Régime européen pour les crypto-monnaies : sitôt publié, sitôt critiqué

Régime européen pour les crypto-monnaies : sitôt publié, sitôt critiqué La Commission européenne a publié une proposition de réglementation instaurant un régime spécifique pour les actifs numériques. La communauté crypto est assez sceptique.

La fintech a fait sa grande entrée dans la Commission européenne. L'institution a publié le 24 septembre sa stratégie de finance digitale à travers six textes. Celui sur les crypto-monnaies était l'un des plus attendus. Baptisé MiCA, pour Markets in Crypto-Assets (et disponible à la fin de cet article), il répond enfin à la grande question que se posait l'écosystème blockchain et crypto depuis des mois : les crypto-actifs auront-ils leur propre régime ou seront-ils affiliés à des titres financiers ? Finalement, c'est la première option qui est proposée par la Commission. Au grand soulagement des Français. "C'est plutôt positif. Si on avait eu un régime affilié aux titres financiers, cela aurait été trop lourd pour les petits acteurs", se réjouit Simon Polrot, président de l'Association pour le développement des actifs numériques (Adan).

Ce régime ad hoc, qui est prévu pour 2024, ne sort pas du chapeau de la Commission, qui s'est en fait largement inspiré de la réglementation française et son régime de prestataire de services sur actifs numériques (Psan) initié en 2019. Cependant, le futur régime européen serait obligatoire et non optionnel comme en France (pour certaines activités spécifiques il est tout de même obligatoire). Ce régime européen dédié aux crypto-monnaies permettrait surtout aux entreprises basées en France de "passeporter" leur agrément dans les 27 autres pays membres de l'Union européenne, comme c'est le cas pour les fintech qui ont par exemple un agrément d'établissement de monnaie électronique.

"Si on avait eu un régime affilié aux titres financiers, cela aurait été trop lourd pour les petits acteurs"

Pour obtenir ce graal, le régulateur national ne serait pas le seul à donner son tampon. "En fonction de l'importance du projet, l'agrément pourra soit être délivré par les autorités locales soit par l'EBA (l'Autorité bancaire européenne, ndlr), et parfois même avec la consultation de l'Esma (l'Autorité européenne des marchés financiers, ndlr). Cela veut dire qu'il pourra y avoir trois entités réglementaires impliqués, donc un délai d'approbation de minimum six mois", regrette Simon Polrot.  "L'agrément Psan, par exemple, qui est justifié, est aussi contraignant car pendant six mois vous ne pouvez pas faire de business. Alors qu'en Suisse, vous pouvez lancer le même service en une semaine", renchérit William O'Rorke, avocat chez ORWL, cabinet spécialisé dans le droit numérique.

Rassurer les grandes entreprises

Ce régime spécifique permettrait également de rassurer les grandes entreprises, institutionnels et gros investisseurs, encore peu nombreux sur le secteur. "Beaucoup d'institutionnels ont toujours eu peur de l'absence de sécurité juridique autour des crypto-actifs. Avec ce régime, ils pourront développer de nouvelles activités crypto, hors instruments financiers (pas les security tokens, qui sont eux assimilés à des titres financiers et donc à la réglementation en vigueur, ndlr)", indique Matthieu Lucchesi, avocat spécialisé dans les sujets fintech chez Gide Loyrette Nouel. "Cela légitime les collaborations entre les acteurs du secteur et les acteurs traditionnels", complète Alexandre Stachtchenko, cofondateur du cabinet spécialisé Blockchain Partner.

"On sent la crainte de plusieurs ministres des Finances de la zone euro face à certains stablecoins et notamment libra"

Les acteurs du secteur, qui sont majoritairement de petites start-up, pourraient en revanche être pénalisées par rapport aux grands comptes. "Est ce que cette réponse est adaptée aux caractéristique d'une économie encore petite ? Ne risque-t-on pas de les écraser avec 168 pages de réglementation ?", s'interroge Matthieu Lucchesi. "Je ne suis pas contre la réglementation mais il y a une disproportion entre les réglementations qui s'enchaînent ces derniers temps et la réalité d'un marché jeune et fragile composée de petites entreprises. Cela risque de favoriser les gros acteurs qui ne sont ni français, ni européens", se désole William O'Rorke.  

Le cas des stablecoins

Dans ce texte, un élément a cristallisé l'attention de l'écosystème : les stablecoins, ces cryptomonnaies stables généralement adossées à des monnaies fiat (dollar, euro…). La définition retenus fait très peu de différences entre les monnaies digitales de banques centrales, les monnaies privées de type libra (le projet initié par Facebook) et les stablecoins décentralisés. "On sent la crainte de plusieurs ministres des Finances de la zone euro face à certains stablecoins et notamment libra, qui embête beaucoup car Facebook concurrence un pouvoir jusque-là dévolu aux banquiers centraux", estime Nicolas Louvet, directeur général du courtier crypto Coinhouse, qui précise tout de même qu'il est important de réguler les stablecoins de type libra.

Les stablecoins décentralisés, comme le très populaire Dai, tomberaient donc dans cette réglementation. Or, ces derniers sont en pleine essor en raison de l'explosion la finance décentralisée, concept qui regroupe les produits financiers développés sur la blockchain, donc sans intermédiaire (lire notre article sur la finance décentralisée). Ces stablecoins servent par exemple à faire des emprunts sur la blockchain. Comme ils sont décentralisés, ils ne peuvent donc pas être contrôlés ni interdits (comme Bitcoin).

En revanche, les plateformes d'échange de cryptomonnaies basées en Europe ne pourraient pas lister ces fameux stablecoins. Sauf si les émetteurs de ces stablecoins ont une licence de monnaie électronique, ce qui est peu probable. "Il n'y a pas nécessairement eu une compréhension derrière ce qu'est la finance décentralisée, ces stablecoins et du potentiel que représentent ces actifs numériques. C'est un tout nouveau pan du secteur. Si on ne permet pas à un utilisateur européen de se procurer des stablecoins, cela risque de bloquer le développement de produits Defi (abréviation pour decentralized finance, ndlr). Il n'y en a déjà pas beaucoup en Europe puisque la plupart viennent des Etats-Unis et d'Asie", regrette Nicolas Louvet. "On va tout faire pour expliquer ce que c'est, tout comme on a fait il y a trois ans ce travail pour parler de nos activités à la direction générale du Trésor et à l'AMF (l'Autorité des marchés financiers, ndlr) pendant que l'ACPR (Autorité de contrôle et de résolution prudentiel, ndlr) nous fermait ses portes. Finalement, ils ont compris", se remémore Nicolas Louvet. L'écosystème crypto a encore du temps pour faire modifier le texte. En attendant, il pourra tout de même proposer des stablecoins, décentralisés ou non.