Le département est-il insubmersible ?

De l'acte II de la décentralisation (2004) à la réforme des collectivités (2010-2014), Céline Moyon et Stanislas Boutmy, de l'agence de notation des collectivités territoriales Public Evaluation System, analysent l'évolution des finances des départements français.

Du département hérité de la III° République au nouvel acteur des solidarités

Fondés en 1789, les départements ont eu des institutions et des prérogatives stables. Les lois Defferre (1982-1983) puis l'acte II de la décentralisation (2003-2004) ont placé le département au coeur des politiques de solidarité, entre 36 000 communes de proximité et 22 régions chargées des politiques structurantes du territoire.

Les départements sont responsables, notamment, des collèges, des prestations d'aide sociale, des routes. Les lois de transfert se succédant, les départements ont intégré des personnels d'Etat, et gèrent de nouvelles prestations sociales (APA, PCH, RSA). Ils coordonnent le parcours d'aide des personnes au chômage, des handicapés, des aînés et des enfants.

L'expertise des départements est confortée grâce à un personnel spécialisé et diversifié. Sur les 239 000 agents départementaux (auxquels s'ajoutent 38 000 assistantes maternelles), 26% relèvent de l'ingénierie, 15% de l'entretien des collèges, 14% de l'éducation et 10% du médico-social [1].

Des situations financières dégradées, assises sur des ressources spéculatives

 + 13,5 Md de dépenses / +12,2 Md de recettes en fonctionnement

Entre 2004 et 2009, la surface financière des département s'est singulièrement accrue de 36,7 Md€ de dépenses de gestion (personnel, aides sociales, subventions, frais généraux) à 50,2 Md€. Les recettes (fiscalité et dotations) sont passées de 45,1 Md€ à 57,3 Md€. Les capacités d'investissement sans recours accru à l'emprunt ont donc fondu.

 des mécanismes de financement de l'investissement à revoir

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2004 et 2008 sont deux années d'élections cantonales. © Public Evaluation System

Les départements ont accru leurs investissements au même rythme que l'indice des coûts de construction (ICC) : en termes réels, les départements n'ont pas plus investi en 2009 qu'en 2004.

En revanche, les transferts de compétences ont nettement dégradé leurs comptes. Avec un moindre autofinancement, l'endettement des départements augmente. Comparons toutefois la situation avec celle d'autres collectivités : le ratio de solvabilité utilisé par Public Evaluation System dans sa notation (encours de dette / recettes de fonctionnement), définit un délai moyen de remboursement de 6,4 mois pour les départements et 8,2 mois pour les régions, en 2009.

 un endettement prudent

Cette prudence est notable au regard de la dégradation de leurs marges de manoeuvre : leur rigidité (la part des dépenses incompressibles) est passée, en moyenne, de 70 à 77%. 32 départements en 2009 ont rigidité supérieure à 80% (3 en 2004). Dans ce contexte, la compensation des charges et leur inégale répartition sur le territoire a envenimé le débat Etat-collectivités.

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La rigidité des départements. © Public Evaluation System

 une profonde modification des ressources

Le principe d'une compensation des transferts de compétences est consubstantielle à la décentralisation. Mais les dynamiques d'évolution contrastées entre les dépenses et les recettes afférentes et l'exclusion des compétences nouvelles entament sérieusement les capacités de financement des départements. Surtout, leurs recettes sont désormais, au mieux, peu évolutives, sinon hautement exposées à la conjoncture.

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Les ressources ont profondément évolué. © Public Evaluation System

Des ressources peu évolutives car leur montant est déterminé par le calcul du droit à compensation. Le produit des taxes intérieures sur les produits pétroliers (TIPP) et sur les conventions d'assurance (TSCA) alimentent le fonds de compensation, avec un risque évident en cas de mutation de comportements.

Des ressources exposées à la conjoncture après la réforme de la taxe professionnelle. Elle indexe désormais une large part de la fiscalité directe des départements sur la valeur ajoutée produite par les entreprises et réduit leur faculté de modulation fiscale à la seule taxe foncière.

Quant aux droits de mutation, marqueur idéal des inégalités de richesse, leur poids dans les finances des départements doit être tempéré : si en termes nominaux la croissance du produit est vertigineuse, rapportée à la croissance des budgets, le produit couvre de moins en moins de dépenses : 9,7% en 2004, 6,4% en 2009. L'instauration d'un fonds de péréquation sur cette ressource offre un signal politique favorable, sans conséquences notables sur l'équilibre macro-financier des départements : 9 millions seraient reversés par exemple à la région Nord-Pas-de-Calais dotée d'un budget de 2 Md€.

Dans ce contexte, la loi portant réforme des collectivités avec l'élection d'un conseiller territorial commun aux régions et départements ne pourra faire l'impasse sur la question du financement des compétences définies au plan national. Une tâche complexe attend donc les nouveaux exécutifs.

[1] Nb : Structure des emplois avec les régions, respectivement 10% ; 68% ; portion congrue pour l'éducation et le médico-social. Données au 31 décembre 2008, source INSEE, enquête sur les personnels des collectivités territoriales et des établissements publics locaux.