Gabrielle Gauthey (Caisse des dépôts) "Nous avons investi 50 millions d'euros dans la smart city en deux ans"

La directrice des investissements de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) détaille l'importance prise par la smart city et les start-up dans son soutien à la transformation numérique des collectivités.

JDN. Quel est l'objectif des investissements de la Caisse des dépôts dans la smart city ?

Gabrielle Gauthey dirige les investissements de la Caisse des dépôts, qui totaliseront 800 millions d'euros pour l'année 2017. © Caisse des dépôts et consignations

Gabrielle Gauthey.  La mission de la Caisse des dépôts en tant qu'investisseur est de faire émerger des projets en accompagnant quatre transitions : numérique, énergétique, démographique et territoriale. Soit en les co-montant avec des industriels sur le territoire, soit avec les territoires puis en attirant d'autres investisseurs, financiers ou industriels. Il peut s'agir notamment de délégations de service public, de concessions ou de partenariats public-privé. Nous travaillons à rendre ces projets finançables, puis nous prenons une participation minoritaire.

Depuis quand financez-vous des projets autour de la smart city ?

Tout dépend de ce que l'on appelle smart city. Nous travaillons sur l'aménagement numérique des territoires depuis les années 2000. Lorsque j'ai rejoint la Caisse des dépôts il y a deux ans et demi, il commençait à y avoir des discussions autour du concept de smart city. Nous avons redéfini ce que nous faisions et cela rentrait bien sous le vocable de smart city. A mon arrivée, j'ai tout de suite parlé de smart city car je venais du privé, où c'était déjà un sujet important. J'étais auparavant au comité exécutif d'Alcatel-Lucent, en charge notamment des smart cities.

Mais il fallait d'abord relancer l'investissement. J'ai pris la tête d'une direction qui investissait 250 millions d'euros par an en 2014, nous dépasseront les 800 millions en 2017. Nous avons relancé l'investissement en allant voir les grands groupes comme Total, Engie, Suez ou Vinci. Nous avons été proactifs en leur montrant les projets que nous pouvions co-monter en lien avec les collectivités locales. Avant, nous étions moins "chasseurs" envers les entreprises privées. Nous attendions que les projets remontent des territoires, ce qui arrivait beaucoup moins, pour plusieurs raisons : crise économique, baisse des dotations de l'Etat aux collectivités locales, baisse drastique de l'investissement public, réorganisations territoriales. C'est ce contexte qui nous a poussés à nous tourner davantage vers le secteur privé.

Comment la smart city s'intègre-t-elle à votre stratégie d'investissement ?

Notre action d'investisseur territorial ne peut plus ignorer les plateformes qui offrent tout un tas de services comme l'éclairage public, le traitement des déchets ou les relevés environnementaux. Dans tous les domaines dans lesquels nous sommes investisseurs classiques, le numérique vient disrupter et apporter des services supplémentaires aux collectivités.

"Nos investissements sont ciblés, de rupture et innovants"

Dans les infrastructures et les transports, nous avons par exemple investi dans les services Cityscoot (scooters en libre-service à Paris, ndlr) et Clem' (autopartage en zones rurales, ndlr). Dans l'immobilier, nous sommes entrés au capital de Base10 et Bureaux à partager, qui proposent aux entreprises et aux particuliers de louer leurs espaces inutilisés. En matière de transition énergétique, nous investissons dans les énergies renouvelables, les smart grids, l'éclairage intelligent et l'efficacité énergétique. Nous avons créé avec La Poste l'opérateur SOBRE, qui installe des capteurs dans les immeubles et traite du big data pour améliorer leur efficacité énergétique. Nous avons aussi soutenu des entreprises qui traitent des données territoriales comme OpenDataSoft (formatage et valorisation des données) et Dawex (place de marché B2B de monétisation des données).

Que recherchez-vous dans les sociétés dans lesquelles vous investissez ?

Nos investissements sont ciblés, de rupture et innovants. Notre premier but n'est pas de soutenir les start-up de la smart city mais de faire émerger des services innovants. La plupart de ces entreprises ont un lien avec les territoires. Par exemple, dans la mobilité, nous faisons muter les collectivités d'autorités d'organisation des transports en autorités d'organisation de la mobilité dans son ensemble. Nous investissons donc dans quelques entreprises – comme Citiz, Clem ou Totem –  qui répondent à ces besoins, afin qu'elles deviennent des opérateurs que nous faisons grandir grâce à notre réseau territorial.

Quelle part de vos budgets est allouée à des projets de smart city ?

Nous consacrons annuellement environ 800 millions d'euros d'investissements dans 150 projets pour les territoires. En deux ans, nous avons investi 50 millions d'euros dans une quarantaine d'initiatives qui relèvent de la smart city.

Vous défendez une "smart city d'intérêt général". Comment cela se traduit-il dans vos investissements et comment cela impacte-il vos relations avec le secteur privé, qui ne poursuit pas ces objectifs ?

Nous ne regardons pas que le taux de rendement pour décider d'un investissement mais aussi son impact social et environnemental ainsi que son potentiel de création d'emplois. Nous savons très bien que le privé doit être rentable mais nous nous assurons d'un juste équilibre avec l'intérêt des collectivités, notamment en matière de données.

Vous voyez-vous comme un intermédiaire entre le secteur privé et les collectivités ?

Oui, car nous avons une vision assez panoramique de ce qu'il se passe dans les collectivités grâce à notre réseau territorial. En plus de 250 personnes à Paris, nous avons, dans l'investissement, 200 collaborateurs sur le terrain qui sont au contact des collectivités et des élus au quotidien. Ils connaissent nos investissements et ont pour objectif de nous faire remonter les projets que nous pourrions soutenir. Je ne serais pas contente si une initiative smart city structurante nous échappait. Les villes ne sont pas obligées de passer par nous, mais nous demandons à nos équipes d'être au courant de leurs projets.

N'est-ce pas problématique que la Caisse des dépôts finance des projets et tente en même temps de remporter des contrats de concepteur de smart city via ses filiales comme Egis ?

Lors d'appels d'offres, il y a une muraille de Chine entre notre activité d'investissement et celle de nos filiales. La Caisse des dépôts est un investisseur d'intérêt général. Nous sommes neutres, totalement neutres.