L’appellation "Saint-Nicolas" menacée d’appropriation

Le dépôt, par la ville de Nancy, de la marque "Saint Nicolas" pose la question de la liberté de choix d'un nom déposé à titre de marque.

Le dépôt de l'appellation "Saint-Nicolas" à l'INPI par la ville de Nancy n'en finit pas de susciter la controverse... "hold-up" dénoncé par la Lorraine ou enregistrement dans le respect des conditions légales, cette affaire soulève la question de la liberté de choix d'un nom déposé à titre de marque. Ainsi, la notoriété d'un nom propre est-elle compatible avec son dépôt à titre de marque ?
A l'appui de son initiative la ville de Nancy a invoqué sa volonté, non pas de limiter l'usage de l'appellation "Saint-Nicolas", mais, au contraire, d'en protéger l'utilisation "par les communes, offices de tourisme, association qui fêtent cet évènement". Pour autant, le risque de contrefaçon est bien réel. La multitude des produits proposés sous cette dénomination dépendra, si le dépôt est maintenu, de la bonne volonté de la ville de Nancy qui pourra s'opposer à toute exploitation commerciale extérieure. La question de l'appropriation de l'appellation "Saint-Nicolas" va bien au-delà de ce que d'aucuns ont qualifié de "querelle de clochers" dans la mesure où elle porte en elle un enjeu économique fort, en plaçant toute l'activité économique qui gravite autour de cet évènement sous le joug d'une volonté monopolistique jugulée par le risque de contrefaçon.
L'extension réglementaire du champ d'application de la protection des marques par le décret du 6 février 2007 (relatif à l'attribution et à la gestion des noms de domaine de l'internet et modifiant le code des postes et des communications électroniques) a eu pour effet de renforcer les droits des déposants en limitant les hypothèses d'incompatibilité entre le nom déposé et le nom original. Toutefois, la restriction du champ d'application du risque de confusion a pour corollaire la preuve par le demandeur d'un droit légitime à faire valoir sur ce nom et la preuve de sa bonne foi. Ces conditions cumulatives doivent être démontrées au moment de l'enregistrement. Or, il est douteux que la ville de Nancy puisse rapporter la preuve de son droit légitime à disposer d'un nom dont le rayonnement dépasse largement sa seule localité, et dont l'enregistrement définitif aurait pour effet de mettre en péril une tradition pratiquée par beaucoup d'autres villes et communes. Aucune antériorité résultant d'un usage ancestral ne peut être démontrée au bénéfice de la ville déposante. Difficile, dès lors, de ne pas associer la nécessité invoquée de protéger les communes concernées par cette tradition à un écran de fumée derrière lequel se dissimule un objectif de contrôle sur l'exploitation d'un nom fructueux. Les conséquences du dépôt de la marque "Saint-Nicolas" seront justement principalement ressenties par les utilisateurs habituels et non par d'hypothétiques nouveaux utilisateurs attirés par "la poule aux oeufs d'or". 
De plus, par application de l'article R-20-44-44 du Code de la propriété intellectuelle issu du décret du 6 février 2007 : "Le choix d'un nom de domaine au sein des domaines de premier niveau correspondant au territoire national ne peut porter atteinte au nom, à l'image ou à la renommée de la République française, de ses institutions nationales (...), ou avoir pour objet ou pour effet d'induire une confusion dans l'esprit du public". En l'occurrence, accepter l'appropriation d'un évènement culturel par une ville via la procédure d'enregistrement des marques revient à condamner à terme son exploitation par des tiers et à confondre la fête de la "Saint-Nicolas" avec la ville de Nancy. Certes, la protection du droit des marques garantit la survie de l'appellation "Saint-Nicolas" mais à quel prix ? Celui, à terme, d'une exclusivité injustifiée.
Ainsi, dans l'hypothèse d'un refus persistant de la ville déposante de soustraire à la protection du droit des marques le nom "Saint-Nicolas", il est probable que la jurisprudence l'y condamnerait sur le fondement du risque de confusion. Dans un arrêt du 31 mars 2010, la jurisprudence a, en effet, rappelé sous le visa de l'article L-711-4 du Code de la propriété intellectuelle que : "Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et, notamment à un nom commercial ou une enseigne connus sur l'ensemble du territoire national, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public", ce qui ne peut manquer d'être constaté s'agissant de la désignation d'un évènement dont la signification originelle est sans rapport avec l'identité du déposant[1].

[1] CA Pau, 31 mars 2010, n°08/02387.