"Dans les entreprises actuelles, on ne peut plus se fier à ce qui a été dit la veille"

Fondateur du cabinet allemand Kraus & Partner, Georg Kraus a commencé sa carrière comme ingénieur chez Daimler. Il conseille désormais les grands groupes en organisation et conduite du changement. Au forum Change Management, il évoque "l'entreprise ambigüe".

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Georg Kraus. © Dr Kraus & Partner

Ingénieur de formation, vous êtes devenu docteur en psychologie pour exercer votre métier de consultant. Pourquoi ?

Diplômé d'une école d'ingénieur, j'ai commencé comme consultant chez Daimler au département de l'organisation qui traitait d'organigramme, de structure. Pour un ingénieur, tout dans le monde organisationnel est léger, tout le monde cherche à améliorer l'efficacité. Or, j'ai rapidement remarqué qu'autour de moi les gens raisonnaient différemment, ils se comportaient plutôt comme deux voisins qui se disputent au sujet de l'arbre qui sépare leurs terrains. A partir du moment où j'ai vu les limites de mon raisonnement d'ingénieur, il a fallu se lancer dans les études de psychologie pour comprendre les raisonnements en vigueur dans l'entreprise.

Pour diriger une entreprise, il faut donc comprendre ce décalage entre l'organigramme et le fonctionnement réel ?

Il faut en effet gérer les deux parties qui font l'entreprise, à la fois la structure et la culture, qui ne correspondent pas forcément. Mais il y a en plus une troisième dimension, c'est la direction, c'est-à-dire la stratégie. Evidemment, tout cela n'est pas statique, mais se situe dans un mouvement permanent, d'où le besoin de management du changement. La plupart du temps, les cabinets de conseil s'occupent uniquement de l'un de ces axes : stratégie, organisation ou culture. Or, ce sont ces trois dimensions ensemble qu'il faut gérer.

Pourtant, la structure officielle d'une entreprise reste importante aux yeux des collaborateurs.

Les employés, les managers ou encore les syndicats conservent une vue statique. On établit un organigramme, on définit ce que chacun doit faire et on travaille dans ce cadre. Les gens ont besoin de connaitre leur périmètre : s'il n'est pas défini, cela peut les paralyser. L'employé dont le rôle n'est pas bien défini rejette la faute sur son manager, qui se sent coupable. Derrière, il y a l'idée d'une entreprise qui est bien dessinée, où chacun connait son périmètre. Or, on ne peut plus fonctionner comme cela.

Qu'est ce qui provoqué cette évolution ?

La fréquence du changement dans les entreprises s'accélère. On ne peut pas se fier à ce qui a été dit la veille. J'ai accompagné la fusion entre deux grandes sociétés allemandes. Les choses se sont tellement bien passées que le PDG a cru pouvoir annoncer qu'il n'y aurait aucun licenciement. Or, 6 mois plus tard, le marché s'est retourné et 15% des salariés ont dû partir. On reprochait à ce patron d'avoir menti, alors qu'il était sincère. Malheureusement, la logique reste encore : "ce que le chef dit reste valable pendant 10 ans".

Comment prendre en compte cette évolution ?

Il faudrait retirer la mauvaise conscience des managers pour la redonner aux salariés ! Si les choses ne sont pas parfaitement réglées, il ne faut pas chercher le coupable, mais accepter de faire partie d'une organisation de moins en moins réglée et se montrer plus actif dans la gestion. C'est la philosophie lean : c'est l'ouvrier qui manipule la machine qui est responsable et doit pouvoir changer les choses. Je me souviens d'un manager allemand qui travaillait avec des équipes pakistanaises. Il était surpris : ses ordres étaient appliqués à la lettre, même si cela ne fonctionnait pas. Si, dans les pays développés, on n'arrive pas à changer ce comportement, on ne se démarquera pas des pays en développement. Les entreprises qui n'arriveront pas à faire évoluer la mentalité des collaborateurs auront de plus en plus de problèmes dans le futur.