Bernard Reybier (Fermob) "Avec l'export, il n'y a pas de retour sur investissement avant 3 ans"

Le PDG fondateur du fabricant de mobilier de jardin donne les clés d'un développement à l'international réussi.

Ovni dans le paysage industriel français, Fermob est une PMI (petite et moyenne industrie) mondiale. Et à succès s'il vous plaît : depuis plus de 20 ans, elle enregistre systématiquement une croissance annuelle de son chiffre d'affaires. En 2012, ce dernier a progressé de 8% sur un an. Un résultat inférieur aux prédictions de Bernard Reybier qui, pour la première fois de sa carrière, invoque les mauvaises conditions météorologiques. Le PDG explique aux petites entreprises françaises comment marcher dans son sillage.

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Bernard Reybier, PDG fondateur de Fermob. © JPLemoine

JDN. Fermob est une PMI française à succès qui exporte 45% de sa production. Quelle est votre recette ?

Bernard Reybier. Quand je l'ai repris en 1989, Fermob était un petit atelier de ferronnerie de 10 personnes. Si nous sommes 190 aujourd'hui, c'est parce que nous avons mis l'accent sur l'innovation produit. Elle a toujours été présente chez Fermob, que ce soit dans les aspects techniques ou dans la fabrication. En soi, le design est une réflexion sur l'usage, sur les formes et l'ergonomie. Il a sa propre valeur ajoutée. Nous avons un studio de design en interne et nous collaborons aussi avec des designers externes comme l'Autrichien Harald Guggenbichler, l'Italienne Alessandra Baldereschi et Andrée Putman, avec qui nous avons eu la chance de travailler. Malgré tout, nos prix restent raisonnables : nous ne sommes pas les premiers prix du marché (le prix du siège varie entre 50 et 200 euros, NDLR), mais nous n'avons jamais pratiqué les prix du haut de gamme. Il y a aussi la qualité des produits : ils sont légers mais solides parce qu'ils sont fabriqués en acier ou aluminiums spéciaux. L'acier que nous utilisons vient de France, du Nord de l'Italie et du Nord de l'Espagne. Nous avons joué sur la proximité au sens européen du terme.

"Nous avons mis l'accent sur l'innovation produit"

Fermob a-t-elle toujours été portée sur l'international ?

L'internationalisation a toujours été présente, même lorsque nous n'étions que 10. Nos premiers marchés sont les Etats-Unis et l'Allemagne, cela dépend des années. Mais on va aussi au Japon et en Australie. Fermob est une entreprise mondiale. Nous n'adaptons pas nos produits aux marchés locaux. Nous vendons du design français. Qu'ils soient d'inspiration traditionnelle, comme la chaise bistrot, ou plus contemporaine. En dehors du Japon, nous sommes peu présents en Asie. Mais on a décidé de mettre les bouchées doubles sur cette zone. Nous venons d'ouvrir des corners dans des points de vente en Inde, en Corée et à Shanghai. Aujourd'hui, nous sommes présents dans 37 pays.

"Nous n'adaptons pas nos produits aux marchés locaux"

Vos produis sont-ils 100% made in France ?

Oui, ils sont fabriqués dans notre usine située dans le département de l'Ain. Fermob est une entreprise intégrée. A l'arrivée, vous avez des bobines d'acier et des plaques de taule et à la sortie, vous avez des chaises. Tous les produits vendus en Europe sont fabriqués en France. En revanche, nous avons un partenariat industriel qui va nous permettre de produire en Asie pour vendre là-bas. On envisage également l'ouverture d'un magasin Fermob en Corée.

"Il y a 15 ans, on a été hors la loi : j'ai été obligé d'annualiser le temps de travail"

Croyez-vous à la reconstitution de la base industrielle française ?

Pendant des années, sur les salons, les gens étaient étonnés qu'on soit Français. On nous prenait souvent pour des Italiens. Comme on a un métier industriel qui exige beaucoup de main d'œuvre, on nous a souvent prédit qu'on ne pourrait pas survivre en France. Mais j'ai démontré le contraire avec 23 années de croissance consécutives. On a su mettre en avant la valeur ajoutée du créatif, c'est-à-dire le design et les couleurs, et la force de la marque qui est ancrée dans un territoire défini. La chaise bistrot et la chaise à volutes, c'est la France du fin 19e siècle. Alors oui, j'aimerais que le travail coute moins cher mais en tant que chef d'entreprise, mon rôle c'est aussi de m'adapter aux contraintes. Même si je préférerais que les PME aient plus de souplesse dans l'emploi. La loi flexisécurité prévoit que les entreprises puissent muter des gens d'un site à l'autre. Mais cette loi ne concerne que les grands groupes qui ont des milliers de personnes répartis dans plusieurs établissements. La réalité d'une PME basée à la campagne a sa singularité. Et plus on fait de lois, plus on encadre les singularités. Le problème, c'est que quand la loi devient contrainte, elle peut nuire aux évolutions. Il y a 15 ans, on a été hors la loi : j'ai été obligé d'annualiser le temps de travail. Chez Fermob, on travaille pendant les jours fériés du mois de mai puisque c'est à ce moment-là qu'on vend beaucoup et qu'on fait du chiffre. Les employés étaient d'accord. En contrepartie ils avaient droit à des week-ends de trois jours en octobre.

"J'ai du mal à comprendre l'intérêt d'avoir un service dédié à l'export"

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises françaises qui veulent suivre votre exemple ?

Quand nous n'étions encore que 10, j'ai dit : "nous sommes une entreprise mondiale". Ils ont dû me prendre pour un fêlé mais les formules choc servent à montrer la détermination du responsable et à mobiliser les troupes. Dans le même genre, il y a deux ans, j'ai lancé : "nous allons envahir l'Asie". L'entreprise sait qu'il y a bien une volonté stratégique de se développer dans cette zone-là. J'ai du mal à comprendre l'intérêt d'avoir un service dédié à l'export. Que le client soit français ou américain, c'est un client. On complexifie les choses en disant que l'export, c'est compliqué. Certes il y a la barrière de la langue, mais tout le monde sait plus ou moins parler anglais et dans bien des cas, cela suffit. Nous n'avons pas conquis le marché américain en un jour. Quand on va dans un pays, il faut se dire qu'il n'y a pas de retour sur investissement suffisant dans les trois ans. L'export est un travail de patience. Fermob avait la chance de partir avec un produit qui avait de vraies spécificités. Dans mon domaine, quand on dit "Paris" ou "la France", ça veut encore dire beaucoup de choses en termes d'image.

Bernard Reybier s'est exprimé sur le développement à l'international lors de la dernière édition du forum Osons la France, à Paris en avril dernier. Prochaine étape : Lyon, le 27 juin 2013.