Les formats télévisés, une protection délicate

La Roue de la fortune, le Maillon faible, Loft Story.. ces émissions aux formats parfois ressemblants ont envahi notre petit écran. Quels sont les formats d’œuvres audiovisuelles et quelle est la protection conférée par le droit français ?

La définition du format

Le terme « format » est inspiré de la désignation anglo-saxone « TV formats » mais on le retrouve également sous les termes de projet, cadre, formule ou encore programme d’émission. Les formats audiovisuels sont divers et variés et forment aussi bien la trame de fond des jeux télévisés que des émissions de plateaux ou de télé-réalité.
Parmi les formats audiovisuels connus, on se souvient de La nuit des héros, des marches de la gloire, Intervilles, Jeux sans frontières, Tournez manège, Fort Boyard, la Nouvelle Star, Qui veut gagner des millions, QI : le grand test, Code de la route : le grand examen, Popstars ou plus récemment Incroyable talent.

Il n’existe pas de définition légale, réglementaire ou conventionnelle du format mais une définition jurisprudentielle dégagée dans le jugement du Tribunal de grande instance de Paris rendu le 3 janvier 2006 SA Métropole Télévision M6 et Sté Eyeworks bv  c/ SA Sté nationale de télévision France 2 et SARL Way : « le format doit être entendu comme une sorte de mode d’emploi qui decrit le déroulement formel, toujours le même, consistant en une succession de séquences dont le découpage est pré-établi, la création consistant, en dehors de la forme matérielle, dans l’enchaînement des situations et des scènes, c’est à dire dans la composition du plan, comprenant un point de départ, une action et un dénouement, le format constituant un cadre au sein duquel l’œuvre va pouvoir se développer, (…) ». Le format doit contenir « l’idée, le titre, la configuration d’un programme de télévision, la structure et l’enchaînement de l’émission ou des émissions qui composeront alors une série télévisuelle, soit la composition précise de l’œuvre future, les idées ayant été organisées, agencées et les sujets précisément définis ».

Au vu de cette définition, le format apparaît plus abouti que le concept analysé en un « court développement en une ou deux pages maximum, de l’idée d’une histoire susceptible de se développer au format voulu. Il peut être assorti d’arguments d’épisodes » qui reste au stade de la simple idée et n’est pas protégeable par le droit d’auteur. 

Le format met donc en forme l’idée, le projet d’une émission télévisée en exposant son cadre, sa toile de fond élaborés à partir d’éléments constants permettant la réalisation d’émissions ultérieures basées sur le même modèle. Le format a pour objet de déterminer à l’avance les contours de réalisations à venir en définissant les bases du contenu des émissions ultérieures.

Les enjeux de la protection

La question de l’étendue de la protection juridique conférée aux formats des œuvres audiovisuelles notamment leur accession au statut d’œuvres protégeables par le droit d’auteur est essentielle puisque d’elle découle les conditions de reprise des formats et notamment l’obligation de recourir ou non à des licences et à des cessions de droit d’auteur.

Toutefois, il faut souligner que la France est principalement importatrice de formats dont les chaînes acquièrent les droit auprès des grandes firmes étrangères à l’image de Loft Story adapté de Big Brother, Incroyable Talent adapté d’American’s got talent ou encore La Nouvelle Star adaptée d’American Idol. Concernant les productions de formats français adaptés à l’étranger, on citera Fort Boyard ou encore Questions pour un champion. 

Les différentes protections offertes par le droit français

En France, les contentieux portant sur les formats d’émissions ne sont pas rares, les décisions leur reconnaissant une protection le sont davantage. Le droit français offre actuellement deux (voire trois) fondements à la protection des formats : le droit d’auteur, l’action en concurrence déloyale et le parasitisme.

Le format, une œuvre protégeable par le droit d'auteur

Du fait du principe général selon lequel les idées sont de libre parcours, les juges accordent aux formats le statut d’œuvre protégeable par le droit d’auteur seulement si ces derniers apparaissent suffisamment élaborés et originaux.

Les conditions de l'admission à la protection par le droit d'auteur

L’arrêt Divertissimo c/ Sportissimo de la Cour d’appel de Paris du 27 mars 1998 est l’une des toutes premières jurisprudences à avoir élevé un format d’émission au statut d’œuvre protégeable par le droit d’auteur: « un projet de jeu télévisé qui ne se limite pas à poser une règle de jeu abstraite, définie comme l’affrontement de deux équipes à travers les épreuves d’adresse et de mémoire mais s’attache à décrire une règle précise décrivant l’atmosphère et la philosophie du jeu, ainsi que son déroulement, la comptabilisation des points, la teneur des questions et leur formulation et la nature des épreuves sportives, constituant un assemblage original d’éléments connus en eux-mêmes qui révèlent l’activité créatrice de ses auteurs, est protégeable sur le fondement du livre I du Code de la propriété intellectuelle ».

