En juin 2017, 97% des ICO parvenaient à être bouclées contre 34% en octobre 2017, selon une étude du cabinet américain spécialisé dans le digital Architect Partners.

En octobre 2017, 34% des ICO n'ont pas atteint leurs objectifs. © JDN/Architect Partners

Pour Clément Jeanneau, cofondateur de Blockchain Partner et d'ICO Mentor, cela s'explique pour deux raisons. "La concurrence est beaucoup plus forte. Beaucoup de projets misent sur le marketing pour se démarquer au lieu de le faire sur le produit ou le service. Ensuite, on remarque une forme de lassitude chez les investisseurs." La start-up Modum a par exemple levé moins que prévu : 13,5 millions de dollars au lieu de 16,35 millions (un peu moins de 90% des jetons ont été écoulés). La jeune société n'arrive pas à expliquer ce petit revers. Elle n'est pas la seule. En octobre dernier, sur les 700 millions de dollars attendus, seulement 359 millions ont été récoltés, selon Architect  Partners.

En octobre 2017, près de la moitié du total des montants attendus en ICO n'ont pas été levés. © JDN/Architect Partners

Les projets qui ont levé des montants record en 2017 (257 millions de dollars pour Filecoin, 233 millions de dollars pour Tezos…) commencent aussi à inquiéter les investisseurs. Certains n'ont toujours pas sorti de proof of concept, d'autres ne donnent même pas de nouvelles. La blockchain Tezos n'a toujours pas émis ses tokens. Cerise sur le gâteau : les fondateurs de ce protocole sont actuellement poursuivis en justice par une class action comprenant 30 000 personnes. Ils sont accusés de vente de titres non enregistrés, de fraude en valeurs mobilières, de publicité mensongère et de concurrence déloyale. "Le cas Tezos va mal se terminer", se désole Jean-Baptiste Pavageau, ICO investment manager chez Belem, une start-up qui aide les institutions financières à explorer les applications de la blockchain.

Cet exemple est un mal pour un bien pour certains acteurs du secteur. "Les opportunistes vont partir et les connaisseurs resteront", estime Clément Jeanneau. "Les investisseurs moins avertis vont s'apercevoir qu'ils ne vont pas faire de bénéfices. Et ils en déduiront que les ICO ne valent plus la peine alors que ce n'est pas le cas", ajoute de son côté Thilo Schweizer.

"On voit déjà moins de projets très prometteurs. Les ICO vont donc revenir à des montants plus réalistes"

Les grosses ICO ne sont pas les seules à inquiéter les investisseurs. Andreas Antonopoulos, une figure renommée dans la communauté bitcoin, a récemment déclaré que 99,99% des ICO actuelles sont "de la camelote. Elles ne donneront aucun retour sur investissement." Des investisseurs en ont déjà fait les frais. La start-up Confido, qui se présentait comme une plateforme de services de séquestre basée sur la blockchain, a levé 375 000 dollars de dollars en novembre. Quelques jours après la clôture, le site et les comptes des réseaux sociaux ont été supprimés. Et les 375 000 dollars ont tout simplement disparu. Le profil LinkedIn du CEO, Joost van Doorn, n'est  plus accessible. "Quand il y aura deux ou trois catastrophes de ce type, le montant des ICO va dégonfler. Le marché va revenir à la normale", souligne Jean-Baptiste Pavageau. "Seuls les projets vraiment sérieux vont lever beaucoup d'argent", prédit Clément Jeanneau. "On voit déjà moins de projets très prometteurs. On va donc revenir à des montants plus réalistes", ajoute-t-il.

L'arrivée de la réglementation

Ce retour progressif à la raison est aussi dû au contexte réglementaire. Depuis quelques semaines, de nombreux pays se penchent sur le phénomène d'ICO. "Le marché devenant plus mature, les réglementations vont s'adapter pour tenter d'encadrer et de réguler le marché des crypto-monnaies. Cela se fera plus rapidement que ne le pensent la plupart des gens. Les autorités ont à la fois la responsabilité de légiférer et l'obligation financière de mettre la main sur ce nouveau marché de plusieurs centaines de milliards voire peut être bientôt de milliers de milliards de dollars", précise Jeremy Baumann. A part la Chine et la Corée du Sud, qui les ont interdits, de nombreux pays cherchent plutôt à comprendre les tenants et aboutissants de cette levée de fonds atypique.

En France, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a lancé une consultation cet automne pour trouver un cadre réglementaire propice aux ICO. De son côté, l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) appelle à la vigilance. Elle s'adresse autant aux investisseurs qu'aux organisateurs de ces levées de fonds en crypto-monnaies. Les Etats-Unis sont quant à eux déjà passés aux actes. Les fondateurs de la start-up américaine Protostar ont dû rembourser les investisseurs de leur ICO, après avoir été contactés par la SEC, le gendarme financier américain. La société n'avait consulté aucun juriste en amont de l'ICO, comme le rapporte Forbes. La fin de la récré peut vite sonner.