Osons le leadership de la confiance

Avec 77% des Français qui estiment que les politiques sont corrompus et plus des deux tiers qui ne croient pas à la parole des entreprises, les Français sont devenus les champions de la défiance et du pessimisme qui va de pair.

Parler du leadership de la confiance revient à supposer que tout a été dit sur la défiance et la crise : crise des élites, des modèles, des générations...
Si on devait résumer grossièrement les causes de cette rupture de sens entre le corpus sociétal et les élites, il n’est pas abusif de les résumer autours de quatre points :
- l’inconsistance du personnel politique de droite comme de gauche qui depuis plus de trente ans gère la dette sur le dos des générations futures, au nom d’un clientélisme électorale pathétique,
- l’hyper financiarisation des marchés et l’émergence depuis 15 ans d’un profil de dirigeants-salariés interchangeables,
- les organisations matricielles et depuis peu le culte de l’exécution qui dénaturent la notion même de responsabilité,
- et enfin la rupture du temps, via l’hyper temps technologique qui fait que tout se sait, se dit, sur tout, sur tous, en temps réel.

La formule la plus communément utilisée : « nous sommes dans une crise de sens ! »

Mais au-delà du sens, que ce soit en entreprise comme dans la société civile, le vrai sujet est celui de la morale, celle d’une loi universelle qui veut que l’on respecte l’autre avant tout.
Or, si après près de 30 ans de carrière, j’ai l’habitude de dire que je n’ai jamais vu autant de mal être qu’aujourd’hui dans les entreprises, je suis surtout effaré de constater au quotidien comment les environnements professionnels transforment les personnes, les emmenant parfois au reniement de leur propre morale. Avec mes équipes, nous animons en moyenne 200 tables rondes par an et c’est fou les témoignages que nous recueillons : des gens sains d’esprit, qui ont sûrement à cœur de transmettre à leurs enfants des notions de respect, de solidarité, d’écoute, d’honnêteté, d’intégrité se transforment en « bêtes à sang froid », véritables despotes, capable de hurler sur des subalternes ou en lâches en se soumettant à une allégeance détestable et à un cynisme terrifiant.

Heureusement, tout n’est pas si noir en France, il faut clamer haut et fort qu’il y a des entreprises où les gens sont heureux, aiment leur job, leur patron et réciproquement ; le problème est qu’on n’en parle peu.
Je crois pour ma part que le contexte que nous vivons est une opportunité incroyable de fondation d’un leadership humain. En effet les contextes de guerre créent toujours d’un côté les résistants, les combattants, de l’autre les collabos toujours trop nombreux, au milieu la population ballotée. L’entreprise, c’est la même chose !
A défaut de répéter que ce qui manque dans les entreprises et en particulier les grandes, ce sont de vrais patrons, nous pouvons admettre que ce qui fait le plus défaut c’est du courage et surtout l’esprit PME. A force d’avancer dans le global, la tête a perdu le sens du local, de l’unité fondamentale qu’est l’individu. A force de piloter avec des tableaux de bord déshumanisés, la tête a perdu l’agilité du corps. L’esprit PME c’est deux choses essentielles : people first et client first, jamais process et organisation en premier. L’esprit PME c’est la conscience des choses à l’état brut : le chef d’entreprise de 100/500/1000+ salariés, dont le capital de son entreprise est son propre argent, n’a pas besoin de grands discours ou de plan de communication pour incarner l’écoute, la proximité, la considération : son entreprise c’est sa vie. Un cadre dirigeant ressent rarement cela, il est aux ordres et sa vie à lui, c’est son curriculum vitae.

Dans la plupart des grands groupes aujourd’hui, les trois choses qui font le plus défaut au niveau des états-majors sont :

1- la cohésion de l’équipe de direction autour du maillot,
2- l’agilité des décisions,
3- le lien direct entre la tête et le corps.

Les instances de direction ne sont plus des lieux de croyance en l’entreprise mais de croyance en une stratégie financière, ce qui est radicalement différent sur le plan de l’égo et de la transmission. Prenez les salariés du CAC 40, en moyenne ils sont entre 75 et 85 % confiants dans l’avenir de leur groupe et 50% à déclarer ne pas comprendre la stratégie. Un comble !

