Transfert de technologie avec la Chine : faut-il craindre le pillage ?

Transfert de technologie avec la Chine : faut-il craindre le pillage ? Le commerce avec la Chine pose la question de la maîtrise de sa propriété intellectuelle. Quelle est la bonne stratégie pour une entreprise française qui veut se protéger ?

Dans son livre "Réussir sur le marché chinois" (Eyrolles) la consultante Chunyan Li aborde sans détour la question stratégique du transfert de technologie et de savoir-faire des entreprises occidentales à destination de la Chine. Elle présente en outre les retours d'expérience en la matière de fleurons de l'industrie française : Airbus, Alstom, EDF, Thales. Extraits.

"Le transfert de technologie et de savoir-faire a été un thème très débattu en France dans les années 2000, auquel les Français semblent toujours très sensibles. Ainsi, entre 2005 et 2007, le soupçon d'espionnage industriel d'une étudiante au détriment de Valeo a créé beaucoup de chaos dans la presse française. En 2011, Renault a accusé à tort trois de ses cadres ainsi que la Chine d'espionnage industriel.
Cette peur est bien réelle et fondée sur des arguments. D'une part, les entreprises chinoises pourraient ne plus acheter leurs produits ou services une fois les technologies acquises ; d'autre part, les entreprises chinoises pourraient devenir leurs concurrents non seulement en Chine, mais aussi dans le reste du monde.
La Chine a très envie de progresser et d'apprendre auprès des Occidentaux. Comment le monde occidental doit-il y réagir ? Tout faire pour l'empêcher d'apprendre et cacher au maximum ses technologies et son savoir-faire, ou l'aider à grandir pour avoir accès au marché chinois tout en gardant un pas d'avance sur l'innovation, et peut-être explorer ensemble le marché international ?

Echange du marché contre la technologie et le savoir-faire

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Réussir sur le marché chinois de Chunyan Li. © Eyrolles

"There's no such thing as a free lunch", a dit dans les années 1970 l'économiste américain et lauréat en 1976 du "Prix Nobel d'économie" Milton Friedman, en faisant même le titre d'un livre paru aux États-Unis en 1977. En effet, pour avoir accès à l'immense marché chinois, il faut un échange, c'est-à-dire souvent le marché contre la technologie et le savoir-faire. C'est une relation donnant-donnant.

Prenons un exemple typique : la Chine est déjà le deuxième marché de l'aviation civile, et le premier contributeur du chiffre d'affaires du groupe Airbus. Jusqu'en mars 2014, la joint-venture d'Airbus sur la chaîne d'assemblage d'A320 à Tianjin, inaugurée officiellement en 2008, a déjà assemblé plus de cent soixante A320, ce qui a permis au constructeur d'augmenter sa part de la flotte d'avions de plus de cent places en Chine, soit de 17% de part de marché en 2006 à 50% en 2013.

Cette joint-venture, qui devait s'achever début 2016 selon l'accord initial, a été prolongée de dix ans supplémentaires. Airbus compte par ailleurs confier au site de Tianjin l'A320Neo, la version remotorisée de son moyen-courrier.

 

Les Chinois y arriveront de toute façon...

La Chine possède de très riches ressources humaines et financières et affiche depuis 1990 une croissance rapide des dépenses de la R&D dégagée par les entreprises chinoises. En 2012, l'intensité de la R&D (1) de la Chine (1,98 %) a dépassé pour la première fois celle de l'Union européenne (1,97 %), après avoir dépassé le Royaume-Uni et le Canada en 2011, selon l'OCDE. Le plan quinquennal actuel de la Chine vise à atteindre 2,2 % en 2015. En outre, le nombre de brevets déposés par des inventeurs chinois a significativement crû. En termes de familles triadiques de brevets, la Chine est devenue septième en 2011.

