Singapour, le petit paradis des fintech françaises

Singapour, le petit paradis des fintech françaises En plus d'être le quatrième centre financier du monde, la cité-Etat asiatique, qui accueille le Singapore Fintech Festival, a de nombreux atouts pour les start-up financières tricolores.

C'est un peu le CES de la fintech qui s'est déroulé à Singapour du 11 au 15 novembre 2019. La quatrième édition du Singapore Fintech Festival a attiré près de 60 000 participants issus de 130 nationalités. Plus de 1 000 stands étaient répartis sur cinq halls du parc d'exposition de la cité-Etat. En quelques années, celle-ci est devenue un hub pour les fintech. Et les Français l'ont bien compris. Pour la première fois, Bpifrance a emmené une délégation de huit fintech sur le Fintech Festival : Active Asset Allocation, ICA, Kaiko, Kyriba, Manager.one, Shift Technologies, Wynd et Younited Credit.

Des entreprises à des stades de maturité différentes mais qui ont toutes un intérêt pour le marché asiatique. "Nous avons sélectionné celles pour qui cela a du sens de faire du business en Asie du Sud-Est et celles qui veulent découvrir leurs pairs", indique Arnaud Caudoux, deputy CEO de Bpifrance. Kaiko, qui fournit aux institutionnels des données sur le marché des crypto-monnaies, est venu en quête de clients asiatiques, moins frileux que leurs homologues européens sur le bitcoin et autres. Manager.one est, quant à elle, présente à Singapour pour trouver des partenaires bancaires. Cette banque en ligne dédiée aux PME, qui a développé un business en marque blanche, a décroché quatre rendez-vous avec des banques asiatiques. Le patron de Manager.one a notamment rencontré la banque singapourienne DBS dont les deux interlocuteurs sont… français. "Les marchés asiatiques et français sont très différents. A Singapour, on a plus besoin de fintech BtoB que BtoC", précise Medhy Souidi, head of fintech chez DBS. Logique puisque la population de la cité-Etat s'élève à seulement 5,5 millions d'habitants.

"Les banques sont plus pro-actives envers les start-up à Singapour qu'en Europe"

Des fintech françaises BtoB (ou fintech dont les fondateurs sont français) ont déjà percé à Singapour et plus largement en Asie du Sud-Est. C'est le cas d'iLex (prêts corporate), Incomlend (affacturage) et Dathena (protection des données). Cette dernière a signé avec 21 institutions financières dont une bonne partie dans la région. "Elles font beaucoup de veille économique et quand elles décident de bouger, elles signent vite", témoigne Christopher Muffat, fondateur de Dathena. "Les banques sont plus pro-actives envers les start-up à Singapour qu'en Europe, c'est un peu à l'américaine", confirme Marion Bernardi, en charge de l'engagement avec les fintech au sein de Standard Chartered Ventures.

Et de nombreuses grandes banques mondiales ont leur hub asiatique à Singapour, à l'image justement de la britannique Standard Chartered. Celle-ci a développé une plateforme qui met en relation les fintech avec les business units de la banque. "On poste un challenge sur la plateforme et les start-up intéressées s'inscrivent, pitchent leur solution devant un comité et si elles sont retenues, elles font un POC avec nous", explique Marion Bernardi. "Nous préférons cette approche à celle des accélérateurs ou incubateurs qui accueillent des start-up trop jeunes pour travailler avec des banques. Nous voulons des fintech avec des techno prêtes", ajoute-t-elle.

Pluie de financement

Singapour a un autre gros atout pour les fintech françaises : du financement. La cité-Etat compte 150 VC généralistes (Arc Capital, Vickers Venture Partners, Pelago Capital…) et spécialisés (GTR Ventures sur le prêt, Helicap sur l'inclusion financière…). Près de 800 millions de dollars ont été investis dans des fintech à Singapour depuis le début de l'année. Les fintech peuvent aussi compter sur les deux fonds souverains singapouriens GIC et Temasek qui gèrent à eux deux plus de 320 milliards de dollars d'actifs. "Même les fintech qui opèrent exclusivement dans un des autres pays de la zone vont en général s'immatriculer et domicilier leur siège social à Singapour. Impossible en effet pour une scale-up de lever des fonds si elle ne le fait pas via une structure dont le siège est à Singapour", estime Charles Egly, cofondateur de Younited Credit, membre de la délégation fintech de Bpifrance.

