La médecine personnalisée sauvera-t-elle les labos pharmaceutiques ?

La médecine personnalisée sauvera-t-elle les labos pharmaceutiques ? Des traitements ultraciblés ne s'adressant qu'à quelques milliers de patients. C'est le nouveau graal des laboratoires en panne d'innovation.

Jusqu'ici, le business des grands laboratoires pharmaceutiques était tout aussi simple que rentable : un ou deux blockbusters, à savoir des médicaments dont les ventes annuelles dépassent le milliard de dollars, suffisaient à assurer un matelas confortable de revenus. En 2008 par exemple, Pfizer réalisait une quart de son chiffre d'affaires avec un seul médicament, le Lipitor (Tahor en France).

Les blockbusters, ces médicaments qui rapportent plus d'un milliard de dollars par an, tombent un à un dans le domaine public

Seulement voilà : ces médicaments à large cible, contre le diabète ou le cholestérol notamment, ont été découverts il y a une trentaine d'années et tombent aujourd'hui un à un dans le domaine public. Leur copie générique, aussitôt mise sur le marché, fait en toute logique dégringoler les prix... et les bénéfices des labos, incapables de de trouver de nouveaux blockbusters. Sur les 10 médicaments au plus gros chiffre d'affaires en 2012, le plus récent date de huit ans.

Du coup, les laboratoires adoptent une stratégie diamétralement opposée : la médecine personnalisée ou médecine individualisée. Il s'agit de médicaments ultraciblés, par exemple agissant sur une mutation ou une anomalie génétique particulière. Ce type de traitement présente l'avantage d'induire moins d'effet secondaires et d'avoir un meilleur taux de réponse au traitement. Le Glivec (Novartis) a par exemple révolutionné le traitement de la leucémie myéloïde chronique : 88% des patients traités sont désormais en vie 6 ans après le diagnostic contre 20% avant l'arrivée de cette molécule. La médecine personnalisée implique d'autre part le développement simultané d'un "test compagnon", un deuxième produit qui permet de déterminer si le médicament sera efficace ou non sur tel ou tel patient.

Le marché du diagnostic compagnon devrait être multiplié par 10 dans les cinq prochaines années

"C'est un façon radicalement différente de travailler", explique Corinne Blachier-Poisson, directrice accès au Marché et Affaires Publiques du laboratoire Amgen, car "la cible des médicaments se restreint au fur et à mesure que notre recherche avance". Au final, la population concernée ne dépasse parfois pas quelques milliers d'individus. Mais le potentiel d'innovation est énorme. "D'ici cinq à dix ans, 50% du chiffre d'affaires de Roche sera généré dans le cadre de la médecine personnalisée", affirmait en 2011 Severin Schwan, le directeur général du laboratoire, pionnier sur ce secteur grâce à sa division Diagnostics. Rien que le marché du diagnostic compagnon devrait être multiplié par 10 dans les cinq prochaines années, selon Prognomix, une entreprise spécialisée sur ce créneau. A ce jour, 17 médicaments de médecine personnalisée sont autorisés au France pour différents types de cancers, et la recherche avance à grands pas. Des traitements ciblés sont annoncés dans le domaine des neuropathologies (maladie d'Alzheimer), l'asthme, le diabète ou les maladies cardiovasculaires.

Des partenariats indispensables

Pour les laboratoires, le défi est colossal. La plupart des "big pharmas" ont opté pour une stratégie d'alliances. En 2012, Pfizer s'est ainsi associé à Abbott pour lancer le Xalkori, un médicament qui vise des formes rares de cancer du poumon. Ipsen s'est allié à BioMérieux pour développer ses diagnostics compagnons dans le cancer, et tous s'adjoignent les services de biotechs spécialisées comme Diaxonhit ou Qiagen. Pour accélérer l'accès de leurs médicaments à une future mise sur le marché, les laboratoires passent également des accords avec des instituts de recherche. Sanofi a par exemple signé en 2012 un partenariat avec l'Institut de cancérologie Gustave Roussy. Le laboratoire pourra ainsi tester sur des patients des molécules en stade très précoce de développement.

Le prix exorbitant du Xalkori, annoncé par Pfizer à 80 000 dollars par patient et par an, a fait tousser les autorités de santé en Grande-Bretagne et en Allemagne

Reste le principal : la rentabilité. Car une cible étroite, cela signifie moins de ventes. Pour rentrer dans ses frais, le laboratoire réclame donc des prix élevés. Très élevés. Le traitement d'un patient au Zelboraf, un médicament de Roche contre un certain type de mélanome, coûte par exemple 9 800 euros par mois. Le prix exorbitant du Xalkori, annoncé par Pfizer à 80 000 dollars par patient et par an, a fait tousser les autorités de santé en Grande-Bretagne et en Allemagne, qui ont toutes deux rejeté le remboursement du médicament. Aux Etats-Unis, les assurances privées sont certes moins regardantes, mais pour les patients non couverts ces médicaments sont tout simplement inabordables.

Les laboratoires, eux, affirment au contraire que la médecine personnalisée peut faire économiser de l'argent. Les traitements habituels sont inefficaces sur 38 à 75% des patients, fait valoir la Personalized Medicine Coalition, une association américaine qui rassemble chercheurs académiques, entreprises, assurances et associations de patients. Grâce aux pré-diagnostics et à un meilleur ciblage, il serait possible d'éviter les prescriptions inutiles et les hospitalisations dues aux effets néfastes des médicaments mal administrés. "Les autorités sanitaires sont de plus en plus sensibles au rapport coût-efficacité", assure Corinne Blachier-Poisson. Dans certains cas, elles ont mis en place un paiement "à la performance", où seuls les traitements des patients ayant répondu positivement sont remboursés au laboratoire.