Il ressort de la jurisprudence que pour être admis au rang d’œuvre protégeable par le droit d’auteur, le format doit s’incarner dans une forme originale. C’est généralement sur ce terrain que les parties à un litige vont se battre en vue de faire requalifier le format en simple idée. 

Ainsi, pour être admissible à la protection par le droit d’auteur, le format doit d’abord être matérialisé dans une forme extériorisant et concrétisant la pensée de son auteur, généralement un écrit. La réalisation d’une œuvre audiovisuelle sur la base d’un format non-matérialisé dans un écrit préalable ne saurait permettre de rapporter la preuve de son existence et ne saurait non plus suffire à lui conférer une originalité du fait qu’il serve de base à la réalisation d’une œuvre originale. En revanche, la réalisation d’une œuvre audiovisuelle tel qu’un pilote à partir d’un format matérialisé permet d’apprécier la contenance et voire l’originalité d’un format.

Ensuite, le format doit contenir des règles suffisamment précises et détaillées pour permettre de déterminer la forme des émissions futures. C’est ce critère qui permet de quitter la sphère de l’idée pour rentrer dans la forme protégeable. Il requiert l’étude du contenu du format. 

Rappelons qu’un format doit en principe contenir « l’idée, le titre, la configuration d’un programme de télévision, la structure et l’enchaînement de l’émission ou des émissions qui composeront alors une série télévisuelle, soit la composition précise de l’œuvre future, les idées ayant été organisées, agencées et les sujets précisément définis » et que «  l’heure de diffusion, la durée ou la cible d’une émission de télévision, paramètres simplement révélateurs de sa capacité d’audience présumée, ne sont pas des critères d’appréciation de son contenu » (CA Versailles, 27 septembre 1995 TF1 c/ Plaisance Films).

Le critère de précision de la mise en forme du format a été posé par l’arrêt de la Cour d’appel du 27 mars 1998 et a été repris ultérieurement dans un arrêt du Tribunal administratif de Paris du 10 juillet 2003 à propos du format de la Carte aux Trésors reconnu protégeable au motif qu’il reposait « sur une règle précise et originale, à savoir une compétition entre deux candidats circulant en hélicoptère au dessus d’une région de France, recherchant des morceaux de carte dont la reconstitution permet de tracer une rose des vents au centre géométrique de laquelle se trouve un trésor, le tout à l’aide d’un ordinateur portable permettant la consultation de l’énigme, de la documentation, de l’aire de jeu, etc. », règle matérialisée dans des « manuscrits qui mettent en forme l’idée originale de jeu, détail des éléments caractéristiques essentiels de l’œuvre finale et reprennent les éléments du jeu pour les scénariser ». 

Plus récemment, la jurisprudence a admis la requalification de projets d’émissions en simples idées. Dans la première affaire, les juges ont estimé que les projets ne comportaient aucune indication sur « le cadre de l'émission, sur la place et le rôle de l'interviewer, sur la manière de filmer décor et personnage » (TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 12 nov. 2009, N. D. c/ SA Métropole Télévision) ; dans la seconde, l’idée de convier une personnalité à remplir un chariot de supermarché avec des produits révélateurs de son caractère n'était pas formalisée par « un générique, un décor, une présentation détaillée des personnages, des scènes, des questions prévoyant une progression jusqu'à la conclusion » (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 19 mai 2009, Sophie Davant et al. c/ SARL Les baladeurs d'images et al).

Ainsi, pour être protégeable, le format doit être précis, complet et constant dans sa forme pour constituer tel que l’a énoncé M. Edelman « une sorte de mode d’emploi qui décrit le déroulement formel, toujours le même (…) » d’une émission. 

Enfin, le contenu du format doit contenir des éléments originaux.

En droit d’auteur, l’originalité n’est pas la nouveauté mais l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Sont dépourvues d’originalité les idées banales (appréciées au regard de la tendance du marché, du public visé…) ou les idées appartenant au domaine public.

