Les fintech britanniques se préparent au Brexit

Les fintech britanniques se préparent au Brexit Les start-up de la finance cherchent activement des agréments en dehors du Royaume-Uni afin d'éviter toute interruption de service.

Soft Brexit ou hard Brexit, telle est la question qui hante les Britanniques. Seul le premier cas maintiendrait un accès au marché unique et une forme de libre circulation des personnes. Mais l'issue des négociations étant encore floue, les entreprises se préparent aussi à la deuxième possibilité. "Il est urgent de réagir pour tout acteur réglementaire au Royaume-Uni qui a une activité pan-européenne. Ce n'est plus une option mais une réalité", s'alarme Franck Guiader, head of innovation and fintech au cabinet Gide. Une urgence qui concerne évidemment les acteurs de la finance dont les fintech.

Aujourd'hui, les fintech originaires d'un pays de l'Union européenne (UE) ont recours au passeport européen. Ce dispositif permet de vendre des produits dans toute l'Union en étant agréé seulement par le régulateur de son pays d'origine. Concrètement, une fintech britannique a uniquement besoin d'un agrément délivré par la Financial conduct authority (FCA, le gendarme financier anglais), qu'elle "passeporte" dans tous les pays dans lesquels elle est présente. Dans la perspective d'un hard Brexit, les fintech britanniques perdront ce sésame et devront détenir un nouvel agrément dans un autre pays européen. 

Demander un agrément

Les start-up concernées n'ont pas toutes entamé les démarches d'agrément au même moment. Certaines ont largement anticipé, comme le spécialiste du paiement international Ebury, qui a obtenu un agrément en Belgique fin 2016 et ouvert un bureau l'année suivante. Elle prévoit désormais de transférer son siège social à Bruxelles mais n'a pas encore statué sur la date. La néobanque Revolut a de son côté demandé une licence bancaire européenne en Lituanie il y a un an. Ce sésame lui permettrait à la fois d'avoir un pied dans l'UE et de proposer d'autres produits financiers comme le crédit. Elle devrait obtenir une réponse avant la fin de l'année. Pour assurer ses arrières, Revolut a également entamé des discussions à la fin de l'été avec plusieurs régulateurs européens dont le Luxembourgeois pour un agrément d'établissement de monnaie électronique. "Nous ne prenons aucun risque d'interruption de service en cas de hard Brexit", confie un porte-parole de la néobanque. 

"Nous ne prenons aucun risque d'interruption de service en cas de hard Brexit"

D'autres fintech commencent seulement à demander un nouvel agrément. C'est le cas du géant des crypto-monnaies Circle, régulé par la FCA et qui utilise donc le passeport en Europe. La fintech soutenue par Goldman Sachs hésite encore entre trois pays européens : l'Irlande, l'Allemagne ou la France. Aucune demande n'a été formulée auprès de ces régulateurs. Mais la société ne s'inquiète pas, puisque le processus de demande d'agrément d'établissement monnaie électronique dure en moyenne trois ou quatre mois. Ce timing permettrait à Circle d'être dans les clous avant la date fatidique du 30 mars 2019.

Les fintech doivent aussi anticiper les coûts de ce nouvel agrément. Difficile de le chiffrer puisqu'il varie en fonction des pays et des ressources employées par l'entreprise. En France, il faut compter en général quelques centaines de milliers d'euros pour l'ensemble de la démarche. Un poste non négligeable pour les "plus petites" start-up. 

Trouver un pays accueillant

Les fintech britanniques passent aussi du temps à étudier la situation économique, fiscale et politique des pays européens. Pour Circle, l'Irlande n'a pas que des atouts. "Certes c'est un pays anglophone, c'est donc beaucoup plus facile de recruter. En revanche, c'est un tout petit pays avec un manque d'infrastructure et un système bancaire impacté par la crise", estime Marieke Flament, directrice générale Europe de Circle. "L'Allemagne a l'avantage d'avoir un pôle entrepreneur à Berlin et un pôle financier à Francfort mais le système est régional, ce qui est rend les choses plus compliquées. Sans compter que ce pays a une vision assez stricte sur les crypto", ajoute la dirigeante. La France a aussi son lot de plus et de moins. "Le gouvernement français a une approche mesurée, documentée et encourageante. Le label ICO est positif. On peut dire qu'il y a un alignement ponctuel des étoiles." Autre point fort de la France : Circle a déjà un bureau dans l'Hexagone et Marieke Flament est française. "En revanche, le rapport Landau (sur les crypto-monnaies, ndlr) n'appelle pas à un cadre réglementaire, c'est une erreur. En plus, il manque toute une partie sur les stable coins."

"Ebury a anticipé une baisse de revenus mais à la marge. Cette baisse sera compensée par les volumes des autres pays"

Les fintech UK sont aussi attentives aux relations qu'entretient le Royaume-Uni avec certains pays européens. "Une des conditions indispensables pour une fintech britannique est d'aller vers une juridiction bienveillante vis-à-vis de la juridiction UK, que la transition se fasse de manière naturelle", souligne Franck Guiader. "Plusieurs textes d'accords de coopération technique et politique entre autorités compétentes membres et pays tiers seront signés avant le 30 mars 2019. Il faut donc être attentif à ces accords", complète Jennifer D'Hoir, membre de l'équipe innovation et fintech de Gide.

Outre les aspects réglementaires, les fintech se préparent aux conséquences économiques et business du Brexit. Les plus attentives sont celles évoluant dans le BtoB. "Le plus inquiétant concernant le Brexit est l'impact direct sur les PME anglaises, dont certaines risquent de disparaître. Certaines pensent que le Brexit aura un impact négatif sur l'avenir de leur entreprise et un bon nombre a reporté voire annulé ses plans d'investissement", souligne Juan Lobato, cofondateur d'Ebury, qui compte des PME dans son portefeuille. "Pour notre part, nous avons anticipé une baisse de revenus mais à la marge. Cette baisse sera compensée par les volumes des autres pays (elle est présente dans 19 pays européens, ndlr) et l'ouverture de deux pays en Europe cette année : la Roumanie et la République tchèque", complète-t-il.

En revanche, pour les fintech BtoC, moins d'inquiétudes côté business. "Tant que nous avons un agrément en Europe, le Brexit ne changera rien pour nous d'un point de vue opérationnel", lâche le porte-parole de Revolut France. D'ailleurs, la néobanque ne veut pas non plus changer sa localisation. "Nikolay (Storonsky, le patron de Revolut, ndlr) estime que le Royaume-Uni est, et restera, the place to be pour la fintech, aussi bien en termes d'investissement que de talents", ajoute-t-il. Rendez-vous l'an prochain.