Pierre-André de Chalendar (Saint-Gobain) "Une industrie forte, ce n'est pas forcément de plus en plus d'emplois"

Réindustrialisation de la France, évolution et stratégie de son groupe... Le PDG de Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar, répond au JDN.

A la tête du fleuron industriel français Saint-Gobain, Pierre-André de Chalendar veille aux destinées d'un groupe qui pèse 43,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires et qui emploie plus de 192 000 personnes, dont près de 50 000 dans l'Hexagone. Des arguments de poids quand il s'agit de donner son avis sur les conditions de la réindustrialisation de la France et de livrer sa vision d'une industrie compétitive.

pierre andré de chalendar
Pierre-André de Chalendar, PDG de Saint-Gobain. © Médialogos Hervé Desplanches

JDN. Cela fait des années qu'on nous prédit une réindustrialisation "naturelle" en Occident, vu la hausse du coût du transport et le rattrapage salarial dans les pays émergents. Est-ce que vous y croyez ?

Pierre-André de Chalendar. Cela dépend beaucoup des secteurs. Dans le cas de Saint-Gobain, les métiers et les produits sont essentiellement locaux. Il est donc important d'être près de nos marchés. C'est pourquoi, pour la majorité de nos métiers, la question de la désindustrialisation et de la réindustrialisation ne se pose pas. Le critère déterminant, c'est la croissance, car nous investissons là où il y a de la croissance. Je prends l'exemple de l'isolation : avec la mise en œuvre du Grenelle de l'environnement et la réglementation thermique dans le neuf, nous pensions que le marché de l'isolation allait progresser. Nous avons donc construit une nouvelle usine en France il y a trois ans. Deux ans après son ouverture, elle tournait déjà à plein, ce qui prouve que c'était un choix judicieux. Dans des métiers comme les nôtres, réindustrialiser la France suppose donc qu'il y ait de la croissance.

Le manque de croissance serait donc la seule raison pour laquelle la France se désindustrialise ?

"Réindustrialiser la France suppose qu'il y ait de la croissance"

Plus le coût de transport est élevé, plus les marchés deviennent locaux. La question de la délocalisation se pose quand le coût de transport est faible par rapport au coût total du produit. A ce moment-là, c'est l'ensemble des autres facteurs de production qui comptent. Qu'est-ce qui fait qu'on peut avoir intérêt, pour servir un marché, à produire dans un autre pays que celui où se situe la demande ? Des coûts de production extrêmement différents. Parmi ces coûts de production, il y a les coûts salariaux. Et dans les coûts salariaux, il faut distinguer le salaire des charges qui pèsent sur le travail. En France, quand on parle de désindustrialisation, cela ne renvoie pas à une perte de compétitivité par rapport à des pays lointains où les salaires sont très bas mais à une perte de compétitivité par rapport aux pays voisins. Quand on parle du coût du travail en France, on fait référence aux charges qui, plus que dans les autres pays, pèsent sur le travail au lieu de peser sur les autres éléments de la richesse nationale. D'autres facteurs que le coût du travail peuvent inciter à produire à l'étranger. C'est ce que l'on appelle la compétitivité hors coût. De ce point de vue-là, la France a beaucoup d'atouts, que ce soit en termes d'infrastructures ou en termes d'épargne. Mais l'environnement fiscal et réglementaire n'est pas forcément le meilleur.

Justement, quel regard portez-vous sur la politique industrielle du gouvernement ?

Parmi les mesures qui ont été prises, certaines vont dans le bon sens, comme le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, même si j'aurais aimé qu'il soit plus ciblé sur les entreprises industrielles soumises à la concurrence internationale. Les investissements d'avenir, lancés par le ministre du Redressement productif dans le cadre de ses 34 plans de relance vont, eux aussi, dans le bon sens. A l'inverse, certaines mesures défavorisent les entreprises, comme la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés [qui remplace le projet de contribution sur l'excédent brut d'exploitation dans le PLF 2014, NDLR]. Aujourd'hui, la priorité, c'est d'enclencher un vrai mouvement de baisse des dépenses publiques. L'augmentation de la fiscalité sur les entreprises ne va donc pas dans le bon sens.

Quelle est la condition sine qua non à une réindustrialisation rapide de la France ?

"Certaines mesures défavorisent les entreprises, comme la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés"

Il faut redonner aux entreprises la confiance et l'envie d'investir en France. Cela nécessite autant la mise en place d'éléments psychologiques que réels. Le gouvernement doit arriver à créer les conditions de cette confiance. Il y a encore du travail...

Avec la robotisation, l'impression 3D bientôt, la main d'œuvre devient minime dans les usines... À quoi bon réindustrialiser dans ce cas ?

