Peut-on se passer de la réévaluation du yuan chinois ?

Pierre Sabatier, président du cabinet de recherche économique et financière PrimeView, décrypte les enjeux du système monétaire international.

Dans de nombreuses sphères, l'instabilité des taux de change entre les différentes monnaies de ce monde est souvent considérée comme la cause principale des maux de nos économies, qu'elles soient industrialisées ou émergentes. Pourtant c'est plutôt le refus de certains Etats, comme la Chine depuis 10 ans, de laisser librement évoluer leur monnaie qui rend quasiment impossible le rééquilibrage des échanges mondiaux.

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Pierre Sabatier, président de PrimeView. © PrimeView

Depuis les années 70 et l'abandon de l'étalon or qui fixait les taux de change, le système monétaire international repose pour de nombreux pays sur les changes flottants : la valeur d'une monnaie par rapport à une autre est le résultat de l'offre et de la demande sur le marché des changes. Dans cette veine, le taux de change est alors devenu la variable d'ajustement permettant de rééquilibrer les déséquilibres macroéconomiques pouvant émerger, conséquence d'un avantage compétitif d'une zone par rapport à une autre.

Echaudée par la crise asiatique en 1997, dont l'élément déclencheur a été la chute du baht thaïlandais, la Chine a bien retenu la leçon. Avec son entrée dans l'OMC en 2001, le pays a fait son grand retour sur la scène du commerce mondial. Mais pas à n'importe quel prix : l'Empire du Milieu a décidé de maintenir une parité fixe par rapport au dollar. Coup de génie ! Car il ne faut pas négliger ce paramètre dans l'incroyable succès de la désormais seconde économie mondiale, dont le PIB est passé de 1 325 milliards de dollars en 2001 à 6 039 milliards de dollars en 2010. Outre son avantage compétitif d'une main d'œuvre bon marché, la Chine a surtout offert de la visibilité aux entreprises occidentales prêtes à délocaliser, et ainsi l'assurance du maintien de l'avantage compétitif que l'investissement dans des usines de l'Empire du milieu leur procurait... C'est bien ce qui s'est passé : aux Etats-Unis comme en Europe, les taux de marge se sont envolés, permettant aux entreprises d'engranger des bénéfices volant de record en record, tandis que la masse salariale plafonnait en raison de la forte concurrence des émergents et de la Chine en particulier.

comptes courants
C'est un jeu à somme nulle : lorsque certains ont des excédents, d'autres ont des déficits. © PrimeView

Pourquoi faut-il considérer les excédents commerciaux comme un problème ? Car c'est un jeu à somme nulle : les excédents sont contrebalancés par des déficits de même taille, rendant bien entendu vulnérable le pays dépendant de l'extérieur pour finir ses fins de mois. C'est clairement ce qui s'est passé aux Etats-Unis, dont les autorités monétaires ont perdu la main sur leur propre courbe des taux au milieu des années 2000 : la Fed a beau avoir monté ses taux directeurs de 1% en juin 2004 à 5.25% début 2007, cela n'a pas suffi à calmer la soif d'importations des Américains (le déficit de la balance commerciale américaine a atteint -5.5% du PIB en 2006). Pour maintenir la monnaie chinoise stable vis-à-vis du dollar, la Banque Centrale de Chine a acheté massivement des actifs américains, en particulier des obligations de long terme, permettant de limiter la hausse des taux longs, bien plus pénalisantes pour les ménages. Pour preuve, la somme des excédents courants chinois qui atteint 1 965 milliards de dollars depuis 2002 a été largement compensée par la hausse de 2500 milliards de dollars des réserves de change de la Banque Centrale de Chine.

Le monde se trouve dans une position précaire de déséquilibre stable, relativement destructrice pour les économies industrialisées dans l'incapacité de regagner en compétitivité.

De ce point de vue, la crise n'a rien changé : certes les autorités chinoises ont laissé la monnaie chinoise légèrement s'apprécier depuis l'été dernier (+4%), mais cela n'est rien au regard de sa sous-évaluation estimée à 30% face au dollar. La conséquence fâcheuse de cette décision de maintenir une quasi stabilité de son taux de change est sans aucun doute l'inflation galopante générée dans le pays, comme on l'observe depuis quelques mois. En effet, la parité met la Banque de Chine dans une position inconfortable, puisqu'elle la pousse à importer la politique monétaire ultra-expansionniste de la Fed (dont le taux directeur est actuellement à 0.25%), alors même que les fondamentaux des deux pays n'ont strictement rien à voir : l'un souffre d'un excès d'endettement ayant poussé à une crise de la demande qui mettra de longues années à se résorber, l'autre d'une surchauffe incroyable liée à des taux d'intérêt bien trop bas au regard du profil de croissance, poussant à un excès d'offre et d'investissement (mauvaise allocation de l'épargne).

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La réévaluation récente du yuan paraît dérisoire par rapport à celle du real brésilien. © Primeview

Le monde se trouve donc dans une position précaire de déséquilibre stable, relativement destructrice pour les économies industrialisées qui sont dans l'incapacité de regagner en compétitivité. Que faudrait-il faire ? Que les Chinois acceptent de laisser flotter leur monnaie, comme le font des pays fortement exportateurs comme le Brésil : la vigueur de son économie en 2009-2010 a engendré la hausse de près de 40% du real brésilien. La contrepartie bénéfique de cette appréciation de la monnaie est que le pays est en mesure de garder la main sur son économie en fixant des taux d'intérêt à des niveaux correspondant à son régime de croissance et d'inflation. La Chine est-elle en mesure de changer son fusil d'épaule en termes monétaires ? Rien n'est moins sûr.