Monétisation des blogueurs : plus proche du sponsoring que de l'achat d'espace

De plus en plus de blogueurs cherchent aujourd'hui une source de revenu décente par rapport au travail accompli sur leurs publications. Mais quelle est la formule la plus adaptée ? Publicité ou sponsoring ?

Depuis plusieurs mois, certains blogs francophones ont ouverts les vannes de la monétisation de leur audience. Approchés par des régies publicitaires classiques type TradeDoubler ou dédiées comme Blogbang et AdRider, les blogueurs cherchent une source de revenu décente par rapport au travail accompli quotidiennement sur leur(s) publication(s).

De leur côté, les marques ont compris que certains blogs disposaient d'une audience importante et méritaient une attention particulière, notamment en prêts / dons de produits. C'est particulièrement vrai pour le matos informatique, mais cela s'étend désormais à la culture avec l'envoi de bouquins ou l'invitation aux avant-premières de films, comme ce fut le cas pour fragile(s). Ces diverses évolutions amènent à réfléchir sur le comportement des uns et des autres dans cet écosystème blogueurs / lecteurs / marques qui se cherche encore.

Un blog = un rédacteur

En France, les blogs sont rattachés à leur créateur / rédacteur, et pas encore à une marque média. Qu'il s'agisse de Versac, Embruns, Loic Le Meur, Techcrunch, webdeux, Presse Citron... bref, n'importe quel blog choisi dans n'importe quel classement : aucun ne peut raisonnablement être considéré comme un blog collaboratif, même s'ils embarquent parfois les interventions d'autres blogueurs. Leur succès repose avant tout sur l'auteur qui a tant veillé la nuit pour se faire connaître.

Aux Etats-Unis, les plus grands blogs restent des blogs au ton très personnel, et ceux qui s'essaient à devenir des marques médias, comme techcrunch à la fin de l'année 2006, voient leur audience décliner. Maintenant que ce n'est plus Michael Arrington qui rédige les billets, quel intérêt de lire les articles d'un rédacteur lambda ? Idem avec Pete cashmore de mashable. Cas à part : les blogs de gadgets où l'on ne cherche pas une "analyse" mais des photos.

Chez nous, le cas du blog de La Fraise est assez édifiant : le départ de Patrice a largement réduit l'audience du blog, en tout cas le nombre de commentaires. Alors que lors de ses tentatives suivantes, via archiduchesse et margaritaporcos, Patrice a entraîné avec lui une flopée de lecteurs / commentateurs.

Ce qui compte, c'est la personne(alité)

Constatant cela, on imagine le fossé qui sépare les blogs des médias. Sur les premiers, on va lire des textes parce qu'ils sont écrits par une personne sympa à lire ou qualifiée pour exposer ses idées. Le blog de Fred Cavazza en est l'exemple le plus clair : c'est sa qualité de professionnel du Web qui lui donne autorité.

Sur les seconds, on va chercher de l'actualité et de l'analyse produites par une marque média qui valide (plus qu'on ne le pense) la véracité des faits ou la pertinence des éditoriaux. Certes les marques médias sont elles aussi drivées par des personnalités qui signent des éditoriaux, comme Claude Allègre au Point, Philippe Bouvard au Parisien ou Franz-Olivier Giesbert au Figaro. Mais in fine, on vient lire un journal, pas une personne. On peut citer en exemple le départ de Serge July de Libération, qui n'a absolument pas entraîné une perte de lectorat.

La publicité sur un blog : pas vraiment adaptée ?

Hormis les bonnes âmes qui cliquent sur les pubs pour remercier le blogueur, les bandeaux et autres Google ads ne sont pas adaptés. Le chiffre d'affaires réalisé par ces moyens est ridicule par rapport à un billet rémunéré entre 200 et 500 euros. L'intérêt d'un blog, ce sont les textes rédigés, pas le bordel non contextuel qui l'entoure. C'est évidemment ce qui rend si attirant les billets sponsorisés : ils sont intégrés dans le flux de publication.