Les banques singapouriennes ou les entités asiatiques ont aussi des fonds d'investissement comme Standard Chartered Ventures et ses 100 millions de dollars dédiés à ses fintech partenaires. La messagerie sécurisée Symphony créée par le français David Gurlé a notamment bénéficié de cette poche d'investissement. Fait plus étonnant, le régulateur singapourien, la Monetary Authority of Singapore (MAS), a déjà investi 225 millions de dollars dans les fintech et un nouveau fonds sera annoncé l'année prochaine. La MAS s'est dotée d'une sandbox (bac à sable), qui permet aux fintech de proposer leurs produits et services avec moins de contraintes réglementaires que les institutions financières classiques. Un modèle également adopté par le Royaume-Uni. 

"Impossible en effet pour une scale-up de lever des fonds si elle ne le fait pas via une structure dont le siège est à Singapour"

En 2017, la MAS, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l'Autorité des marchés financiers (AMF) ont signé des accords de coopération pour accroître leur coopération dans la fintech. Les régulateurs échangent des informations sur les tendances de l'innovation financière, les enjeux de régulation liés aux services financiers innovants ainsi que d'éventuels projets innovants communs. "Ces accords de coopération permettent en outre aux fintech agréées à Singapour et en France de disposer d'informations sur les cadres de régulation applicables, dans le but de favoriser les échanges entre les deux marchés", est-il précisé dans un communiqué.

S'installer à Singapour est plutôt aisé pour une fintech, ou une start-up en général. Il suffit de quelques jours pour créer sa société, la taxe sur les entreprises s'élève à seulement 17%, et le taux d'imposition sur le revenu est compris entre 0 et 20%. Mais les visas ne sont pas forcément simples à obtenir. Le gouvernement accorde ce graal en fonction de ses besoins, des quotas prédéfinis. "Il faut de l'argent. Singapour c'est un peu l'Amérique des nouveaux riches", lâche un représentant de la French Tech. Aujourd'hui, il existe 600 fintech à Singapour contre 50 en 2015.

L'open banking bientôt en Asie

Singapour est enfin une porte d'entrée sur l'Asie du Sud-Est et ses 650 millions d'habitants. Un marché colossal pour les fintech françaises, bien plus grand que le marché européen. Mais attention aux idées reçues. "On pense parfois à tort que les marchés du Sud-Est asiatique représentent un ensemble homogène et cohérent, et qu'une stratégie de développement, pour une fintech européenne par exemple, consisterait à les adresser tous en parallèle. En réalité ces pays sont extrêmement différents les uns des autres, y compris en termes de réglementation bancaire", prévient Charles Egly. La fintech française ne cherche pas forcément à s'implanter tout de suite en Asie mais évalue les possibilités. "Si on se lance en Asie, ce sera via un partenariat. Nous avons remarqué que les entreprises du retail font beaucoup de partenariats", constate Charles Egly, qui fait référence aux licornes Grab et Gojek, sorte de super app d'Asie du sud-est.

Comme Younited Credit, les fintech françaises ont un atout à faire valoir : l'open banking. Ce concept est déjà bien implanté à Singapour même si aucune réglementation n'est entrée en vigueur (mais devrait l'être d'ici un ou deux ans). L'Autorité monétaire singapourienne pousse les banques et fintech à développer des API. "Cela va permettre aux fintechs européennes de prendre une longueur d'avance sur leurs alter ego asiatiques et devrait aussi leur permettre de proposer leurs technologies à des institutions financières asiatiques", se réjouit Charles Egly. Si les fintech françaises rencontrent toujours des difficultés à tester et implémenter les API des banques françaises, qu'elles soient rassurées : ces efforts paieront pour d'autres continents.