Sweatshops : comment Nike s'est refait une virginité

Sweatshops : comment Nike s'est refait une virginité Le géant de la basket a longtemps été le symbole des mauvaises conditions de travail.

Il n'y a pas si longtemps, Nike était encore dénoncée publiquement pour ses pratiques de travail, à tel point que l'image de la société et les ventes en avaient grandement souffert.

L'effondrement d'une usine au Bangladesh en avril dernier a servi de rappel : si Nike a réussi à redorer son blason, ses techniques de production n'ont pas vraiment évolué.

Nike a été l'une des premières entreprises contestées pour la simple raison qu'elle était la plus florissante. Son modèle commercial consistait à sous-traiter la fabrication de ses produits et dédier l'argent économisé à des campagnes de marketing agressif.

La marque a restauré son image. Certes, elle n'a pas totalement réussi à rendre ses usines parfaites mais on ne peut nier que l'entreprise a accompli l'un des revirements les plus impressionnants de ces dernières années.

Des preuves d'abus font surface : des employées vietnamiennes sont maltraitées au motif qu'elles ne portent pas les chaussures réglementaires

Voici une chronologie qui récapitule comment Nike est devenue le symbole mondial des pratiques de travail abusives avant de parvenir à retourner la situation en sa faveur :

 Observant une hausse des prix et une organisation accrue de la main d'œuvre en Corée et à Taiwan, Nike commence à inciter ses contractuels à s'installer en Indonésie, en Chine ou au Vietnam.

 1991 : Les ennuis commencent lorsque le militant Jeff Ballinger écrit un rapport sur les salaires de misère et les piètres conditions de travail en Indonésie.

 Nike communique sa première réponse officielle aux protestations en instaurant un code de conduite dans ses usines.

 1992 : Ballinger publie un dossier contre Nike. Son article dans Harper's Magazine met en avant un employé indonésien ayant travaillé pour un sous-traitant de Nike pour 14 cents de l'heure (moins que le salaire minimum en Indonésie) et illustre d'autres abus.

 1992-1993 : Des manifestations lors des Jeux Olympiques de Barcelone de 1992, l'interview d'employés d'usines Nike sur CBS en 1993 et l'ONG "Press for Change" de Ballinger attirent l'attention des médias grand public.

 1996 : On découvre des images de la ligne de vêtements de Kathy Lee Gifford (présentatrice de télévision américaine, NDLR) étant fabriquée par des enfants dans des conditions déplorables. Ses excuses larmoyantes et son militantisme font du sujet des abus au travail une cause nationale.

 Nike crée un service interne consacré à l'amélioration des conditions de vie des employés des usines.

 1997 : Les opérations promotionnelles de l'enseigne suscitent l'indignation du public. L'entreprise développe ses magasins "Niketown" et doit faire face à de plus en plus de contestations. Les médias sportifs commencent à s'attaquer aux ambassadeurs de la marque, tels que Michael Jordan.

 Des preuves d'abus continuent à faire surface : un rapport soutient qu'un sous-traitant vietnamien a fait courir des employées à l'extérieur de l'usine jusqu'à ce qu'elles s'écroulent pour le seul motif qu'elles ne portaient pas les chaussures réglementaires.

 Nike charge le diplomate et militant Andrew Young d'examiner ses pratiques de travail à l'étranger. Son rapport est critiqué car jugé trop laxiste à l'égard de Nike. Ses détracteurs soulignent qu'il ne fait pas mention des salaires médiocres, qu'il a eu recours aux interprètes de Nike pour la traduction, et qu'il était systématiquement accompagné par des hauts responsables de Nike lors des visites dans les usines. Le rapport de Young lui étant largement favorable, la marque s'empresse de le communiquer, lui attirant une nouvelle fois les foudres de la communauté.

 Des groupes d'étudiants américains se mettent à contester l'entreprise.

 1998 : Nike est confrontée à une demande faible et à des critiques incessantes. Elle est forcée de licencier une partie de ses employés et se rend alors compte qu'il est temps de changer les choses.

 Le véritable changement de cap débute en mai 1998 alors que le PDG de l'époque, Phil Knight, déclare dans un discours : "Les produits Nike sont devenus les emblèmes des salaires de misère, des heures supplémentaires forcées et des abus arbitraires. Je crois sincèrement que le consommateur américain n'a aucune envie d'acheter des produits fabriqués dans de telles conditions."

 Lors de ce discours, Knight annonce que Nike s'engage à rehausser l'âge minimum des employés, accroître les contrôles et imposer à toutes les usines les standards de propreté de l'air fixés par l'OHSA (Agence américaine pour la sécurité et la santé au travail).

 1999 : Nike fonde la "Fair Labor Association", une organisation à but non lucratif qui rassemble des entreprises et des représentants des droits de l'homme et du travail afin d'établir des contrôles indépendants ainsi qu'un code de conduite dont les principes-clés sont l'âge minimum et la semaine de travail de 60 heures. L'enseigne incite d'autres marques à la rejoindre dans sa démarche.

 2002-2004 : L'entreprise fait réaliser environ 600 audits auprès de ses usines et programme des visites répétées dans les usines problématiques.

 2004 : Des militants des droits de l'homme reconnaissent que les efforts de contrôle résolvent les situations les plus graves (employés enfermés à l'intérieur des usines, produits chimiques dangereux) mais que certains problèmes demeurent.

 2005 : Nike devient la première entreprise de son secteur à communiquer la liste complète des usines de ses sous-traitants.

 Nike publie un rapport détaillé de 108 pages qui révèle les conditions de travail et les salaires pratiqués dans ses usines et mentionne les problèmes courants, particulièrement ceux qui surviennent dans ses usines sud-asiatiques.

 2005-aujourd'hui : L'entreprise continue à communiquer ses engagements, ses standards et les données de ses audits dans le cadre de ses rapports RSE.

Les entreprises qui sous-traitent pourraient décidément tirer certains enseignements de la pirouette de Nike

Nike n'a jamais été la seule entreprise à avoir recours à ces méthodes "esclavagistes", encore moins la pire. Néanmoins, elle est celle dont tout le monde était au courant.
Le mouvement de transparence n'empêche pas le signalement quotidien d'abus, de salaires encore trop faibles ou de cas tragiques comme celui du Bangladesh.
En choisissant de devenir un leader plutôt que de nier chaque accusation, la marque a presque entièrement réussi à mettre l'un des chapitres les plus difficiles de son histoire derrière elle : les entreprises qui sous-traitent pourraient décidément tirer certains enseignements de la pirouette de Nike.

Article de Max Nisen. Traduction par Joséphine Dennery, JDN

Voir l'article original : How Nike Solved Its Sweatshop Problem