La revente de produits hors réseau s'apparente-t-elle à de la concurrence déloyale ?

Le litige opposant CHANEL à la société CAPI, qui durait depuis plus de quatre ans, a connu un épilogue judiciaire avec l'arrêt rendu le 13 février 2013 par la Cour d'appel de Douai. CHANEL reprochait à son adversaire d'avoir commercialisé des produits portant sa marque dans une solderie non référencée en tant que distributeur agréé.

Par un jugement du Tribunal de grande instance de Lille, confirmé par un premier arrêt de la Cour d'appel de Douai, il avait été jugé que ces agissements étaient à la fois constitutifs de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale.
En effet, la revente des produits était contrefaisante dans la mesure où CHANEL s'était opposée à la cession de ce stock de produits dans le cadre d'une vente aux enchères après liquidation d'une société exploitant à Reims un magasin à l'enseigne "Printemps".
Les premiers juges avaient considéré que cette vente aux enchères, intervenue en violation du contrat de distribution, n'avait pas pu épuiser les droits de propriété de CHANEL, nonobstant les dispositions de l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle, qui prévoit que "le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement".
Cette règle technique, dite de l'épuisement des droits, connaît une limite lorsque le titulaire des droits justifie de "motifs légitimes", ce qui est notamment le cas lorsque la revente est effectuée dans des conditions incompatibles avec l'image des produits, ce qui était le cas en l'espèce, ainsi que l'avait retenu la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 24 mai 2011.
Mais alors, cette revente pouvait-elle être constitutive de concurrence déloyale ? Alors que les premiers juges avaient répondu positivement à cette question, la Cour de cassation a estimé le contraire, en considérant que le Tribunal et la Cour n'avaient pas caractérisé de "faits distincts" des actes de contrefaçon.

Il est exact que, si un demandeur peut invoquer à la fois des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale à l'appui de ses demandes, il lui faut démontrer que les faits critiqués sont différents selon les fondements juridiques.
Par exemple, il peut y avoir contrefaçon de marque si des faux produits sont vendus par un tiers en utilisant une marque déposée. Et il peut y avoir cumulativement concurrence déloyale si le demandeur rapporte la preuve d'une faute contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale, par exemple si l'usage de la marque contrefaite a permis de faire de substantielles économies en termes de recherche et développement ou si le contrefacteur a cherché à créer un "effet de gamme" comme le titulaire des droits. Cette preuve est de plus en plus difficilement admise par les juridictions.
Est-ce alors le cas lorsque la revente des produits est effectuée en violation d'une interdiction de revente hors réseau, en présence d'un réseau de distribution exclusive ou sélective ? L'article L.442-6 I 6° du Code de commerce pourrait le laisser penser, puisqu'il énonce que celui qui participe, directement ou indirectement, à la violation d'une telle interdiction, engage sa responsabilité et est obligé de réparer le préjudice causé.
Mais, selon la Cour de cassation, cela ne constitue pas un "fait distinct" des actes de contrefaçon. Et la Cour d'appel de Douai, à nouveau saisie du litige sur renvoi après cassation partielle, ne l'a pas considéré non plus. Selon elle, "le seul fait de commercialiser des produits relevant d'un réseau de distribution sélective (…) ne constitue pas, en lui-même, en l'absence d'autres éléments, un acte de concurrence déloyale".
En l'espèce, dès lors qu'il n'était pas démontré que la société CAPI avait connaissance que la société auprès de laquelle elle s'était approvisionnée avait violé une interdiction de revente hors réseau, elle n'a pas pu commettre de faute.

En outre, dès lors que les conditions de la revente des produits, en solderie et à l'opposé de l'image que CHANEL imprime à ses produits, ont été retenues au titre de la contrefaçon, alors il n'existait pas de "faits distincts" susceptibles de fonder une action en concurrence déloyale.
CHANEL a donc été déboutée de ses demandes sur ce fondement, aux termes d'une décision finalement assez classique dans le domaine de la distribution sélective, comme l'a également jugé la Cour d'appel de Nancy dans un arrêt concernant aussi CHANEL, rendu le 16 janvier 2013 ("La vente en violation de l'interdiction de la vente hors réseau d'un produit couvert par des droits privatifs constitue un usage illicite de marque dès lors que la société Chanel a justifié de motifs légitimes pour s'opposer à cette nouvelle commercialisation ; dès lors, les conditions d'acquisition de produits ainsi protégés, en ce qu'elles sont directement liées à la revente, ne constituent pas des faits distincts de ceux d'usage illicite de la marque")