La jurisprudence récente sur les plans sociaux peut s'avérer catastrophique pour l'économie française

PSE annulés : la paradoxe de l’ours brun. Obligées de rester en activité en dépit de l’hiver économique, les entreprises concernées par de nécessaires restructurations qui tardent à venir brûleront leurs réserves et mourront.

Depuis quelques mois, au moins 3 PSE (plan de sauvegarde pour l’emploi ou « plan social ») ont été annulés par la justice, avant même d’avoir effectué un seul licenciement. Motif : absence de cause économique au sens du code du travail. Les entreprises concernées [1] se sont ainsi vues interdire de procéder à tout licenciement économique.
Très attendue par de nombreux entrepreneurs, notamment étrangers, une nouvelle décision de la Cour de Cassation, cette fois-ci concernant l’entreprise Sodimedical, est à venir. Elle viendra (ou non) valider l’émergence d’une tendance juridique inquiétante : celle du rejet systématique des PSE d’entreprises mondialisées dont la filiale française rencontrerait des difficultés.

Maintenir à tous prix l’emploi industriel existant ne résorbera pas le problème du chômage. Une telle solution maintient un un temps les emplois visés par les projets de restructuration. Mais, elles font au final détaler les nouveaux industriels intéressés.

Dans le sillage des affaires Jungheinrich et Goodyear [2], ces décisions pourraient avoir un impact dévastateur sur l’économie française. Pour quelles raisons ? Parce que maintenir coûte que coûte l’emploi industriel existant – ou plutôt résiduel - ne résorbera pas le problème du chômage. Pendant un temps, certes, une telle solution maintient les emplois concernés par les projets de restructuration. Mais, elles font détaler les nouveaux industriels intéressés. Et le sursis sera de courte durée pour ceux pris au piège, la patte dans le pot de miel.
L’ours brun a la faculté d’hiberner. Il dort plusieurs mois d’affilée sans manger ni boire, puisque il n’y a plus rien à croquer au dehors. S’il restait éveillé, il brûlerait sa graisse et mourrait. Les entreprises, surtout celles globalisées, anticipent un hiver économique violent en Europe. Leurs filiales aux régions économiquement exposées doivent entrer en hibernation. Ces décisions judiciaires pourraient interdire toute hibernation économique, grippant complètement la machine. Obligées de rester en activité en dépit de l’hiver économique, les entreprises concernées brûleront leurs réserves et mourront.

Il ne s’agit pas de rabâcher le manque d’attractivité de notre pays. Il faut aujourd’hui trouver des solutions pour pallier nos faiblesses économiques, et favoriser la construction d’un écosystème favorable aux entrepreneurs et investisseurs français et étrangers. La liberté d’entreprendre doit être une liberté absolue. Aucun investisseur ne s’implantera plus en France, s’il comprend qu’il ne pourra plus s’en aller. C’est la liberté de désinvestir facilement qui a fait s’envoler les investissements en Finlande depuis qu’une loi de 2001 permet la fermeture d’un site en deux mois[3]. A 7,4% sur 2011, le taux de chômage finlandais est le plus bas d’Europe.
Au-delà du non-sens économique, ces affaires sont également très contestables sur un plan juridique. Les juges y ont fait une application erronée du droit du licenciement économique.

1) Les juges ont confondu absence de cause économique et absence de cause économique réelle et sérieuse
La loi distingue pourtant avec soin « motif économique » et « cause réelle et sérieuse du licenciement économique ». La qualification de licenciement économique se construit donc par opposition à celle de licenciement pour motif personnel.
Le législateur précise que le licenciement économique doit être « […] justifié par une cause réelle et sérieuse ». Autrement dit, rien n’interdit que le motif économique à l’appui d’un licenciement soit jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse. Ce serait le cas d’une entreprise entamant un PSE au motif d’un simple ralentissement de commandes.
La Cour de cassation rappelle de son côté que « le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement ne lui enlève pas sa nature juridique de licenciement économique […] »
[4]

2) La sanction de la nullité de la procédure de consultation pour défaut de cause économique est exclue par le législateur.
L’adage juridique « pas de nullité sans texte » aurait du conduire les tribunaux à renoncer à annuler ces PSE. Le code du travail ne prévoit la nullité du PSE que dans l’hypothèse de l’absence de plan de reclassement des salariés s’intégrant dans le PSE
[5]. Jamais le code ne parle d’annuler un PSE pour défaut de motif économique réel et sérieux.
Dans l’affaire VIVEO
[6], la Cour d’Appel de Paris a opté pour un raisonnement a fortiori. Selon elle, le législateur « aurait manqué à la logique la plus élémentaire s’il avait entendu prévoir la nullité de la procédure de licenciement, en cas d’absence de plan de reclassement, sans avoir la même nullité, lorsque c’est le fondement même de ce plan et l’élément déclenchant de toute la procédure qui est défaillant ».
C’est le contraire de ce que dit la loi. Et la Cour de cassation ne dit pas autre chose.


3) Le recours à la théorie de l’inexistence est inopportun et artificiel

Voyant les critiques pleuvoir sur cette utilisation abusive de la sanction de nullité du PSE, des auteurs se sont raccrochés à la théorie de l’inexistence. Selon eux, elle peut pallier « la rigidité de la règle pas de nullité sans texte»
[7].
Plusieurs juridictions leur ont emboité le pas
[8]. Avec une audace judiciaire peu commune, elles ont annulé le PSE en écrivant que l’employeur présentait « comme existant un motif économique qui est en réalité inexistant ».
La théorie de l’inexistence n’a pas vocation à s’appliquer ici. Dans ces décisions, le motif économique existait, quelle que fut sa pertinence. Or, il est défendu au juge du TGI de s’interroger sur le motif économique au stade de la procédure de consultation des IRP. Ce rôle revient au Conseil des Prudhommes saisi individuellement par les salariés licenciés et mécontents.

***

La chambre sociale de la Cour de cassation, avec son nouveau président, doit entendre cette inquiétude. Elle n’a rien d’une posture politique. C’est une angoisse pour notre nation et les emplois de nos enfants et petits-enfants. Le court-termisme est suffisamment critiqué depuis 2008. Il ne faut pas céder à cette tentation. L’ours brun le sait au fond de lui : quand l’hiver arrive, c’est l’hibernation ou la mort.

Nicolas C. SAUVAGE Avocat Associé - Fernando LIMA TEIXEIRA Avocat, REED SMITH LLP

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[1] CA Paris, Pôle 6 – chambre 2, 12 mai 2011, RG n° 11/01547 CE VIVEO France/ VIVEO FRANCE, TGI Nanterre, 21 octobre 2011, RG n°11/7214, 11/7607 ETHICON, CA Reims 3 janvier 2012, RG n° 11/00337 SARL SODIMEDICAL c/ CE  SARL SODIMEDICAL

[2] Cass.soc. 18 janvier 2011, n° 09-69.199, Jungheinrich ; Cass.soc. 1er février 2011 ; n° 10-30.045, Goodyear K-Dis

[3] Employment Contract Act, 2001 section 7

[4] Cass.soc. 14 février 2007, n°05-40.504

[5] article L. 1235-10 du code du travail

[6] CA Paris, Pôle 6 – chambre 2, 12 mai 2011, RG n° 11/01547 CE VIVEO France/ VIVEO FRANCE

[7] Pascal Lokiec ; Semaine Sociale Lamy 15 novembre 2011 « de l’inexistence »

[8] CA Reims 3 janvier 2012, RG n° 11/00337 SARL SODIMEDICAL c/ CE  SARL SODIMEDICAL