Quelle place pour l'éthique dans le virage numérique de la santé ?

Longtemps expérimentale, la santé numérique s'impose comme l'un des leviers majeurs de performance pour les systèmes de santé du monde entier. Encore faut-il savoir l'exploiter de façon éthique.

Le premier confinement l’a mis en exergue : le recours à la téléconsultation a explosé. En 2020, l’Assurance Maladie a ainsi remboursé 19 millions d’actes de téléconsultations contre 60 000 en 2019[1]. Depuis, la tendance est à la baisse mais la pratique semble désormais installée dans la vie courante, sans pour autant détrôner la consultation présentielle. Les marchés financiers ne s’y trompent pas : en France, le potentiel du secteur pourrait représenter plus de 22 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel d’ici la prochaine décennie[2]. Patients, professionnels, financeurs, évaluateurs, industriels et pouvoirs publics s’accordent à dire que le potentiel des données de santé est considérable, encore faut-il savoir l’exploiter correctement et de façon éthique. Explications.

La santé numérique au cœur des défis économiques de la décennie

L’objectif pour 2030 est affiché : l’État veut faire de la France la première nation européenne en innovation dans la santé numérique. A cet égard, la création de Mon Espace Santé, l’interopérabilité des systèmes d’informations, l’instauration de bouquets de services numériques sont autant de priorités en termes d’outillage. Cependant, l’outillage doit être vu comme un facilitateur : tout l’enjeu réside dans la création de cas d’usage à valeur ajoutée économique pour le système de santé publique.  

Trajectoires de soins individuelles et collectives des patients, profils de patients répondants ou non répondants à certains traitements, efficience des traitements, adhésion thérapeutique, développement de la prévention, anticipation des effets secondaires et des risques sanitaires, lutte contre la fraude sont autant d’applications qui permettront, entre autres, d’améliorer l’efficacité du système de santé français et de générer des économies.

Toutefois, ces applications ne doivent pas masquer l’enjeu qui consiste à créer de nouveaux usages à haute valeur ajoutée thérapeutique. Et pour que les Français s’approprient pleinement la santé numérique, les acteurs du secteur vont devoir s’équiper des outils adéquats pour valoriser les données.

La data et l’IA ouvrent de nouvelles perspectives pour l’innovation en santé

Plus que l’infrastructure, les vraies marges de progrès sont à chercher du côté de l’appropriation et l’usage de la data. En effet, le déploiement de la santé numérique va générer une quantité incommensurable de données à très grande valeur ajoutée et utile pour de multiples usages. Grâce aux dispositifs connectés, à la généralisation de la télésurveillance et aux informations échangées entre professionnels dans le cadre des parcours de soins des patients, il sera possible, demain, d’éclairer un nouveau champ de connaissances.

D’ailleurs, l’intelligence artificielle offre déjà par sa puissance et sa rapidité de calcul des perspectives inédites pour les acteurs de la santé. Impact des comportements de vie sur l’état de santé de certaines catégories de patients, épidémiologie fine de pathologies chroniques, variabilités de santé liées à des données exogènes… la donnée de santé inaugure un nouvel âge dans le développement d’applications à visée thérapeutique, sous réserve d’être exploitée selon des méthodologies solides, partagées, transparentes et évolutives.

Pas d’innovation durable sans une approche éthique et structurée de l’exploitation des données

Depuis leur collecte jusqu’à leur utilisation, l’exploitation des données de santé sollicite une large palette de métiers et d’expertises. Toutefois, ces métiers doivent composer, à raison, avec un paramètre immuable : la donnée de santé peut être exploitée si, et seulement si les acteurs de la santé l’appréhendent sous le prisme de l’éthique. Propriété exclusive du patient, elle doit reposer sur son consentement éclairé. 

Dans ce contexte, les métiers doivent accorder une attention particulière à chaque étape de son exploitation : structuration, traitement, stockage et protection, sans oublier l’anonymisation. Encadrée depuis trois ans par le RGPD à l’échelle européenne, la législation française – sous l’égide de la CNIL – est particulièrement stricte en matière de protection des données de santé. Les cyberattaques, comme celles subies par les hôpitaux publics de Paris mi-2020, démontrent également la nécessité d’accroître la sécurité des infrastructures pour créer et renforcer la confiance autour des stratégies de traitement des données de santé.  

Du data scientist au CEO… un seul objectif : mettre l’intérêt du patient au cœur de ses priorités

Dans l’entreprise, créer cette confiance nécessite d’abord de poser les conditions d’exploitation de la donnée. Cela passe par un « cadrage » de l’enjeu sanitaire ou économique auquel la data science doit répondre ainsi qu’une traduction de ces enjeux en outils exploitables (données structurées, indicateurs pertinents, solutions mathématiques d’analyse ou prédictives…). En effet, les data scientists doivent pouvoir traduire des problématiques métiers en solutions mathématiques et inversement. Que cherche-t-on à prédire ou comprendre ? Pour quelle prise de décision ? Quel est le niveau de fiabilité attendu ? Quelles méthodes mathématiques faut-il employer ? Quel est le périmètre d’analyse le plus pertinent ? Quelles techniques de traitement sont utilisées, avec quel niveau de sécurité et pour quelle finalité ? Autant de questions que le data scientist devra se poser afin de répondre précisément aux enjeux métier, toujours sous le prisme de l’éthique.

Pour les acteurs technologiques du secteur, le recours à l’IA et à la data science pour innover en santé représente une opportunité de développer des approches de soins plus personnalisées et efficaces, tout en réduisant les coûts. Bien au-delà de la simple fabrication de médicaments ou de dispositifs médicaux, la tech peut faire émerger des services globaux de santé. Toutefois, leur succès reste conditionné à la capacité des entreprises du numérique à manipuler les données de santé de façon éthique. Faire preuve d’une sensibilité particulière sur le sujet ne suffit plus. Désormais, il est plus que nécessaire de s’entourer de partenaires technologiques qui se démarquent par des pratiques éthiques éprouvées. Suivre cette voie, c’est mettre l’intérêt du patient au cœur de ses priorités et la meilleure manière de bien aborder le virage du numérique en santé.

[1] Réponse du Secrétariat d'État auprès de la ministre des Solidarités et de la santé, JO Sénat, 13 novembre 2019

[2] Rapport de l’Institut Montaigne « E-santé : augmentons la dose ! », juin 2020