Comprendre la question générationnelle

Le poids démographique va rapidement faire évoluer le « rapport de force » au sein des entreprises, ce qui rend stratégique l'enjeu posé par la cohabitation des générations.

Inutile de revenir à Socrate ou à Aristote pour mettre en perspective le conflit intergénérationnel. La jeunesse est classiquement définie comme révoltée et marginale... au regard du modèle social et économique en place.

Pourtant, il est surprenant de constater que le problème de l'intégration des jeunes dans l'entreprise n'a pas fait l'objet, par le passé, d'études approfondies sur le sujet. A croire qu'il semblait plus délicat de faire travailler les administratifs et les commerciaux que de réussir la cohabitation entre plusieurs générations au sein d'une même équipe.

Aujourd'hui, cette question générationnelle se pose avec une telle évidence qu'il devient presque incongru de ne pas y répondre. Et pourtant, le danger de la banalisation est devant nous. Est-ce que finalement les aspirations de ces jeunes ne sont pas tout simplement celles des générations précédentes au même âge ? Et puis, ne peut-on pas compter sur la situation économique pour calmer les exigences de ces nouvelles recrues et les formater à notre image ?

 

L'option qui consiste à banaliser la fracture générationnelle trouve vite ses limites.

En effet, le poids démographique va rapidement faire évoluer le « rapport de force » au sein des entreprises. Nous allons vivre avec l'arrivée de la génération Y un basculement des valeurs dans les 3 à 5 années à venir. Le rallongement du temps de travail provoquera une situation inédite : celle de faire cohabiter 3 générations pendant quelques années encore.

Evidemment, l'enjeu consiste ici à intégrer les jeunes dans un système qui ne cherche pas seulement à les assimiler sous prétexte qu'ils vont s'assagir et rentrer bien tranquillement dans le moule de la conformité. Une telle tentation nous priverait du potentiel d'innovation que cette jeunesse incarne. Elle est câblée pour le futur : travail spontané en réseau, maîtrise des nouvelles technologies, pragmatisme, facilité et goût pour l'apprentissage, capacité d'adaptation...

Pour mieux situer les éléments du débat, consacrons un peu de temps à identifier les caractéristiques des 3 générations qui cohabitent actuellement.

 

Les baby boomers (1945-1965) incarnèrent, avec mai 68, une remise en cause de la société de consommation. Qui oserait dire aujourd'hui qu'ils n'ont pas marqué leur époque et remis en cause le système de valeurs de leurs aînés ? La revendication de la liberté sexuelle et de l'utopie politique, ainsi que le rejet de l'autorité étaient des éléments clés de cette ambition. Les 30 glorieuses et la croissance sont des marqueurs sociaux qui expliquent l'évolution des valeurs de cette génération vers le développement économique, la réussite professionnelle et la méritocratie. Cette génération qui est actuellement au pouvoir imprègne fortement le système de valeurs de nos entreprises et elle est à l'origine du modèle d'acculturation proposé aux jeunes.

 

La Génération X (1965-1980) en quête d'identité - ce qui explique d'ailleurs son nom - a vécu des séismes importants : Tchernobyl, sida, choc pétrolier et crise de l'emploi. L'ascenseur social était en panne et cette génération apolitique et nihiliste traduisit sa remise en cause des valeurs de la génération précédente par des attitudes cyniques et nihilistes. Cette génération moins importante sur le plan démographique que la précédente, n'a pas été en mesure de faire sa place sur le plan culturel. Il en ressort une grande méfiance vis-à-vis de l'avenir, des organisations et institutions. Certains diront qu'elle a manqué son rendez vous avec l'histoire par manque d'affirmation. Elle a toutefois aujourd'hui un rôle important à jouer dans la médiation entre les baby boomers et les Y.

 

La génération Y (1980-1995) est née dans l'incertitude du lendemain, et elle n'a donc pas d'état d'âme vis-à-vis de l'inconfort psychologique que représente le contexte économique et social actuel. A l'inverse de sa devancière, elle manifeste une confiance commune dans sa capacité à s'adapter dans un monde qu'elle ne souhaite d'ailleurs pas réformer malgré l'importance accordée par elle à l'éthique et l'écologie. Les marqueurs sociaux de cette génération sont évidemment les technologies de l'information avec Internet, la mondialisation, mais aussi la famille monoparentale. On les appelle « enfants clé au cou » parce qu'ils étaient souvent les premiers rentrés le soir à la maison. Ils ont acquis très vite une grande indépendance et leurs référents furent plus souvent leurs pairs que le père. Cette génération décomplexée, rodée à la négociation, exprime l'ambition d'exister à travers des valeurs et modes de fonctionnement qui viennent en conflit avec le système managérial tel qu'il existe actuellement.

 

Une enquête montrait récemment que les parents ne seraient pas prêts majoritairement à recruter leurs propres enfants. Cela donne une idée du clivage et du chemin à parcourir pour que l'on puisse se comprendre et faire de nos différences... de vraies complémentarités.