Quand l’agilité fait son retour dans le discours des entreprises françaises
La prise d’initiatives innovantes, la créativité et la remise en cause perpétuelle ont gagné du terrain dans le discours managérial, de même que s’affirme l’enjeu de positionner les bonnes ressources au bon moment, dans des environnements de plus en plus instables.
Pour conserver leur légitimité, conquérir de nouvelles opportunités ou simplement conserver leurs parts de marché (et leur niveau de croissance), les entreprises se trouvent, et ce quelle que soit leur taille, contraintes d’adapter en continu leurs comportements, leur activité, et leurs offres.
Être agile, face à la crise
Les termes « Agilité » et « Agile » sont réapparus il y a peu
dans le langage managérial, pour justifier un besoin de flexibilité, de
réactivité et de renouveau face à la crise économique. Issu du latin agere
(actif), ce concept d’agilité s’analyse donc comme une volonté d’agir, d’être
réactif (voire, de prendre des risques) dans un temps de crise où la
réorientation et la détermination sont requises. Parler d’organisation ou
d’entreprise agile pose les bases d’une reconsidération des règles
traditionnelles de la gestion, pour parvenir à un niveau d’action entièrement
différent.
D’un point de vue stratégique, l’agilité réside dans la conquête de
nouveaux marchés, dans la prise de risque, dans l’appréhension des nouveaux
enjeux sociaux et environnementaux. Aussi, au niveau de la stratégie opérationnelle,
elle consiste en une capacité à intégrer les parties prenantes dans les
pratiques d’entreprise, et en une meilleure compréhension du « business » par
la ré-estimation de l’ensemble des maillons de la chaîne de valeur dans une
logique de création d’un avantage concurrentiel.
En d’autres termes, parler
d’agilité, c’est nécessairement parler de stratégie et, plus spécifiquement, de
l’organisation, de la culture et du modèle de management qui permettront de
relayer au mieux le besoin de réactivité.
L’agilité a touché en particulier, dans ses premières
applications, le domaine technique informatique de la conception de logiciels.
Les partisans des Méthodes Agiles ont ainsi défini quatre valeurs clés
attachées à l’organisation agile. Au-delà des systèmes d’information, celles-ci
peuvent parfaitement s’adapter à l’entreprise dans sa globalité :
- Équipe (individus et interactions)
- Application (processus et logiciels opérationnels)
- Collaboration (avec les parties prenantes)
- Acceptation du changement (adaptation et transformation)
Un constat s’impose, au regard des résultats d’une étude récente
sur les applications intuitives et leur influence sur la productivité des
entreprises (1) : l’agilité en
entreprise conditionne la performance et influence l’ensemble du processus de
production. Cette étude internationale, menée auprès de plus de 1200
entreprises, révèle le besoin de solutions agiles pour répondre aux contraintes
d’un environnement de plus en plus complexe. En ce sens, les systèmes
d’information constituent toujours un levier prédominant de l’agilité en
entreprise.
De façon croissante, les entreprises comprennent que les dépenses
en systèmes d’information ne sont plus des centres de coûts fixes, mais sont
intrinsèquement liées à la stratégie.
Penser un management des systèmes d’information efficient c’est
aujourd’hui penser un relai de la stratégie globale de l’entreprise et, par
extension, une organisation agile. L’exemple des réseaux sociaux d’entreprise
est frappant : l’entrée de ce type d’outils dans le champ des pratiques
internes est révélatrice du besoin en fluidité et flexibilité dans les échanges, tant avec l’externe qu’en interne. Ces outils
permettent de relayer la stratégie globale dans la mesure où ils offrent une
porte d’entrée, pour tous les acteurs, à l’activité de l’entreprise, et sont
vecteur de la gestion de la relation client (que ce dernier soit un employé ou
un consommateur).
De même, les systèmes d’information décisionnels sont devenus
des outils centraux pour augmenter l’efficience et l’efficacité de
l’entreprise.
En outre, plus loin que le champ des systèmes d’information, une
nouvelle appréhension stratégique et managériale du concept d’agilité permet
d’affirmer que la constitution d’une organisation agile passe avant tout par
une réflexion sur la forme d’organisation, soit sur la structure et la culture,
qui pourront, au mieux, répondre aux besoins de réactivité. Une culture de
l’agilité pourrait ainsi être définie comme une culture du changement, du
renouveau et de l’innovation.
