Disparue la lutte des classes ? Non, elle est devenue un genre littéraire qui fait un tabac !

Petits boulots, précarité, misère sociale... Des livres témoignages racontent une France silencieuse et souffrante où la tension entre "petits" s'est substituée à la lutte des classes.

La France en crise cartonne. Et pas seulement dans les statistiques. Dans les rayons de librairie, aussi. Récits de galères personnelles ou témoignages de professionnels en contact quotidien avec la France d’en bas, les livres témoignages se multiplient sur l’exclusion et la misère sociale. Un d’entre-eux, Les tribulations d’une caissière, a fait le tour du monde. Traduit en plus de vingt langues, le livre s’est vendu à 450 000 exemplaires. Un chiffre à rapprocher des succès de librairie que furent, dans un autre genre – celui de la littérature anti-managériale -, Bonjour Paresse de Corinne Maier ou, plus récemment, Absolument dé-bor-dé de Zoé Shépard. En plus fort. Après leur déclinaison en bande dessinée, les Tribulations viennent en effet d’être adaptées à l’écran.  Un exemple isolé ? Pas vraiment. Se donnant pour objectif d’aller à rebours des idées reçues sur une profession mal aimée, les “Chroniques de la police ordinaire” se sont écoulées à 100 000 exemplaires. C’est dire si la misère ordinaire fait vendre.
Malgré le succès inespéré de leur livre, ces auteurs sont emblématiques de leur sujet
.  Bien sûr, ni Anna Sam, ni Bénédicte Desforges ne partent de rien. La première est diplomée de littérature française quand la seconde est lieutenant de police. Mais elles sont bien placées, l’une et l’autre, pour parler de la dureté ambiante de l’époque. Comme tant d’autres jeunes, Anna Sam n’a pas eu d’autre choix que de débuter à un poste mal payé et sans rapport avec sa formation. Quant à Bénédicte Desforges, elle s’est coltinée la misère sociale de près. La valeur de leur témoignage réside là : les auteurs de littérature sociale savent de quoi ils parlent. Boucher dans un supermarché, Franck Ribault sait ce que la pression sur les prix peut engendrer comme conséquences sur les conditions de travail (sans parler des incidences sur la qualité des produits). Si Brigitte évoque avec tant de justesse la violence de la rue, c’est parce qu’elle l’a vécu sans l’avoir choisi. Quant à William Réjault, sa description de l’hôpital au quotidien en dit aussi long, sinon plus sur l’attitude de notre société à l’égard des pauvres et des mourants.
Littérature de tripes, pour le meilleur comme parfois pour le pire, ces histoires ne délivrent aucune analyse
 sociologique de la pauvreté et de la discrimination. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, on n’y trouve ni réflexion, ni contestation du système politique ou de l’entreprise. La mise en cause du sommet, de l’autorité, du pouvoir n’est pas le sujet, à la différence avec la littérature anti-managériale. Pour des raisons qui tiennent à une volonté délibérée de ne pas virer au brûlot politique, par définition moins consensuel, la mise en perspective s’efface totalement derrière l’émotion et l’anecdote. A la lutte des classes, ces livres substituent une lutte entre pauvres, qu’ils soient salariés de la grande distribution, clients, chômeurs ou SDF. Est-ce de la “littérature” ? Certains soutiendront que oui. D’autres, au contraire, n’auront de cesse de souligner la pauvreté des mots et l’absence de style. En fait, peu importe. Ces faiblesses, tant sur le fond que sur la forme, font aussi l’intérêt et la force de ces biographies courageuses : mettre des mots simples sur des réalités brutales.
La limite fondamentale du genre est ailleurs que dans l’absence d’analyse ou de style.
Écrites par des Français qui ont eu la possibilité de prendre un minimum de recul (et qui, en ce sens, ne sont pas représentatifs de l’immense majorité), ces biographies sur la France des pauvres ont pour obligation de raconter, sinon une histoire, du moins des histoires. Dans les témoignages de William Réjault ou de Valérie Agha, il se passe toujours quelque chose, un rebondissement, des personnages imprévus ou cocasses, des dialogues efficaces. Pas de silence, pas de temps mort. Pures artifices liés à la nécessité de tenir le lecteur de bout en bout. Car dans ces vies ordinaires, le pire est évidemment qu’il ne se passe rien, rien d’intéressant, rien d’autre que le quotidien se répètant inlassablement à l’identique, sans espoir de changements, sinon négatifs. De cette morne plaine, les livres de Anna Sam et Bénédicte Desforges ne disent rien. Ou pas grand chose. Mais le tout est de le savoir et de ne pas l’oublier.

Quelques exemples de littérature sociale :
* Les tribulations d’une caissière
– Anna Sam
* Je vais craquer mais quand ?
– Franck Ribault
* J’habite en bas de chez vous
– Brigitte
* Flic – Chroniques de la police ordinaire
– Bénédicte Desforges
* Quel beau métier vous faites
– William Réjault
* 183 jours dans la barbarie ordinaire. En CDD chez Pôle emploi
  - Marion
* Chroniques de vie ordinaire. Carnets d’une assistante sociale
– Valérie Agha
* Mémoire d’une femme de ménage
– Isaure avec Bertrand Ferrier