De l'avis négatif du CE au refus d'émette un avis : quelle marge de manoeuvre pour l'employeur

Pour bloquer les décisions patronales, les comités d'entreprise ont longtemps utilisé l'arme de l'avis négatif. Aujourd'hui, ils refusent de rendre un avis. Est-ce autorisé ? Réponse.

Pendant longtemps, le principe de l'établissement conjoint de l'ordre du jour des réunions du Comité d'entreprise par le secrétaire et le chef d'entreprise a été détourné par certains secrétaires, qui refusaient systématiquement d'approuver l'ordre du jour proposé par l'employeur dans le seul but de retarder les procédures de consultation, et, par voie de conséquence, la mise en oeuvre des décisions de l'entreprise.

Cette pratique fut néanmoins écartée pour partie par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 qui permet à l'une ou l'autre des parties de fixer unilatéralement l'ordre du jour "lorsque sont en cause des consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou par un accord collectif de travail". Cette modification de l'article L. 434-3 du Code du travail, bien que constituant une avancée manifeste par rapport à la rédaction antérieure, n'exclut pas cependant toute attitude dilatoire de la part du Comité d'entreprise. 
Un projet peut-il être mis en oeuvre sans avis formel du CE ? Le Comité peut notamment être amené à refuser d'exprimer un avis lorsqu'il est consulté sur une décision ou un projet de l'employeur au titre de l'article L. 431-5 du Code du travail. Bien que l'avis du Comité ne lie pas l'employeur, l'obtention de cet avis constitue une formalité substantielle quant à la validité de la décision ou du projet mis en oeuvre : ainsi, le défaut de consultation régulière du Comité est susceptible de constituer un trouble manifestement illicite que le juge des référés peut faire cesser en ordonnant à l'employeur de suspendre la mise en oeuvre de sa décision dans l'attente d'une consultation régulière. En outre, celui-ci s'expose, dans un tel cas, à être poursuivi pénalement au titre du délit d'entrave.
Il convient, dès lors, de se demander si l'employeur a bien rempli son obligation de consulter le Comité d'entreprise lorsque ce dernier s'abstient délibérément d'exprimer un avis. Autrement dit, l'employeur peut-il passer outre et mettre en oeuvre un projet sans avoir obtenu un avis formel du CE ? La Cour de cassation considère traditionnellement que l'obligation de consultation du Comité d'entreprise est satisfaite dès lors que le projet a été régulièrement soumis à l'avis du Comité, peu importe que les représentants du personnel se soient refusés à formuler un avis (Cass. Soc., 18/2/1998). Le chef d'entreprise peut donc mettre en oeuvre le projet : l'absence formelle d'avis vaut alors avis défavorable. Il lui appartient néanmoins d'évaluer lui-même le bien-fondé de sa position, et d'être conscient des risques encourus.
Le critère de la bonne information du CE Il est, en effet, indispensable que la procédure d'information/consultation ait été régulièrement mise en oeuvre : notamment,  le Comité d'entreprise doit avoir été en mesure de formuler un avis motivé, conformément à l'article L. 431-5 du Code du travail qui prévoit que le Comité doit  disposer : -          d'informations précises et écrites transmises par l'employeur, -          d'un délai d'examen suffisant, -          et de la réponse motivée du chef d'entreprise à ses propres observations.
Il appartient ainsi aux juges du fond d'apprécier souverainement que le Comité d'entreprise a été suffisamment informé pour exprimer un avis. Les juges sont ainsi amenés à examiner, de façon très pragmatique, l'ensemble des éléments de procédure qui leur sont soumis. A ce titre, la lecture des procès-verbaux des réunions peut s'avérer très utile afin d'apprécier la richesse des débats entre l'employeur et le Comité.
Si l'information n'est pas complète, le juge des référés peut suspendre la procédure et imposer la tenue d'une réunion supplémentaire, qui aura objet de compléter l'information du Comité et de recueillir son avis (TGI Nanterre, 22/12/ 2000 - TGI Paris, 23/4/ 2002). En revanche, si l'information a été complète, la jurisprudence admet implicitement que le refus d'émettre l'avis peut être assimilé à un avis négatif. L'employeur peut ainsi mettre directement en oeuvre le projet étudié dès lors que le Comité a reçu des éléments d'information précis et suffisants pour prendre position sur le projet, a pu débattre utilement et concrètement de ses tenants et aboutissants et a reçu des réponses motivées de l'employeur à ses interrogations essentielles (TGI Créteil, 20/2/ 2000 - TGI Paris, 27/9/2005). 
Le refus illégitime du Comité d'entreprise d'émettre un avis, quand bien même il aurait été suffisamment informé pour se prononcer, s'inscrit en effet dans le cadre d'une stratégie d'obstruction visant à faire échec à la mise en oeuvre du projet étudié, ou du moins la retarder. C'est pourquoi la jurisprudence autorise le chef d'entreprise diligent à passer outre cette absence d'avis afin d'éviter toute situation de blocage. L'employeur peut aussi saisir le juge des référés pour faire constater la situation d'entrave et faire cesser le trouble manifestement illicite que peut constituer le refus de donner un avis.