Tangui Morlier (VicePrésident de l'April) On est contre tout ce qui limite la diffusion"

L'April promeut et défend le logiciel libre. C'est une association qui se bat notamment contre la loi Hadopi, pour la liberté de circulation des informations. Spécialistes du milieu, leur regard sur le piratage se révèle tout à fait éclairant.

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Tangui Morlier © April

En tant qu'acteur du libre, pourquoi estimez-vous que le piratage touche aussi durement le monde du logiciel. (42% des logiciels en France sont piratés selon BSA) 

Le terme «piratage» est un mot que nous refusons. J'ai donc tendance à douter de la fiabilité de ce genre de chiffre. On peut évaluer le téléchargement de logiciel, mais pas forcément le piratage. Je crains donc que ces études associent téléchargement et piratage. Sur le fond, si j'en crois le chiffre d'affaires de Microsoft en Europe, j'ai tendance à croire que ça va, le piratage par chez nous ne fait pas trop de ravages. Par ailleurs, il n'existe quasi-plus d'éditeurs de logiciels propriétaires en France. Il y a une mutation importante du marché. Tous les fonds vont à l'étranger. Le business ici est axé autour du service, le piratage n'existe pas avec le service. Pour preuve, tout le chiffre d'affaires de Microsoft France est du service, toutes les licences sont en Irlande. C'est la fin du modèle éditeur, au profit du modèle de services. Il faut s'adapter. 

Que pensez-vous des licences d'utilisation ? Pensez-vous qu'il y a confusion dans l'esprit des acheteurs qui pensent acheter un produit et non un droit d'utilisation ?  

A chaque achat d'un logiciel propriétaire on a une licence différente. Les services juridiques d'entreprises ou les particuliers doivent étudier cette licence avant l'achat. Son but : limiter l'utilisation et si on va à l'encontre, on est en situation de piratage. Cela peut être par exemple des locations, c'est-à-dire un droit d'usage limité dans le temps, ou une limitation du nombre de PC sur lequel l'installer.  Lorsqu'un consommateur va dans un supermarché acheter un ordinateur, on lui impose l'achat d'un logiciel : Windows. Le consommateur fait l'association entre un PC, un objet à lui dont il fait ce qu'il veut, et un bien immatériel, qu'il paye pour un droit d'utilisation limité. Donc oui, il y a confusion.

Ces pratiques sont parfois illégales (ventes liées). Et après on s'étonne que les consommateurs ne fassent pas la différence, et qu'ils se retrouvent en situation de piratage. Pour nous (ndlr. le monde du logiciel libre) le piratage n'existe pas. Même si on peut acheter du libre, vendre du service, bref, gagner de l'argent. Par exemple, une manière d'aller à l'encontre d'une licence libre, c'est de ne pas citer le nom des créateurs. Nos licences définissent et garantissent le périmètre des libertés : étudier, utiliser, modifier, distribuer.

DRM, filtres, répression (riposte graduée)... Ces mesures sont-elles utiles ? 

une bonne méthode pour résoudre les problèmes de "piratage", c'est de faire du Logiciel Libre.

C'est simple, on est contre tout ce qui limite la diffusion. Microsoft réalise le gros de son chiffre d'affaires en Europe et aux Etats-Unis et quasiment rien ailleurs. C'est qu'en Asie, par exemple, ces limitations ne les gênent pas trop, qu'elles ne sont pas efficaces...Sur le fond, nous, ça nous pose un problème éthique. On est convaincu que l'information doit circuler. Cela pose également un problème de concurrence : il y a ceux qui maîtrisent les verrous, qui décident qui a droit d'utiliser les logiciels. Cela entraîne également un souci de liberté d'expression. Par exemple, une licence d'un logiciel d'Oracle postule que des citoyens de certains pays comme l'Irak, ne peuvent utiliser le produit. Pour conclure, on dira qu'une bonne méthode pour résoudre les problèmes de "piratage", c'est de faire du Logiciel Libre.  

 Tangui Morlier a cité dans son développement un article, rédigé par Antonio Russo, Le rôle de l'État dans la constitution des positions dominantes dans le secteur informatique, de mars 2008.

 
Exemples de limitations problématiques présentes dans certaines licences de logiciels
Editeur de la licence Limitation
Source : Antonio Russo
Oracle Interdiction de l'usage de ses logiciels aux citoyens irakiens, cubains ou soudanais
Panda software Interdiction d'offrir ses logiciels
Microsoft Interdiction d'utiliser FrontPage 2003 pour déniger les produits de la compagnie

Et aussi

L'interview de Natacha Jollet-David, porte-parole de BSA  

Alors que la loi HADOPI se débat au parlement, nous avons demandé à l'association de défense des droits des développeurs de logiciels propriétaires (BSA) de nous donner son avis et de nous dresser un tableau du piratage logiciel. Paroles d'expert.

Le piratage coule t-il le navire culturel ?

Plusd'un tiers des internautes français piratent en téléchargeant descontenus protégés, parfois même sans le savoir. Une situationcertainement dramatique, mais surtout absurde, qu'il convient declarifier : quels sont les dégâts du piratage ? Les gags et abus qui endécoulent ? Et quelles solutions seraient envisageables ? Décryptage complet.