L’originalité peut résulter d’un élément caractéristique ou d’un assemblage de choix banals qui pris ensemble confèrent un caractère original à une œuvre. La Cour d’Amiens dans son arrêt du 9 juillet 1984 a estimé que l’idée de composer un portrait robot pour en faire un jeu télévisé n’était pas originale et que cette technique appartenait au domaine public. Le Tribunal de grande instance de Paris dans un arrêt du 12 février 1990 a également jugé « qu’un projet d’émission télévisée visant à confier l’interprétation de scènes de films célèbres à de jeunes comédiens notés par des professionnels et le public ne constitue pas une œuvre originale (…) dès lors que l’idée a inspiré plusieurs émissions antérieures et a été mise en œuvre dans une émission diffusée plusieurs années auparavant(…), les différences entre les deux émissions ne laissant subsister que des points communs sur la simple idée non protégeable.». La première chambre civile a considéré dans une décision du 7 novembre 2006 SA Diffusion Corse du Livre c/ Perigot que l’interactivité dans un jeu n’était pas un élément original « une personne physique ou morale ne peut s’approprier en aucune façon la simple utilisation de moyens techniques nouveaux, cette utilisation n’étant pas en soit, originale ».

Les critères d’appréciation de la contrefaçon 

Une fois admis à la protection, la contrefaçon d’un format s’apprécie comme toute contrefaçon à partir des ressemblances et non des différences. Les ressemblances doivent, pour être qualifiées de contrefaisantes, porter sur des éléments protégeables.

En ce sens, l’arrêt Divertissimo c/ Sportissimo qui avait reconnu le caractère protégeable du format de l’émission Divertissimo avait écarté la contrefaçon au motif que « la combinaison d’épreuves de connaissance et d’adresse physique relève de l’idée (…) ; les ressemblances entre « Divertissimo » et « Sportissimo » relèvent de traits inhérents à l’ensemble des jeux télévisés et non appropriables à titre privatif, à savoir : un invité, des questions aux candidats, des épreuves et l’intervention d’une part de hasard dans la détermination des gagnants (…) ; les différences entre les deux œuvres dépassent et conjurent largement les ressemblances fortuites (…) ; elles excluent la contrefaçon même partielle (…) ».

Notons que le caractère fortuit des ressemblances ou la connaissance préalable du contenu du format par le supposé contrefacteur sont autant d’éléments pouvant être pris en compte dans l’appréciation de la contrefaçon. 

La protection des formats par l’action en concurrence déloyale et le parasitisme

Le droit d'user de l'action en concurrence déloyale en vue de protéger un format est également admis mais il est soumis à la même critique que celle opposée plus généralement à l'exercice de cette action dans le domaine du droit d'auteur. Le droit d'auteur constitue une exception (érigée en interdiction) à la liberté de copier. Si les conditions d'application du droit d'auteur ne sont pas réunies, la liberté de copier, qui est le principe, doit retrouver sa place et le recours aux mécanismes de la responsabilité civile ne doit pas servir à reconstituer un droit privatif (en ce sens CA Paris, 18 octobre 2000).
Pour autant, la jurisprudence admet le bénéfice de cette action lorsque les conditions de reprise d’un format peuvent s’analyser en un acte de concurrence déloyale caractérisé généralement par l’existence d’un risque de confusion mais la seule existence de ressemblances entre des formats d’émissions ne saurait suffire à engager la responsabilité de leur auteur. 

Dans l’affaire des Marches de la Gloire, la Cour a estimé sur le fondement de la concurrence déloyale que « s’il n’est pas en soi critiquable de produire des émissions, il n’est pas acceptable de plagier l’émission d’un concurrent, en adoptant, outre le thème, la construction, le découpage et la durée, la structure des séquences et le style de présentation. (…) TF1 a utilisé les mêmes présentateurs et le même cinéaste alors que ceux-ci n’avaient pas rompu tout lien avec Antenne 2 (…). La diffusion par TF1 de l’émission « les marches de la gloire » (…) constitue un acte de concurrence déloyale.»

Soulignons que les tribunaux ont plutôt tendance à sanctionner la copie servile que le simple emprunt (TGI Paris 3 janvier 2006).

L’action en concurrence parasitaire peut également être considérée comme une troisième voie ouverte pour protéger un format d’émission. Invoquée entre concurrents, l’action en concurrence parasitaire permet de sanctionner l’emprunt d’éléments caractéristiques d’un format en vue de tirer profit des efforts de son concurrent ou de la réputation de son émission sans avoir à démontrer l’existence d’un risque de confusion. La jurisprudence a déjà condamné sur le terrain du parasitisme la reprise par un concurrent de composantes particulières d’un format en vue de tirer profit du travail, de la réputation et du succès de son émission (CA Versailles 11 mars 1993, TGI Paris 3 janvier 2006 reprenant ce motif.).

En conclusion, les scénaristes d’émissions ont intérêt à formaliser par écrit de façon bien précise leur concept d’émission avant de le communiquer aux productions et aux chaînes, car la protection des formats télévisés est délicate à mettre en œuvre.