Pour aller vers la notion de leadership de la confiance, il faut oser repenser l’entreprise dans sa dimension de lieu de vie et de croyance. Quels sont les rites de croyance ? Dans mon dernier livre paru en janvier 2013,  « Le Prix de la Confiance » aux éditions Eyrolles, j’ose évoquer la notion de spiritualité d’entreprise car je suis convaincu que ce leadership de la confiance passe par la capacité du dirigeant à habiter son rôle de guide et sa parole. Le point commun de toutes les entreprises où un leadership de la confiance s’exprime est de n’avoir jamais sacrifié la culture d’entreprise. Ces entreprises ne se laissent pas séduire par le bling bling de la mode mais élèvent la considération, la transmission, l’humilité en postulat de leur savoir être.
Tout se passe au niveau de la gouvernance : une gouvernance qui habite sa parole, qui dote ses managers des moyens de transmettre la vision et la culture, et qui transforme ses salariés en militants de son projet. L’implication des salariés et leur mobilisation sont le baromètre de la qualité de la gouvernance, tout le reste n’est qu’enfumage.
Ce leadership de la confiance, c’est avant tout un leadership humain, un leadership équilibré cerveau droit/cerveau gauche avec des managers capables de laisser leur égo au vestiaire au profit de l’intérêt collectif. C’est aussi la réhabilitation de verbes comme aimer, écouter, partager, créer, mais aussi donner. Le don de soi est l’une des premières richesses du leadership de la confiance. Il est gage de liberté.

Mais tout cela ne fait sens que si l’entreprise se donne à vivre en aventure humaine : au nom de quoi, de qui, pourquoi ? Chaque entreprise a sa feuille de route en l’occurrence sa Marque. Son leadership de la confiance est le miroir de sa Marque, de la foi qu’elle génère. J’ai l’habitude de parler de Maillot, lorsque j’évoque la notion de Marque Employeur (concept que j’ai créé en 1998 et qui fête ses 15 ans) mais la symbolique est bien là : peut-on parler de confiance si on n’est pas fier de porter son Maillot ? Dans « Le Prix de la Confiance », je donne 7 clés pour avancer sur le chemin de la confiance. La première est justement la Marque, c’est elle qui guide l’action, qui dompte les égos, c’est en son nom que toutes les stratégies devraient être bâties.
Or c’est toujours surprenant de constater à quel point dans les états-majors, il y a un déficit de conscience de Marque, souvent ramené à un sujet de marketing et de communication au profit d’une sémantique de lutte de territoire stérile. La seconde clé c’est justement le leadership humain ; suivent la transparence, l’exemplarité, la tolérance, le partage et le respect. On est loin, très loin du tout financier, du tout court terme, on est dans ce qui devrait être la vraie vie tout simplement.
Même si le quotidien est à la grisaille, j’aime partager une utopie qui nous anime avec mes équipes : je suis persuadé, que le vent tourne en faveur de ce leadership de la confiance. Demain nous allons intégrer dans nos entreprises, la génération mutante, ces « Z », nés après 1995. Ne nous leurrons pas, leurs parcours de vie, leur langage, leur sens de la confiance partagée, font qu’ils sont comme le précise Michel Serres dans son dernier ouvrage, « La petite poucette », de nouveaux humains ; ces nouveaux humains ne sont pas intégrables en l’état dans les organisations actuelles. A la question que voulez-vous faire demain, ils répondent :

1- créer ma boite,
2- rejoindre une PME,
3- rejoindre un grand groupe si possible pas coté,
4- rejoindre la fonction publique

Leur confiance en eux, associée au rejet des modèles existants, fait de ces mutants les futurs artisans de ce leadership de la confiance. A nous de leur préparer une arrivée digne de leurs espérances.

La question de la confiance en la jeunesse ne doit pas être qu’une promesse électorale, vite oubliée, mais bien une priorité pour les entrepreneurs responsables. Une question de morale à méditer…