L’idée sous-jacente est d’engager les individus
dans la transformation, de motiver l’intelligence collective (et non plus
seulement la réflexion isolée), et, surtout de modifier certaines valeurs
ancrées dans la culture de l’entreprise et allant contre la notion de « droit à
l’erreur ». Par ailleurs, devenir agile c’est également, dans les processus et
leur organisation, optimiser les ressources, rationaliser le travail et
vouloir s’améliorer de façon continue.
Cette réflexion peut, parfois, pousser à
l’abandon ou à la restructuration de certaines tâches, et induit souvent une
élévation des coûts directs et indirects, variables et fixes à court terme
(tels que les coûts de recherche et développement, ou encore ceux liés à la
mise en oeuvre de pratiques de gestion – Lean, Six Sigma, TQM, Yield... – ou au
renouvellement du parc des immobilisations). Néanmoins, elle constitue,
aujourd’hui, un passage obligatoire, dans une optique de progression
long-termiste.
Les clés du
succès pour les entreprises françaises
En France, de nombreux freins entravent le déploiement et
l’opérationnalisation du concept d’agilité en entreprise. Ainsi, nombre
d’organisations françaises, publiques ou privées, peuvent encore s’analyser
comme des structures mécanistes. Si ces dernières enregistrent manifestement une
forte productivité des employés (experts dans leur métier), de même qu’une
expansion géographique aisée (les procédures techniques étant facilement
réplicables d’une région à l’autre), elles semblent toutefois voir leurs
projets de grande envergure s’effondrer assez régulièrement.
C’est
effectivement, dans ce type de structure, le contrôle (des processus, des
résultats) qui prime aux niveaux opérationnels, d’où un manque de réactivité locale,
d’innovations et de prise d’initiatives. Comment faire, alors, pour gérer ce
rapport ambigu entre urgence du besoin de créativité, de liberté d’entreprendre,
et puissance du contrôle financier, par nature restrictif des initiatives ?
De
plus, comment surmonter les fortes rigidités au changement (les individus sont
habitués à travailler avec certains standards – plus précisément, ils n’ont pas
une culture de l’apprentissage continu, dans le travail quotidien) ? L’ensemble
de ces éléments est à l’origine d’un manque de flexibilité qui, compte tenu du
contexte actuel, peut nuire aux ambitions stratégiques des organisations (et à
leur besoin de transformations).
Immobilisme, bureaucratie, dilemme court/long
terme (au niveau du management particulièrement), problématique de la culture
de l’expert, manque de compétences, aversion au risque… autant de facteurs qui
freinent l’évolution des organisations vers un management agile.
Aussi, pour
combler le fossé et atteindre un certain niveau d’agilité, il n’est plus
uniquement question d’innover du point de vue de l’offre. Il faut à présent
transformer les pratiques managériales, les mécanismes internes de coordination
entre les individus, l’orientation stratégique… et ce, dans un souci de
différenciation.
1- Savoir et pouvoir
saisir les opportunités.
Dans une première mesure, devenir agile signifie, pour une
entreprise, se doter de capacités d’analyse, afin d’évaluer au mieux son
environnement (interne et externe), les opportunités qui s’offrent à elle,
ainsi que les risques encourus. Il convient d’être à l’écoute et de savoir
tirer les meilleures conclusions possibles de la masse d’informations qui lui
arrivent.
Ces compétences analytiques sont différenciantes, dès lors qu’elles
permettent d’aboutir au système de gouvernance et de décision le plus efficient
possible. Afin d’appuyer les entreprises dans ces démarches, le domaine des
systèmes d’information décisionnels et de la Business Intelligence est devenu
une source d’agilité indéniable.
En simplifiant la prise de décision, ces
outils aident les entreprises à être plus réactives, à faire des choix
éclairés, et, de ce fait, à saisir les opportunités dès qu’elles se présentent,
pour autant qu’ils soient bien intégrés et utilisés de façon adéquate.
2- S’adapter et faire preuve de flexibilité.