Les Français aiment consommer. Mais avant de consommer, il faut produire. Or, la production c'est l'industrie. L'industrie joue un rôle fondamental dans les échanges extérieurs. Si la France a aujourd'hui un solde commercial très déficitaire, c'est parce que l'industrie est moins importante et que nous exportons moins qu'avant. En revanche, une industrie forte, ce n'est pas forcément une industrie qui aura de plus en plus d'emplois. Mais ce sont des emplois qui, dans la mesure où ils sont dédiés à l'exportation, contribuent de façon importante à la santé de l'économie française et donc à la création d'emplois dans les secteurs qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale.

Globalement, les effectifs dans les usines françaises de Saint-Gobain augmentent-ils ou diminuent-ils ?

"Dans beaucoup de nos usines, les fonctions de surveillance et de contrôle ont pris le pas sur d'autres types de fonctions plus classiques"

Sur une longue période et à production constante, ils ont tendance à baisser puisque nous réalisons des gains de productivité. Ceci étant, dans un certain nombre de domaines tirés par les questions d'efficacité énergétique, il y a également des augmentations de la production.

Dans les usines de Saint-Gobain, quels profils apparaissent, lesquels disparaissent ?

Les profils des ouvriers dans les usines de Saint-Gobain ont beaucoup évolué depuis 20 ou 30 ans. Globalement, on a des profils de plus en plus qualifiés. La maîtrise des outils informatiques a souvent progressé. Dans beaucoup de nos usines, les fonctions de surveillance et de contrôle ont pris le pas sur d'autres types de fonctions plus classiques.

Où ouvrez-vous des usines ?

Là où il y a des marchés. Aujourd'hui, il y a une croissance plus forte dans les pays émergents, donc c'est là que nous ouvrons des usines. Ces dernières années, nous avons ouvert des usines en Amérique latine – au Brésil et en Colombie, où j'ai inauguré un site de production de verre plat récemment – mais aussi en Asie – en Inde en Asie du Sud-est et en Chine. Nous nous sommes fortement développés en Russie au cours de ces dernières années. Compte tenu de la crise et donc de la baisse de nos marchés en Europe, nous avons aujourd'hui des capacités suffisantes voire excédentaires pour servir la demande. Mais il y a eu des exceptions, comme pour le marché français il y a trois ans.

Quels profils allez-vous recruter dans les mois et années à venir ?

"Compte tenu de la crise et donc de la baisse de nos marchés en Europe, nous avons aujourd'hui des capacités suffisantes voire excédentaires pour servir la demande"

Nous avons besoin de profils assez variés pour répondre aux différentes fonctions de l'entreprise. En ce qui concerne les cadres, nous avons à la fois besoin de profils commerciaux et marketing, de chercheurs et d'ingénieurs. Il y a une évolution importante par rapport à ce qui se faisait il y a 10 ans avec le renforcement des fonctions marketing et R&D. Globalement, nous recrutons des profils plus qualifiés. Nous les trouvons dans tous les pays où nous en avons besoin, puisque la majorité de nos recrutements se font dans les pays où les collaborateurs travaillent, même si nous encourageons la mobilité internationale. Aujourd'hui en Europe, nous rencontrons des difficultés pour recruter certains profils techniques. C'est le cas en Allemagne, parce que l'industrie allemande tourne à plein régime et qu'il y a une compétition entre les entreprises pour accéder aux profils les plus qualifiés. En France, nous n'avons pas de problèmes de recrutement.

Aujourd'hui, quelle formation conseilleriez-vous à un jeune qui se lance dans les études supérieures ?

Je lui conseillerais avant tout de faire quelque chose qui lui plaît. Il est vrai qu'à Saint-Gobain, je suis entouré de beaucoup d'ingénieurs... Mais je pense que ce qui est important, c'est de faire ce qu'on a envie de faire. C'est ce que j'ai conseillé à mes enfants, même si ce n'est pas toujours facile de trouver sa voie. Il faut apprendre à la découvrir.

Pour finir, une question que le JDN aime bien poser aux dirigeants. Si vous deviez créer votre entreprise aujourd'hui, le feriez-vous en France ? Dans quel secteur ?

"En Europe, nous rencontrons des difficultés pour recruter certains profils techniques"

Si je devais monter une entreprise aujourd'hui, je le ferais en France. Même si j'ai travaillé dans d'autres pays, c'est là que j'ai mes racines et que je me sens le plus à l'aise. Je créerais une PME dans le secteur de l'efficacité énergétique, dans les conseils autour de cette question, qui est connexe à ce que fait Saint-Gobain. Je pense qu'il y a plein de métiers très prometteurs dans ce domaine. C'est un secteur que je connais et dans lequel il y a beaucoup de choses à faire.

Le JDN a rencontré Pierre-André de Chalendar à l'occasion du Colloque environnement et industrie, qui a réuni industriels et associations de consommateurs et de défense de l'environnement à Paris, le 15 octobre dernier. Une rencontre organisée par Entreprises pour l'environnement (EPE), une association présidée par Pierre-André de Chalendar depuis 2012.