De l’intérêt de prévenir les cas de rupture brutale des relations commerciales

Le jugement PixMania du 13 septembre 2011 redessine les conditions dans lesquelles doit s'envisager une rupture commerciale. Gare aux délais pris en compte pour évaluer les éventuels dommages-intérêts octroyés à la victime de l'interruption abusive du contrat.

La rupture brutale des relations commerciales est, juridiquement, le fait de rompre une relation commerciale, reposant sur un contrat ou non, sans respecter un délai de préavis suffisant au regard de la durée de la relation commerciale. Cette interdiction ressort de l’article L.442-6 I 5° du Code de commerce. Dans le cas d’une telle rupture, la victime de la rupture peut valablement réclamer, devant un juge, des dommages et intérêts compensant le préjudice qu’elle a subi en raison de l’absence de préavis. En règle générale, les juges octroient des dommages et intérêts d’un montant égal à la totalité de la marge brute qui aurait été réalisée durant la durée du préavis qui aurait du être respecté. Le nerf de la guerre pour la victime de la rupture est donc de démontrer que, dans son cas, le délai de préavis qui aurait du être respecté est le plus long possible. Cette démonstration est cruciale puisque les juges ne sont pas tenus de suivre les clauses de préavis des contrats et peuvent accorder des préavis plus longs.

Dans une très récente affaire MyPixMania (TC Paris 13 septembre 2011), les juges ont apporté une pierre supplémentaire à l’édifice de la rupture brutale des relations commerciales. Dans cette affaire, la société Dimitech commercialisait depuis un an ses produits sur la plateforme PixPlace, ce qui lui a permis d’accroitre considérablement le volume de ses ventes. Alors que la loi rend cette démarche obligatoire, Dimitech et MyPixMania avaient négligé de formaliser leurs relations commerciales par contrat écrit. Aux dires de Dimitech, ce n’est que sur la pression exercée par PixMania qu’elle a accepté de signer un contrat antidaté et rédigé par PixMania dans la précipitation.

Or, le contrat signé contenait une clause de résiliation en cas de faute graduée. Notamment, les délais de préavis étaient d’une longueur inversement proportionnel à la gravité des fautes. Parmi les fautes les plus graves, celles qui permettaient en théorie à PixMania de résilier le contrat sans respecter aucun préavis, l’on trouvait la constatation d’un taux d’insatisfaction supérieur à 90%. C’est donc sur ce motif que PixMania a résilié le contrat avec Dimitech (bien qu’on ait appris pendant le procès qu’en réalité, le vrai motif de résiliation était la crainte d’un état d’insolvabilité de son partenaire commercial).

Or, en Droit français, en cas de faute, la rupture pourra être effectuée sans délai mais uniquement si la gravité de la faute rend la poursuite des relations commerciales impossibles pendant la durée du préavis. Bien que les juges aient fait allusion à l’absence de gravité suffisante en l’espèce, (puisqu’il ne s’agissait que du non respect d’un taux d’insatisfaction, manquement auquel il serait possible de remédier avec préavis) c’est l’absence de preuve du taux d’insatisfaction qui est longuement détaillée dans le jugement. En effet, le contrat ne précisait ni le mode de calcul ni les éléments à prendre en compte pour calculer le taux d’insatisfaction. Ainsi, il était impossible d’isoler une période de calcul de ce taux ni même de déterminer si les avis neutres des clients devaient être pris en compte.

Sans surprise, le Tribunal n’a pas hésité à balayer l’application de clause contractuelle, et à qualifier la rupture de brutale. Cependant, et de façon plus étonnante, le Tribunal n’a pas déterminé quel délai de préavis aurait du être respecté. Cette étape est cruciale puisqu’elle permet de déterminer quel montant d’indemnisation la victime de la rupture pourra solliciter. Or, aux termes de la loi, le délai de préavis suffisant est proportionnel à durée de la relation commerciale. Cependant, un courant jurisprudentiel fort tend à prendre en compte, plus que la durée de la relation commerciale, le délai dont aurait eu besoin le partenaire commercial évincé pour faire face à la rupture en fonction de son état de dépendance économique, des investissements qui lui ont été demandés, etc…, soit un délai beaucoup plus long qui rend le risque juridique de « rupture brutale » beaucoup plus couteux…

Pour déterminer le délai de préavis qui aurait du être respecté par PixMania, les juges se sont référés au contrat. C’est ce point qui éveillera l’attention en particulier. En effet, le contrat offrait aux parties une possibilité de résiliation sans faute sous réserve de respecter un préavis d’un mois. Les juges parisiens ont donc estimé que c’est ce préavis d’un mois que MyPixMania aurait du respecter.

Ainsi, l’application du contrat a été écartée en ce qui concerne l’évaluation de la gravité et l’existence des manquements reprochés à Dimitech mais il a strictement été respecté en ce qui concerne l’évaluation de la durée du préavis. En conséquence, le préjudice subi par Dimitech étant la privation d’un délai de préavis d’un mois, il ne lui a été octroyé qu’un mois de marge brute en réparation au titre de la rupture brutale des relations commerciales. Cette jurisprudence est un cas d’espèce et généralement les juges sont plus attentifs aux possibilités de reconversion de la victime lorsqu’il s’agit de déterminer un délai de préavis.

Dimitech n’est pas totalement en reste. En effet,  il a été démontré qu’une levée de fonds d’un montant de 5 millions d’euros aurait peut être pu être réalisée en l’absence de rupture des relations commerciales avec PixMania. En conséquence, pour réparer ce poste de préjudice il a été accordé à Dimitech des dommages et intérêts d’un montant d’un million d’euros au titre de la perte d’une chance de réaliser cette levée de fonds.

Il est donc vivement conseillé de veiller à respecter certains principes juridiques et de bon sens dans le cadre de la rupture de relations commerciales. Les juges accordent des sommes très largement supérieures aux commerçants évincés…