Open space : pourquoi tant de haine ?

Open space : pourquoi tant de haine ? Le bureau ouvert est de plus en plus adopté mais toujours autant haï. Normal : les entreprises françaises ne font rien pour en contrer les désagréments.

Le phénomène semble inexorable. Les unes après les autres, les cloisons tombent dans les entreprises. Mieux adapté au travail collaboratif, plus flexible et surtout moins cher que les bureaux fermés, l'open space est en passe de devenir la norme.

Le constat dressé par le baromètre du cabinet Actineo (réalisé par CSA) est en la matière sans appel : "le bureau partagé s'est largement imposé en Europe." Certes, la Grande-Bretagne reste loin devant, avec 73% des salariés en open space, mais les Français ne sont pas en reste : ils sont désormais 55% à évoluer dans le cadre d'un bureau collectif.

56% des salariés en open space sont insatisfaits de leur environnement

Cette tendance reste pourtant en travers de la gorge de nombreux salariés, en particulier en France. D'abord, le pays apparait comme une terre de résistance : le bureau individuel concerne encore un tiers des actifs. Surtout, les Français n'apprécient guère leur environnement de travail : 39% s'en disent insatisfaits, un record. Une proportion qui grimpe même à 56% quand il s'agit d'open space.

Le bruit et la douleur

Parmi les choses qui coincent, la perte d'intimité cristallise les tensions. Travailler sur un plateau signifie passer ses journées au vu et au su de tous, dans un contexte agité et parfois bruyant.

Une situation mal vécue par les salariés et parfois incomprise par les dirigeants, surtout s'ils bénéficient de bureaux fermés, hiérarchie oblige. "En France tout particulièrement, ne pas réussir à se concentrer est toujours perçu comme une faiblesse, indique Catherine Gall, directrice de recherches chez Steelcase. Le cerveaux est censé l'emporter sur les émotions." Oui, mais voilà, au quotidien, les salariés ont les nerfs en pelote.

"La solitude peut être un puissant catalyseur d'innovation"

Si certaines interactions sont facilitées par la proximité, d'autres tâches se trouvent pénalisées par les distractions, à commencer par celles qui nécessitent de la concentration ou un effort intellectuel prolongé peu compatible avec les multiples interruptions. "La solitude peut être un puissant catalyseur d'innovation", rappelle avec sagesse l'américaine Susan Cain, dans son livre "La Force des discrets". Une vérité bonne à rappeler dans une époque où la collaboration est érigée en mode de travail ultime.

Parades laborieuses

La gêne provoquée par le bureau ouvert est évidemment vécue différemment selon les personnalités ("Les introvertis sont les laissés pour compte de l'open space", estime Catherine Gall) mais aussi selon le travail à effectuer et les moments de la journée. Il suffit d'observer comment, à certains horaires, les salariés trouvent des parades à ces parasitages. Certains enfilent leurs écouteurs pour échapper au brouhaha, d'autres préfèrent travailler depuis le café d'en face pour éviter les collègues envahissants...

"Les introvertis sont les laissés pour compte de l'open space"

Pourtant, la diversité des activités pourrait être prise en compte dans la conception même des locaux. Des panneaux isolants matérialiseraient certaines frontières, des lieux à l'écart seraient dédiés aux coups de fil ou aux visio-conférences, des pièces isolées seraient calibrées pour les conversations à deux ou trois... Or, les entreprises françaises sont à la traîne. Alors que 54% des Néerlandais et 46% des Suédois bénéficient d'un espace convivial et de partage informel dans leurs locaux, cela ne concerne que 27% des actifs français, selon le baromètre Actineo. En France, à part des vastes salles de réunion, les travailleurs sont coincés sur leur plateau. Résultats : une perte d'efficacité, un stress croissant et des nuisances supplémentaires pour les collègues.

54% des Néerlandais bénéficient d'un espace de partage informel contre 27% des actifs français

Autre piste : le télétravail, qui permet de jongler entre période de calme à la maison et journées en l'entreprise tournées vers l'échange et la collaboration. Hélas, la France, toujours marquée par une culture du présentéisme, se montre là encore rétive à cette évolution.

Au final, les salariés hexagonaux se trouvent au milieu du gué. D'un côté, l'avancée de l'open space, plus récente et moins complète qu'ailleurs, se poursuit sans relâche, avec son lot de souffrances. De l'autre, les employeurs n'ont pas encore sauté le pas et pris en compte les conséquences de cette évolution, en termes d'aménagement de bureau et d'organisation du travail. Comme si l'alternative se résumait à choisir entre le "tout bureau fermé" ou le "tout open space". Pas étonnant, dans ces conditions, que les salariés hexagonaux regrettent le temps béni où les cloisons leur assuraient un minimum de sérénité.