La concurrence dans le ferroviaire est déjà là – mais pas encore ses effets

Alors que l'État et plusieurs régions ont annoncé ces derniers mois, le lancement d'appels d'offres pour mettre la SNCF en concurrence, le bilan d'étape de 30 ans d'ouverture progressive reste timide et mitigé. La concurrence n'a de sens que si elle sert un objectif d'amélioration globale du service rendu aux passagers et à la collectivité.

La concurrence n’a pas sauvé le fret du déclin

En France, la concurrence dans le fret n’a pas sauvé le rail du déclin comme espéré,  la part modale du fret ferroviaire a chuté de 15% en 2001 à 10% en 2016. Au Royaume-Uni, les exploitants privés accumulent les déboires au point que l’État britannique est en train de renationaliser plusieurs franchises ces derniers mois.

A l’inverse, d’autres pays montrent des résultats plus probants. En Allemagne, la concurrence dans le trafic régional a eu pour effet de faire baisser les coûts d’exploitation de l’ordre de 20%, un effet qui restera à démontrer en France. L’Italie est le seul pays à connaitre une concurrence de la grande vitesse laquelle a contribué à améliorer le service tout en tirant les tarifs vers le bas, mais au prix d’un financement important de l’infrastructure ferroviaire par l’État.

La France pâtit à l’inverse du plus haut niveau de péage pour les trains de passagers en Europe, deux fois supérieur à la moyenne européenne (8,9€/train.km vs 4,3€), et près de trois fois supérieure à l’Italie (3,4€). Or, une étude conjointe de la SNCF et d’universitaires a montré que le niveau élevé des péages contribue à diminuer l’intensité concurrentielle. La République Tchèque, qui compte à elle seule deux jeunes opérateurs privés, a, par exemple, des péages… 16 fois moins chers qu’en France.

Pas un mais deux marchés ferroviaires

Les investissements massifs et de long terme exigés pour l’infrastructure conduisent à en faire un monopole naturel ; c’est donc sur l’exploitation que la concurrence va jouer sous deux formes, créant de facto non pas un mais deux marchés ferroviaires : le marché conventionné et le marché open access.

Le premier marché est conventionné ; son exploitation est attribuée par une autorité publique après appel d’offres, le plus souvent contre subventions. En Europe près de 60% du trafic passager est opéré sous ce régime. Au Royaume-Uni près de 100% des lignes sont attribuées par lots de « franchises », mais ne sont pas nécessairement subventionnées. Depuis fin 2019 c’est une possibilité en France pour les TER, où d’ici 3 ans 10% du marché conventionné pourrait être attribué après appel d’offres pour environ 0,8 Md€/an. Le calendrier d’ouverture du marché conventionné dépendant directement des choix politiques nationaux et régionaux.

Si la collectivité espère faire baisser sa dépense et améliorer le service, l’usager n’aura pas le choix de sa compagnie. Pour remporter des contrats, les candidats qui auront rarement la main sur les tarifs, devront jouer avant tout sur les coûts, alors que les barrières à l’entrée sont faibles - matériel roulant et personnels sont généralement transférés à l’opérateur gagnant.

La crise sanitaire pourrait donner un coup d’arrêt aux projets de nouveaux opérateurs

Toute autre est la concurrence frontale ou open access. Ce marché d’environ 6,8Md€ en France devrait connaitre un développement de la concurrence plus timide à court terme, ce pour trois raisons :

·       L’importance des barrières à l’entrée (achat des rames neuves en l’absence de marché d’occasion, formation des agents, maintenance)

·       Le faible nombre de lignes intérieures suffisamment rentables quand elles ne sont pas déjà saturées

·        L’importance des risques supportés par les opérateurs (fréquentation, travaux, incidents d’exploitation) et donc l’incertitude sur les marges

Ces barrières à l’entrée ont conforté les compagnies historiques qui ont préféré nouer des partenariats entre elles pour les voyages internationaux plutôt que tenter une concurrence frontale. Ainsi, depuis près de 10 ans que les trajets internationaux, a priori les plus porteurs, sont ouverts à la concurrence en Europe, rares sont les exemples de nouveaux entrants mis à part quelques trains de nuit qui cherchent encore leur rentabilité.

Les premiers concurrents à entrer sur ce marché pourraient donc bien être les opérateurs historiques eux-mêmes, à travers des filiales pour chercher à gagner de nouveaux marchés. L’arrivée d’un pure player de type Ryan-rail ne parait pas pour demain, d’autant que la crise sanitaire pourrait mettre un coup d’arrêt aux projets de nouveaux opérateurs.

Deux facteurs principaux de différenciations sur l’open access devront être exploités :  le tarif (variable ou non) et les conditions de transports associées (flexibilité d’échange, bagages, service à bord...). Mais dans un marché fragmenté, des difficultés nouvelles seront à résoudre : les besoins de financement, l’entretien du matériel roulant ou encore la distribution des billets sont autrement plus complexes dans un monde où plusieurs acteurs cohabitent.

Tribune rédigée par Raphaël Guillemont, senior manager chez PMP Conseil et Arsène Ruhlmann, consultant chez PMP Conseil