Adsense fait gagner de l'argent à Google, pas à vous. Pourquoi ? Parce que Google vend aux enchères aux annonceurs un nombre de clics, sans répercuter la différence au diffuseur. C'est sans doute la magie du système : Google délègue le succès - ou l'échec - d'une publicité à l'annonceur qui l'a rédigée. "Nous on l'affiche, à vous de faire le texte qui va bien pour que les gens cliquent dessus. D'ailleurs on vous donne tous les outils pour que vous soyez maîtres de la situation. Ne venez pas vous plaindre si cela ne marche pas."

Bref, sur un blog la publicité classique ne fait pas recette, seuls les billets sponsorisés font gagner de l'argent. Or les billets engagent le rédacteur, la personne en tant que telle.

La publicité sur une personne ? Du sponsoring !

Dans le sport et le show-biz, quand une personne fait de l'audience, c'est à dire qu'elle attire dans les stades ou les salles des millions de personnes, les marques la sponsorisent. L'impact entre un Zidane chaussé d'Adidas est bien plus important qu'un millier de publicité dans Football Magazine. Sans doute parce qu'une personnalité transmet la bonne parole à des milliers de personnes très différentes, là où une publicité vise une cible précise. D'ailleurs pourquoi les stars jouent dans les publicités ? Parce qu'elles attirent des populations a priori très différentes. Nespresso a sans doute gagné en notoriété spontanée auprès des femmes en utilisant Georges Clooney. What else ?

Le sponsoring prend différentes formes. Certaines grandes marques le pratiquent déjà depuis longtemps, comme Nokia. D'ailleurs cela doit être la marque la plus avancée en sponsoring de blogueur, en commençant par Loic LeMeur, toujours équipé d'un modèle récent.

Dans les sports où le matériel revêt une importance certaine, comme la planche, le skate ou le golf (des exemples que je connais), les marques commencent par fournir du matériel aux jeunes premiers. Dans le milieu des blogs, ces "rookies" pourraient être Gonzague ou Aysoon. Leur présence en ligne, via blog, Twitter, réseaux sociaux, leur donne un début d'audience intéressant pour les marques. C'est, toute proportion gardée, le degré "zéro" du sponsoring. Les marques envoient du matériel produit de toute façon en millions d'exemplaires : ce ne sont pas 10 voir 50 dons qui vont ruiner des sociétés comme Nokia ou Toshiba. Or avoir un blogueur qui annonce utiliser tel mobile ou avoir vu tel film a bien plus d'impact qu'une publicité sur son blog.

Quand on devient célèbre on dépasse le stade du don pour aboutir à une relation commerciale plus durable. Alors le sportif / blogueur peut demander une rémunération composée souvent de deux parties : un fixe et un variable calculé en fonction de l'exposition de la marque. Pour un sportif, c'est le nombre de passage télé, encart presse ou mise à disposition pour la réalisation d'un catalogue. Pour un blogueur, cela peut être calculé sur son audience. Dans les deux cas, la difficulté est de mesurer l'impact d'apparitions moins officielles comme un rapide passage télé de quelques secondes ou un commentaire laissé sur un autre blog.


Les blogueurs se trompent-ils de ligne budgétaire ?

En allant chercher les budgets publicitaires, les blogueurs et les régies sont en concurrence frontale avec des médias traditionnels, aux méthodes de monétisation bien plus adaptées à la publicité classique. Ne devraient-ils pas aller trouver les responsables marketing pour leur proposer des contrats de sponsoring sur des personnes plutôt que sur des sites ? On s'aperçoit que dès que le rédacteur principal quitte son blog, les lecteurs le suivent. Sur le terrain du sponsoring, les marques le prennent mieux, parce que ce n'est pas le même budget et qu'elles sont dans une logique de notoriété et non de vente.