Pour mettre en œuvre ses choix d’orientation, il n’est plus
envisageable pour une organisation de se reposer sur ses compétences clés et
sur ses ressources uniques ; elle doit aller plus loin et chercher la meilleure
façon de les utiliser, compte tenu de l’environnement, du contexte
institutionnel, des enjeux de la globalisation, et surtout, des parties
prenantes. Répondre à un besoin de stratégie offensive c’est réussir à
mobiliser les bonnes compétences et ressources, au bon moment et au bon
endroit.
La flexibilité est donc bien une condition clé de l’agilité,
permettant de répondre plus rapidement et efficacement aux
contraintes/opportunités du contexte. Amazon.com a bien compris cet enjeu, en
se donnant les moyens d’être flexible grâce à ses critères de recrutement : la
gestion de la dimension humaine et des compétences devient un élément
stratégique de différenciation et d’accroissement de la flexibilité. Ainsi
cette entreprise a fait le choix de privilégier dans le recrutement les
individus ayant au moins deux compétences clés distinctes, afin de lui
permettre de s’adapter de façon perpétuelle.
3- Favoriser la collaboration.
Ce point essentiel (et qui tend à occuper une place de plus en
plus centrale dans cette réflexion sur l’agilité) réside dans la garantie d’un
environnement de collaboration, favorisant mutualisation et synergies entre les
fonctions/ métiers/projets/initiatives de l’entreprise. Il est en ce sens
nécessaire de passer à une culture collaborative, à une structure en réseau,
qui mettent les parties prenantes au coeur du « business » (tant les employés
que les fournisseurs ou les consommateurs).
Le concept d’intelligence sociale
est symbolique de cette prise de conscience : le dialogue entre les acteurs, internes
et externes, est devenu un enjeu indispensable à la bonne marche des
entreprises. Nombreuses sont celles qui ont fait le choix d’insérer les
employés, voire même les consommateurs ou les citoyens, dans leur processus de
décision, bousculant ainsi les modèles traditionnels de gestion (Google et son
modèle 80/20 (2), la multiplication des
forums d’entreprises, la mise en œuvre de démarches RSE, l’entrée de
LinkedIn, Facebook ou Twitter dans les pratiques d’entreprises...).
Les
avantages sont donc partagés entre l’entreprise et les parties prenantes, de
nouvelles sources d’opportunités peuvent alors émerger.
4- Faire de l’innovation le moteur de la croissance.
En générant de l’innovation, les entreprises s’octroient les
moyens de sortir de la crise. Ainsi, le phénomène de l’économie créative est
aujourd’hui un levier de renouvellement du système économique : il s’agit de favoriser
l’industrialisation de l’innovation, en dépassant le modèle individuel traditionnel
du créateur (représenté essentiellement par les artistes, ou artisans isolés). Aujourd’hui,
cette économie se retrouve à plus grande échelle dans des entreprises de
tailles variables.
Prenons le cas du secteur des matériaux de construction : les
ressources en R&D peuvent constituer un flux continu d’innovations qui,
s’il est géré et intégré aux processus productifs dans un souci de qualité
globale, est une source indéniable de différenciation. Ainsi, contrairement à certains
géants de l’industrie mondiale qui ne parviennent pas toujours à tirer partie
de leur potentiel d’innovation, des organisations dans le domaine de l’architecture
ou du design, sont parvenues à migrer vers cette économie créative (Starck
Product ou encore Ikea).
Ces quatre pistes sont utilisées de façon croissante au sein des entreprises,
mais rarement de front, alors même que leur conjonction optimiserait largement
la valeur ajoutée désirée. Au sein des entreprises soucieuses de s’engager dans
une démarche de différenciation, un diagnostic du niveau de maturité de
l’organisation existante, de ses processus et de sa culture, permet de moduler
l’intensité de chacun de ces volets dans le système d’imbrication global, et de
dimensionner au mieux l’approche de transformation vers plus d’agilité.
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(1) Rapport IDC : les applications intuitives améliorent la productivité des entreprises, IDC, 2011 (mars et avril). Benelux, Scandinavie, France, Allemagne, Inde, Royaume Uni, Etats-Unis ; 1 244 entreprises de plus de 100M€ CA (tous secteurs industriels confondus).
(2) Innovation Time Off (ITO) Model, encourage les employés de Google à consacrer 20% de leur temps de travail à des initiatives personnelles «d’innovation», liées à leurs passion, centres d’intérêts... ces activités peuvent, en ultime mesure, bénéficier à Google – Gmail, Google News...