Eric Sèle (DG Ciena Europe du Sud, Centrale, Moyen-Orient et Afr Les réseaux des FAI sont-ils prêts pour la 3D ?

L'Internet Français peut-il supporter la 3D ? Quelle connexion vous faut-il ? Les tuyaux sont-ils saturés ? Ciena, spécialiste des réseaux nous répond.

Ciena est une entreprise spécialisée dans les réseaux de télécommunication, et n°3 mondiale dans le domaine de l'optique. En France, son activité est principalement centrée sur l'optimisation des performances des réseaux existants.   

 

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Eric Sèle, DG Europe du Sud, Centrale, Moyen-Orient et Afrique de Ciena © Ciena

La rédaction : Pouvez-vous expliquer simplement pourquoi la 3D va poser problème aux réseaux français ?Eric Sèle : La problématique de la 3D dans le domaine du réseau est simple : c'est un problème de débit et d'accès au débit. Une bonne connexion ADSL permettra de recevoir des vidéos en 3D, mais ce sera au détriment d'autres applications. Alors la question est plus largement est-ce que les réseaux sont capables de supporter toutes les connexions ? Entre la VoIP, la 3G, le jeu en ligne, les dizaines de chaines de TV... Tout cela mange énormément de bande passante. La TV 3D n'est qu'un besoin supplémentaire.
 

Mais alors quelle connexion faut-il pour profiter de la 3D ?

En pratique, les gens qui ont des offres entre 10 et 30 Méga (Mbit/s) pourront avoir accès à de la TV 3D en basse définition. Mais ce sera clairement au détriment d'autres applications (jeux, téléphonie...). On (les professionnels du réseau et opérateurs) est à peu près tous d'accord pour dire qu'il faut une connexion d'au moins 10 Mbit/s. Seuls 50% des foyers ont accès à débit supérieur ou égal à 5 Mbit/s.
Il faudra entre 30 et 100 Méga pour de la TV 3D avec une image de qualité, donc une connexion fibre optique, coaxiale ou satellite. C'est ce qui va accélérer une forme de fracture numérique.

Comment améliorer le débit en France ?

On s'est énormément focalisé sur l'accès depuis quelques années : amener une connexion rapide à l'utilisateur (ADSL puis fibre optique, 3G puis 4G). Mais pour le transport des données, on reste sur les infrastructures existantes, comme le fil de cuivre de la ligne de téléphone. Il y a quelques années, on n'aurait jamais imaginé faire passer de l'ADSL dessus et même aujourd'hui la TV HD sur ces bouts de cuivre. On en arrive à un point tel que pour les smartphones, on sacrifie la qualité de la voix pour permettre la transmission de la vidéo et d'autres données. Les soirs de matchs retransmis sur mobile, on risque l'effondrement des réseaux d'opérateurs.
Les serveurs qui envoient du contenu français sont à Paris ou en région. Et quand il faut aller à Marseille, on est vraiment sur un problème de transport. Ce qu'on appelle les autoroutes de l'information. C'est derrière le DSLAM (NDLR : pas entre le DSLAM et chez vous) qu'il y a risque d'engorgement. On peut avoir les accès les plus performants (comme le FTTH), si on ne transporte pas les données jusque là, c'est fini.

Pour améliorer la situation, on se concentre aujourd'hui sur l'augmentation des débits sur l'infrastructure en place : on est passé à 2,5 Gbit/s par longueur d'onde et on (Ciena) propose du 100 Gbit/s (pour SFR en ce moment). Il faut aussi améliorer la fiabilité des réseaux, la qualité du service et créer des priorités dans la gestion des flux. Il faut les sécuriser aussi, car avec un réseau à 100 Gbit/s, on déplace l'intégralité du contenu de la banque de France en quelques heures. Et si un câble tombe, on perd tout, y compris le téléphone et des appels d'urgence.

 
NDLR : Pour bien comprendre l'engorgement des réseaux :
Source : L'Internaute Magazine
Prenons la métaphore de la plomberie. Si la consommation d'eau des particuliers augmente de 50 % chaque année (c'est grosso modo ce qui s'est passé en 2010 avec le débit) : il va vite y avoir un problème. Première mesure : on augmente l'arrivée d'eau à l'entrée des immeubles (les supers forfaits 6, puis 20 mega...). Mais si on ne change pas les tuyaux depuis la source d'eau, la mesure reste limitée. Pour suivre la demande, deux solutions : soit mettre des tuyaux bien plus gros, mais les travaux sont extrêmement chers, soit augmenter la pression de l'eau, pour faire passer plus de débit, c'est ce qui est en train d'être fait.

 

Les constructeurs vendent des terminaux et des milliers applications sans se préoccuper du débit nécessaire.

Dans quelle mesure ce problème de réseau peut-il limiter la diffusion de la 3D ?

Il ne faut pas voir le problème dans ce sens là, car aujourd'hui l'opérateur court derrière l'usage. Si les supermarchés fournissent demain des TV 3D à 150 euros, les ventes vont exploser et ça va déborder les opérateurs. Ce sera très laborieux au début, mais ils devront suivre.

Il faut réaliser qu'on s'est habitué au débit gratuit mais on ne se rend pas compte de ce qu'on consomme. On paye les opérateurs le même prix depuis des années, mais le débit consommé augmente énormément, à tel point que de nombreux opérateurs se demandent s'ils ne vont pas limiter la consommation de données. On a assisté à un développement des usages extrêmement accéléré. Les constructeurs vendent des terminaux et des milliers applications sans se préoccuper du débit nécessaire. Et comme aujourd'hui c'est l'iPhone, la TV HD, la TV 3D (et demain pourquoi pas le réfrigérateur connecté) qui dictent leur loi, il faut soulever une nouvelle question : qui doit payer pour le débit supplémentaire ?