"Les entreprises chinoises essaient d'attirer les meilleurs ingénieurs formés en Chine ou à l'étranger"

Les entreprises chinoises arriveront de toute façon à acquérir toutes les technologies dont elles ont besoin un jour, soit par l'acquisition et l'intégration des différentes technologies occidentales, soit par leur propre R&D. Avec des rémunérations et conditions de travail de plus en plus intéressantes, elles essaient d'attirer les meilleurs ingénieurs chinois formés en Chine ou à l'étranger, et ceux qui ont déjà eu des expériences de R&D dans les entreprises occidentales. Il leur reste encore à améliorer leur capacité d'organisation et l'efficacité de travail, mais ce n'est qu'une question de temps.

La gestion de la période de transition

Comment donc gérer cette phase de transition ? Voilà ce que se demandent les entreprises françaises. Si elles refusent le transfert de technologie ou de savoir-faire en Chine, elles n'accéderont pas au marché chinois ou y perdront leur part de marché. En outre, les entreprises chinoises chercheront un autre partenaire occidental ; si elles n'en trouvent pas, elles développeront leur propre technologie en mettant plus d'énergie et de ressources, notamment mues par la forte motivation de continuer à croître rapidement en Chine. Le chemin sera différent, mais le point d'arrivée sera le même, quelle que soit l'attitude des entreprises françaises à ce sujet.

"France seule n'a pas la taille critique pour gérer le rapport de force dans les relations géopolitiques avec la Chine"

"Posséder la technologie ne suffit pas, elle n'apporte pas de valeur ajoutée si elle ne permet pas de conquérir un marché ou un marché à haut potentiel. La seule façon de créer la valeur d'une technologie, c'est de savoir à tout prix transformer la technologie en marché et en chiffre d'affaires rentable. Nombre de cas démontrent déjà qu'une coopération technologique bien gérée entre l'Occident et la Chine bénéficie aux deux parties, trois exemples réussis étant Schneider Electric, Volkswagen et GM, qui ont tous créé des joint-ventures et remporté beaucoup de succès en Chine", commente Jincheng Ni, président de l'Association des ingénieurs chinois en France, vivant en France depuis 1985.

Stéphane Albernhe, Managing Partner d'Archery Strategy Consulting, commente : "Les entreprises françaises ne peuvent se permettre d'avoir une attitude trop défensive vis-à-vis des entreprises chinoises, car d'une part, la France seule n'a pas la taille critique suffisante pour gérer le rapport de force dans les relations géopolitiques avec la Chine ; d'autre part, au niveau microéconomique, laisser les entreprises chinoises avancer avec leurs propres moyens ne va pas les ralentir, car cela les obligera à mobiliser des ressources et à structurer une feuille de route encore plus offensive." Au lieu de barricader les technologies et le savoir-faire français, au risque de rater des opportunités sur un marché immense, mieux vaut généralement établir des accords équilibrés sur le transfert de technologie et de savoir-faire pour ouvrir le marché chinois et l'explorer dans la continuité, en gardant toujours les yeux grands ouverts.

"Au lieu de barricader les technologies et le savoir-faire français, mieux vaut établir des accords équilibrés pour ouvrir le marché chinois et l'explorer dans la continuité"

"Il est préférable de ne pas construire de contrats trop complexes et surtout trop léonins, qui risquent d'être refusés, ou de braquer les partenaires chinois, ce qui à terme paie rarement. Il est préférable de rechercher à équilibrer les contrats, en valorisant les apports de technologie et les savoir-faire de chaque partenaire, puis en répartissant les investissements et les responsabilités en conséquence. Les Chinois sont pragmatiques ", précise Stéphane Albernhe.

Deux solutions permettent aux entreprises françaises de ne pas perdre leur force de différenciation en transférant la technologie et le savoir-faire en Chine : les transférer tout en conservant la partie la plus critique pour la société, et garder toujours un pas d'avance sur l'innovation. En effet, le transfert de technologie et de savoir-faire motive une société française à garder l'avantage concurrentiel en se focalisant en priorité sur l'innovation.

Il faut bien sûr aussi éviter que le partenaire ne vole les technologies, pour développer ensuite son propre business. Le partenariat doit s'inscrire sur le long terme, le partenaire être bien sélectionné et le transfert de technologie bien géré."

(1) Dépenses intérieures brutes de R&D en pourcentage du PIB.