Christophe Sapet (Navya) "Nous équipons une centrale nucléaire d'EDF avec nos minibus autonomes"

Le constructeur français vient de fournir six véhicules sans chauffeur à EDF pour circuler sur son site de Civaux. Quatre autres pourraient suivre.

Christophe Sapet, PDG de Navya. © Navya / Eric Soudan

JDN. Navya déploie une flotte de six navettes complètement autonomes pour transporter au quotidien les salariés de la centrale nucléaire de Civaux, dans la Vienne. Quels sont les détails du contrat ?

Christophe Sapet. Il y a d'un côté le donneur d'ordre, EDF, et de l'autre l'opérateur de transport Transdev. Ce dernier a un accord avec le fournisseur d'énergie pour s'occuper du transport de ses salariés sur la plupart de ses centrales en France. Nous avons sollicité Transdev pour conclure un partenariat avec eux car nous savions qu'il ne valait mieux pas être leur concurrent pour intégrer ce genre de site. De leur côté, ils savent aussi que l'avenir de leur activité passera par le véhicule autonome.

Concernant le coût du projet, il faut compter à peu près 200 000 euros pour chacune des 6 navettes commandées par EDF. Sachant qu'elles ont ici un certain nombre d'options, comme la climatisation. Il faut ajouter à cela un contrat de maintenance et de supervision compris entre 45 000 et 50 000 euros par mois. Le coût total de cette solution ne sera pas très éloigné des montants que dépensait déjà l'entreprise pour le transport de ses salariés car elle devait payer avant notre arrivée deux chauffeurs de bus à temps plein, même si notre but n'est bien sûr pas de supprimer des emplois.

De plus, nos navettes ne nécessitent aucune infrastructure spécifique (caténaires, rails etc.), ce qui rend leur utilisation extrêmement flexible et adaptable à toute modification architecturale sur place (nouveaux bâtiments, modification de voirie, etc.). Il s'agit donc là d'un investissement de long terme.

Pourquoi EDF a-t-il besoin de vos services ?

EDF avait d'abord la volonté de s'équiper d'un service plus efficace que les bus classiques qui transportaient jusqu'à aujourd'hui ses salariés sur le site. Nos navettes assurent une desserte toutes les 3 minutes alors que les bus ne passaient que tous les quarts d'heure. Les salariés du site perdront ainsi moins de temps à attendre d'être acheminés du parking vers la centrale, par exemple, ou à marcher en cas d'attente trop importante. En moyenne les salariés d'EDF perdent entre 20 et 25 minutes par jour en temps de transfert, l'enjeu est donc de taille pour le site de Civaux, où il y a des pointes de trafic de 1 500 à 2 000 personnes.

"Les salariés perdaient entre 20 et 25 minutes par jour en temps de transfert"

On estime aujourd'hui le gain de productivité qu'apportera notre solution à EDF à près de 3 millions d'euros par an. C'est aussi pour eux l'occasion de respecter leur engagement de réduction des émissions de C02 : nos navettes 100% électriques vont permettre à EDF de les réduire de 40 tonnes à Civaux. Les bus thermiques étaient d'autant plus inadaptés qu'ils ne transportaient la plupart du temps que deux ou trois personnes alors qu'ils disposaient de 48 places disponibles. Les quinze places de nos navettes suffiront donc largement, d'autant qu'elles passeront plus souvent.

Après avoir équipé des services de transport public en Suisse et en Australie début 2016, c'est là votre premier contrat en France. Qu'est-ce que cela représente pour Navya ? Vous attendez-vous à une accélération des commandes ?

Transporter de vraies personnes quasiment tous les jours et 24h/24 dans des conditions réelles, personne ne l'a jamais fait. C'est la première fois au monde qu'un site industriel met en place une flotte de véhicules autonomes pour transporter ses salariés. Les sites industriels restent notre priorité en France car ils nous sont plus accessibles, notamment au niveau de la réglementation. Et quatre autres centrales nucléaires se sont déjà montrées très intéressées par Navya.

"Nous allons très prochainement déposer des demandes d'expérimentation sur la voie publique"

Cela nous permet déjà de mesurer l'impact de notre solution sur les utilisateurs. Les salariés qui ont déjà pu la tester à Civaux en sont très contents, nous sommes donc confiants concernant l'accueil que leur réservera le grand public à l'avenir. Nous allons d'ailleurs très prochainement déposer des demandes d'expérimentation sur la voie publique et profiter de l'engouement autour de ce projet avec EDF.

Travailler avec Transdev, qui est l'un des leaders mondiaux des solutions de mobilité, nous offre enfin à la fois une visibilité en France et à l'international. Cela ne nous empêche pas de discuter dès à présent avec d'autres opérateurs de transports en commun. Car à terme, ce seront eux nos principaux clients. Cela pourrait être Keolis à Lyon, par exemple, voire même la RATP en région parisienne, qui est très concernée par les solutions de dernier kilomètre, ou encore la Deutsche Ban, qui a aussi un réseau de bus en Allemagne.

Pourquoi avoir fait le choix stratégique du transport en commun plutôt que de la voiture particulière ? Est-ce une question de moyens, financiers ou législatifs, ou une vision de ce que sera l'avenir du véhicule autonome ?

Nous avons fait ce choix-là car c'est la seule chose que l'on peut véritablement faire aujourd'hui. Google ou les constructeurs automobiles traditionnels ont beau raconter ce qu'ils veulent, la voiture sans chauffeur, ce n'est pas pour demain. Il faut toujours quelqu'un pour tenir le volant à bord et ce n'est pas près de changer.

Ce n'est pas un choix définitif mais en tant que start-up nous ne pouvions pas attendre les années 2020 pour dégager un chiffre d'affaires. Donc l'objectif prioritaire était de faire fonctionner notre navette là où elle peut être mise en circulation dès maintenant, à savoir dans les lieux clos, et notamment des sites industriels où il faut pouvoir transporter des groupes de personnes.

"Nous sommes très sollicités par les villes et le marché est énorme"

Notre gamme évoluera, bien sûr, d'autant que nous visons à terme les milieux urbains et péri-urbains et que nous sommes très sollicités par les villes et le marché est énorme. Mais aujourd'hui, notre navette ne peut pas encore fonctionner dans des situations de circulation complexes comme celles d'un centre-ville. Par exemple, elle ne peut franchir une ligne blanche qu'avec l'autorisation manuelle d'un opérateur. Même dans une voie dédiée en ville, cela demande une amélioration du système. Et nous l'avons vu lors de nos tests au congrès ITS à Bordeaux fin 2015, notre navette a beau être très perfectionnée, il est très compliqué de l'adapter au comportement des autres usagers, d'autant que le code de la route n'est pas toujours respecté, loin de là.

Combien de vos navettes roulent aujourd'hui ? Combien en produisez-vous par an ?

Nous avons présenté notre dernier modèle, Arma, fin septembre 2015 et à partir de là deux premiers véhicules ont été produits pour être livrés à notre premier client, la société de transport en commun suisse CarPostal. En février 2016, une navette a été vendue en Australie, là encore pour du transport en commun. Nous prévoyons de produire 4 véhicules par mois à partir de maintenant, pour atteindre 8 unités mensuelles à la fin 2016 avec pour objectif final d'en vendre une cinquantaine sur l'année.

Pour l'instant, une dizaine d'exemplaires d'Arma ont été vendus, en grande partie pour le site de Civaux. C'est là une étape importante pour Navya car nous avons beaucoup d'actions commerciales en cours et nous attendons une accélération considérable dès cette année à partir de ce projet.

Vous avez levé 4,1 millions fin janvier 2016. Aujourd'hui, quels sont vos chiffres et vos perspectives de croissance ?

Nous tablons sur une cinquantaine de véhicules vendus en 2016, donc environ 10 millions de chiffre d'affaires. L'année précédente ce chiffre ne représentait que 500 000 euros suite à la vente de deux navettes à CarPostal, l'opérateur de transport public à Sion, en Suisse.  Pour les prochaines années, nous attendons une croissance à plus de trois chiffres.